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Soleil d'août - Grande Nouvelle

Grande Nouvelle "Soleil d'août" est une grande nouvelle mise en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Rolando et cie...

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Course poursuite

Comme la voiture dut s’arrêter, l’odeur de mort se fit à nouveau sentir, plus intense cette fois à cause de la chaleur qui chauffait la carrosserie. L’écœurement de Rolando monta comme le lait sur le feu, prêt à déborder. Il eût beau pincer les narines, il fut pris d’une nausée soudaine et ne put s’empêcher de vomir. Il salit du mélange amer de ses entrailles le beau siège de cuir et éclaboussa la jupe de la rousse. Elle s’écarta de lui en pestant, s’empressa de regagner la place à côté de son complice.

– Petit saligaud ! Il m’a dégueulé dessus, regarde-moi ça, et l’enfoiré l’a fait exprès.

– T’en fais pas, ma belle, je te la ferai nettoyer ta jupe, dit Sylvain, essayant de rasséréner sa compagne furieuse, qui jetait des regards en biais sur Rolando.

 Ce dernier se précipita sur la portière avec l’intention de déguerpir, il chercha fiévreusement la poignée qu’il eut beau secouer, prêt à se jeter sur l’asphalte, elle ne déclenchait pas la gâche.

– C’est bloqué à cause des enfants, dit Sylvain qui venait de redémarrer s’engageant sur le boulevard de Magenta.

Il chercha un paquet de mouchoirs dans la boîte à gants, les tendit à son passager.

– Tiens, tu en auras peut-être besoin. T’en fais pas pour les salissures, je ferai nettoyer tout ça plus tard. Si je savais que tu étais sujet au mal de la route, j’aurais prévu un sachet en plastique comme dans les avions. Je te déposerai à Saint-Denis dans un quart d’heure. Tiendras-tu jusque-là ? Sinon, je peux m’arrêter devant la première station de métro, c’est à toi de voir.

Rolando regarda le métro aérien qui se profilait plus loin. Une rame glissait sans encombre en se cambrant doucement sur les rails, hautement exposés au soleil qui, au travers de sa visière de gaz, dardait sur elle une vague ondulante de plomb fondu.

Sylvain tourna sur le boulevard de la Chapelle, en direction de Stalingrad.

– Je vous rapproche de la gare du Nord, dit-il s’adressant à son passager, vous pouvez accéder aux quais par la rue de Maubeuge.

Dès qu’il eut prononcé ses paroles et qu’il fixa de nouveau son attention sur le boulevard, il aperçut un contrôle de police posté à cinquante mètres. Il s’agita sur le siège, affolé comme si un mégot brûlant venait de tomber sur son giron, appuya brusquement sur le frein par réflexe et tapa un grand coup sur le volant.

– Eh, merde, les flics ! Je me fais prendre comme un bleu.

Il regarda de tous les côtés à la recherche d’une voie de secours, pâlit décontenancé se rendant compte qu’il n’y avait pas d’échappatoire. Que faire ? D’abord, il craignit que la police n’ait monté le dispositif pour l’intercepter, mais il remarqua qu’elle arrêtait d’autres véhicules. Alors, il se dit qu’il pouvait très bien se garer contre le trottoir, bien que le stationnement soit interdit. Il descendrait de la voiture calmement ; puis, biaisant en direction des policiers afin de ne pas éveiller des soupçons, il s’en éloignerait l’air tranquille, en honnête citoyen qui traverse la rue pour aller poster une lettre sur le trottoir d’en face.

Il mit quinze secondes pour examiner les contours de son idée, ce furent quinze secondes de trop qui la rendirent impossible à mettre en pratique. Les véhicules qui roulaient derrière lui le poussaient vers l’agent qui, se détachant au milieu de la chaussée, un sifflet entre les lèvres, lui signifiait de se ranger sur le côté. Sylvain remarqua que le policier regardait particulièrement son torse et celui de Janine, ils n’avaient pas bouclé la ceinture.

– Quel con ! On est foutus !

Il fit semblant d’obtempérer ralentissant à l’approche de la brigade, et lorsque le policier vint à sa rencontre pour l’interpeller, lui ordonnant de se garer afin de ne pas gêner la circulation, Sylvain redémarra à fond la pédale, dans un crissement de gomme brûlée sur le bitume.

 Le flanc de la machine, au violent frisson de cent cinquante chevaux qui s’enlevaient tout à coup dans un puissant piétinement de sabots, abattit le policier d’une bourrade à dévisser ses idées en même temps que son képi.

– La poisse, bon sang ! s’écria Sylvain regardant le rétroviseur, le flic a cassé son sifflet. Je ne l’ai pas touché, je te l’assure, c’est le souffle du démarrage qui l’a fait tomber. Il doit être bourré, le poulet.

– Nous voilà enfoncés dans la mélasse jusqu’au cou, observa Janine, nous aurons bientôt tout le poulailler aux trousses. Je savais qu’on finirait par être pincés, tu conduis comme un malade.

– Pincer ? Tes fesses ! hurla Sylvain hors de ses gonds. M’attraper les flics ? Faut pas qu’ils aient peur de la casse. En attendant, tu vas la boucler, ta gueule et ta ceinture aussi, plus vite que ça.

Alors, commença une course insensée, suicidaire. Cherchant le passage à tout prix, la BMW bondissait à droite et à gauche, comme un cheval fou, elle tamponnait par-derrière les véhicules qui ne se rangeaient pas ; elle écrabouillait d’autres aux flancs, les poussait sur le bas côté ; elle arrachait çà et là le rétro de ceux qui rechignaient à lui ouvrir un couloir, et tout cela sous le regard outré des automobilistes, impuissants à arrêter l’énergumène.

Cramponné sur la banquette, la main crispée sur la poignée de la portière, la tête engourdie et la vue défaillante, Rolando sentait la nausée monter en lui, sous l’effet du roulis qui balançait ses entrailles d’un côté et de l’autre, comme le contenu d’un bidon à demi plein. Lorsque Sylvain, voulant quitter le boulevard de la Chapelle, donna un coup de frein sec avant d’amorcer le virage serré, Rolando se vit propulsé sur le siège du conducteur, en même temps qu’une violente convulsion lui arrachait le fond de l’estomac.

– L’enfoiré, il m’a dégueulé dessus ! s’écria Sylvain, tâtant le filet d’écume visqueuse qui lui glissait sur la nuque, et il se retourna vers Janine. Reste pas là à me regarder, bêtasse ! Essuie-moi ça !

Sylvain prit la rue Max Dormoy et fonça sur la Porte de la Chapelle. Il demanda à Janine d’allonger le bras hors de la fenêtre et d’agiter un mouchoir en signe de détresse. Il klaxonnait furieusement afin d’avertir les autres usagers qu’il transportait un malade en danger de mort ; il faisait office d’ambulancier, et de ce fait, avait droit à la priorité de passage.

Dès lors, il n’y eut plus de feux, plus de panneaux réglant sa conduite. Il faisait du slalom au milieu des voitures, n’hésitait pas à déborder sur la voie de gauche roulant en sens interdit.

Cent mètres derrière, le gyrophare se répandant en éclats bleus, tous feux allumés, toutes sirènes hurlantes, une voiture de police jouait le même jeu au milieu de la circulation, mais elle ne parvenait pas à rattraper le fugitif.

Arrivé porte de la Chapelle, délaissant l’autoroute du nord et le périphérique, Sylvain s’engagea dans les rues de banlieue, et il fonça en direction de Saint-Denis. Les autres véhicules se rangeaient à son approche. Les gens se retournaient pour suivre cette voiture qui roulait à tombeau ouvert, un mouchoir flottant à la fenêtre et klaxonnant sans arrêt.

Soudain, Sylvain dit à Janine de rentrer le mouchoir. Il avait éteint les feux de détresse et cessé de klaxonner, se rendant compte qu’il guidait la police lancée à ses trousses et dont la sirène retentissait de plus en plus près. Devant la station de métro porte de Paris, il s’arrêta brutalement, puis il abandonna de la voiture et disparut avec sa compagne dans les entrailles de la Terre.

Au lieu de s’élancer derrière le couple qui décampait sans se préoccuper de lui, Rolando, accaparé par les haut-le-cœur qui le prenaient à la gorge, ne saisit pas immédiatement la situation délicate où il risquait de se retrouver. Quelques instants plus tard, ce fut la puanteur nauséabonde, devenue insupportable, qui le pressa de quitter le véhicule.

Gagnant le siège du conducteur pour quitter le véhicule, il s’aperçut que le moteur tournait. La tentation de reprendre la fuite à son compte traversa son esprit comme un éclair. Il y renonça, néanmoins, sans hésitation ni regret. Il n’avait pas ouvert la portière qu’un policier braquait sur lui un pistolet. Il se dressait à deux mètres de la voiture, les jambes écartées, le regard fixe, tenant l’arme au bout des bras tendus qui tremblotaient nerveusement.

– Les mains sur le volant, mets tes mains sur le volant !

Rolando obtempéra aussitôt, tandis que son cœur s’affolait. Un deuxième policier, un hercule, celui-ci, dont la taille montait bien de deux képis au-dessus de la moyenne, ouvrit la portière résolument. Il accrocha Rolando aux aisselles de ses paluches aussi solides que des grappins d’abordage, et il l’arracha du siège brutalement. Rolando tomba sur ses genoux, il dut s’appuyer des mains sur le bitume brûlant, la tête inclinée sur la poitrine.

– Lève-toi, bougnoule ! Je peux t’aider si tu veux, dit le policier qui le tenait toujours sur la menace de son arme.

Rolando fit un effort pour se remettre debout. Ses jambes flageolaient, la lumière du jour l’étourdissait, et il vacillait comme un homme ivre. Soudain, il s’inclina le visage congestionné, et le vomissement jaillit au milieu du masque de sa souffrance, éclaboussa les bottes de l’agent qui bondit en arrière, caressant de trop près la détente. Un coup de feu retentit ; une balle siffla entre les jambes de Rolando, percuta l’asphalte et atteignit par ricochet la carrosserie de la voiture.

Le chef de la patrouille, un brigadier de la trempe des braves, accourut prestement. Il s'était accroupi pour regarder les dégâts causés à leur véhicule par une embardée qu’il avait faite, quelques minutes plus tôt, renversant plusieurs poubelles qui se vidèrent à moitié sur la chaussée, lorsque le coup de feu lui fit craindre le pire.

Rejoignant les deux agents placés sous ses ordres, il avait les sourcils relevés et l’expression sévère.

– Je ne peux pas vous laisser seuls un instant. Est-ce la chaleur qui vous trouble la cervelle ? Ce n’est pas lui le chauffard, voyons ! dit-il, montrant Rolando du regard.

Il s’adressa à ce dernier sur un ton mesuré, mais ferme :

– Où est passé le couple qui était assis à l’avant ?

D’un geste lent qui dénotait sa grande lassitude, Rolando lui indiqua la bouche du métro.

Le brigadier s’y précipita aussitôt. Dévala l’escalier en balle de ping-pong, sautant plusieurs marches à la fois, et, quand il arriva sur le quai, il aperçut la dernière voiture d’une rame de métro qui filait emportant les deux fuyards.

Il songea à l’agent qu’il avait laissé étendu sur le bitume, un peu sonné. Le chauffard qui l’avait renversé venait de prendre le large, l’affaire se compliquait brusquement, il n’avait plus à sa disposition qu’un témoin passablement perturbé. Remontant l’escalier, il se reprochait d’avoir laissé ses subordonnés agir seuls.

Entre-temps, en surface, les agents Hercule et Gibbon, appelons-les ainsi, donnaient libre cours à leur agitation. Le premier tournait en rond, le portable plaqué sur l’oreille, tandis que Gibbon donnait des coups de pied furieux sur la BMW, tout en jetant des regards hostiles sur Rolando. En vain, il l’avait interrogé sur le couple qui s’était enfui. Le jeune homme s’était adossé à la voiture ; bientôt, il se laissa glisser insensiblement sur la tôle, et il s’assit par terre, le front sur les genoux.

Le brigadier, l’air interrogatif, fixa les deux policiers. Hercule rangea le portable, puis regarda Gibbon, avant de se décider à parler.

– Mauvaises nouvelles, Régis, on a emmené Fred à hôpital, il est dans le coma, et les médecins réservent leur pronostic, pour l’instant.

Le brigadier fit la grimace, accusant le coup, ses traits se durcirent.

– Arrêter le chauffard qui l’a renversé, cela aurait été la meilleure preuve d’amitié que nous pourrions lui témoigner. Vous auriez pu l’avoir si, au lieu de vous intéresser à ce pauvre bougre, à moitié sonné par la chaleur et l’alcool, vous vous étiez lancé à sa poursuite.

Devant les remontrances du brigadier, les deux agents se regardèrent quelque peu gênés aux entournures. Indiquant Rolando d’un bref mouvement de la tête, Gibbon croyait tenir le fil qui les mènerait auprès de Sylvain.

– Il peut nous dire l’endroit où le trouver, dit-il.

Le chef de la patrouille eut d’abord un sourire désabusé, puis il prit une expression où se mêlaient amertume et ironie.

– Tu as raison, je n’y avais pas pensé. A l’heure qu’il est, le chauffard a dû rentrer chez lui. Je le vois confortablement assis dans un fauteuil, les pieds dénudés posés sur le guéridon, et il boit une bière, je crois. Surtout, ne touchez pas au jeune homme, dit-il parlant de Rolando, péremptoire, avant de s’en aller vers le café le plus proche.

Se retrouvant seuls, Hercule et Gibbon se dirent leur mécontentement. Ils en avaient par-dessus le képi. Le brigadier ne perdait pas une occasion de les railler, parfois devant témoin. Il se croyait un type supérieur sur le plan humain, s’était forgé un code de conduite qui s’accordait mal avec une action policière rapide et efficace. Il fallait être correct vis-à-vis des délinquants, ne jamais oublier le respect dû à la personne humaine. C’était à la justice de les juger et de leur infliger la punition correspondante aux méfaits commis. Ils en venaient à se demander s’ils étaient agents de l’ordre public ou militants d’Amnesty Internationale. Gibbon était le plus sévère envers leur chef hiérarchique. S’il se retenait pour le moment, c’était par crainte qu’il ne couche sur son rapport sa piètre maîtrise des armes, mais le brigadier ne perdrait rien pour attendre, il trouverait bien un expédient pour lui porter la poisse.

Revenant du café, le brigadier tenait à la main une bouteille d’eau fraîche, à en juger par la buée qui changeait son aspect. Il s’accroupit au pied de Rolando qui n’avait pas bougé.

– Tenez, buvez à petits coups, sans avidité, et rafraîchissez-vous un peu la figure, dit-il lui donnant la bouteille.

Il sortit une boîte de la poche, donna deux comprimés au jeune homme :

– Prenez ça, c’est des vitamines, vous serez vite sur pied.

Rolando obéit sans broncher. Un rapport de confiance semblait s’établir entre les deux hommes. Dès qu’il parut quelque peu requinqué, le brigadier lui demanda ses papiers, qu’il regarda attentivement. Ayant vérifié qu’ils étaient en règle, il voulut savoir si l’adresse qui figurait sur la carte de séjour correspondait bien à son domicile actuel. Comme le jeune immigré répondit par l’affirmative, le policier rangea les papiers dans la poche de sa chemise. Il retira ensuite un bloc-notes de la poche arrière de son pantalon et se mit à l’interroger sur la nature des relations qu’il entretenait avec le conducteur de la BMW. Et d’abord, est-ce qu’il savait son nom et adresse ?

Rolando répondit volontiers à l’interrogatoire du policier. Il lui dit le peu qu’il savait sur Sylvain. Il courait après lui, tel un démarcheur coriace, essayant de lui vendre par tous les moyens un contrat de travail en Australie. Le brigadier ne voulut pas en savoir davantage s’apercevant que la déposition du jeune homme, qu’il croyait sincère, n’était pas déterminante pour la suite de l’enquête.

Entre-temps, comme Rolando cherchait parfois ses mots à cause de la fatigue qui semait de trous sa mémoire, Gibbon estimait qu’il fallait l’emmener au poste. On l’y aiderait à se rappeler les détails essentiels qu’il oubliait volontairement. Hercule opina du képi sans hésiter, et il ajouta en substance qu’il se chargerait de lui faire vomir tout ce qu’il avait dans les tripes.

– C’est-à-dire, rien de bien consistant, dit le brigadier sur un ton persifleur, prenant au sens propre l’image employée par l’agent. Et il décida de prendre le contre-pied de la suggestion émise par ses subordonnés.

Il ordonna au jeune homme de monter dans le véhicule, sur la banquette arrière, à côté d’Hercule. Au lieu de l’emmener au commissariat, il le déposa devant son domicile, vérifiant ainsi, sans en avoir l’air, qu’il habitait bel et bien à l’adresse indiquée sur la carte de séjour.

Enfin, avant de le relâcher, le brigadier dit à Rolando qu’il gardait ses papiers afin d’en vérifier l’authenticité. Pour les récupérer, il lui suffirait de se rendre au commissariat du XVIIIe arrondissement, le lendemain après-midi.


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Auteur

J.L.Miranda

04-08-2017

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Soleil d'août appartient au recueil Romans

 

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