"Soleil d'août" est une grande nouvelle mise en ligne par
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J. L. Miranda Soleil d'août On est en août 2003, la canicule fait des ravages, particulièrement à Paris. Le héros de ce roman doit s'y rendre, il a été convoqué par la police à cause d'une histoire de meurtre à laquelle il est mêlé malgré lui. Il est asthmatique, la canicule et la pollution risquent de lui être fatales. Mais il est prêt à affronter le danger, d'autant plus volontiers qu'il espère rencontrer une femme dont il est amoureux. 1 Un jour étouffant Un matin d’août, vers midi, la radio annonça que la vague de chaleur qui enflammait l’Europe avait fait sa première victime à Paris. Il s’agissait d’un jeune homme âgé de trente-six ans, souffrant de déshydratation et d’insuffisance respiratoire, qui venait de décéder à l’hôpital Necker. Les médias ne donnèrent guère d’importance à ce fait qui, à vrai dire, passa presque inaperçu. Personne ne se doutait alors qu’on était au début d’une véritable hécatombe. Rolando était un immigré portugais qui habitait Saint-Denis, dans une cité HLM. Il jouait avec sa petite fille quand la radio diffusa brièvement l’information, à laquelle il ne prêta aucune attention. Il marchait à quatre pattes, le torse nu, portant sa petite fille sur le dos ; et, pour amuser l’enfant qui riait aux éclats, il secouait la tête hennissant comme un cheval rétif, lorsque la petite cavalière donnait des coups de talon sur ses flancs. De temps à autre, Rolando interrompait le jeu pour aller surveiller la casserole qu’il avait sur le feu, car il faisait la cuisine après avoir rangé l’appartement. Sa femme, Luisa, était partie faire le ménage dans une pharmacie. Elle rentra en nage un peu plus tard, pestant contre la canicule qui accablait le monde, l’empêchant de vivre normalement. Le déjeuner était servi, ils se mirent à table. Vianella, comme d’habitude, prit place à côté de son père qui devait veiller à ce qu’elle mange proprement ; sa femme, qui négligeait de l’initier aux règles du savoir-vivre, leur jetait des coups d’œil en biais, l’air renfrogné. Le couple se montrait peu loquace, distant même, on n’entendait guère que le tintement des couverts et le babillage de l’enfant. Une fois, Luisa sortit de son mutisme pour reprendre sa fille qui avait laissé tomber sa fourchette. Elle en profita pour censurer indirectement son mari qui gâtait la gamine, cédant à ses petits caprices ; puis elle baissa de nouveau les yeux sur son assiette, l’expression maussade et le regard sombre. Elle était rongée par de mauvais sentiments à l’endroit de Rolando qu'elle soupçonnait d'avoir une maîtresse. Celui-ci mangeait trop vite, lui qui aimait à se rappeler la sagesse de son grand-père, quand il disait qu’on ne perdait jamais son temps à table. Avant que sa compagne ne lui ait fait la remarque, il justifia sa hâte en disant qu’il devait impérativement se rendre à Paris. Luisa suspendit sa fourchette à mi-chemin entre l’assiette et sa bouche ; puis, jetant des regards inquisiteurs à son mari, la déposa bruyamment. – Il vaut mieux que tu loges sur place, ça te fera des économies. Paris, Paris ! Tu passes la moitié de ton temps à Paris ! s'écria-t-elle d’une voix aigre, tremblante de colère. Rolando s’efforça de rester serein, il lui expliqua que la raison qui l’obligeait à se rendre à Paris, malgré la chaleur insupportable. Son déplacement avait trait à ses ennuis, la veille, avec la police. On lui avait donné rendez-vous dans un commissariat à deux heures de l’après-midi. A priori, ce n’était qu’une simple formalité qui ne devait pas être longue, mais comme ils avaient besoin de changer d’air, il en profiterait pour demander dans les agences de voyages s’il y avait encore des billets d’avion disponibles. Il avait bon espoir de partir en vacances dans leur pays natal. Le Sud-Express était rempli jusqu’en septembre, leur voiture ne tiendrait pas la distance, et il n’était pas question de partir en car. Il avait juré la dernière fois qu’il ne le prendrait plus. Peut-être qu'il arriverait à dénicher des places dans un charter ; ce serait magnifique pour eux, ils iraient passer deux semaines dans une atmosphère autrement plus calme et revigorante. Bien qu’adoucissant sa hargne devant la perspective du voyage dont elle rêvait depuis un an, Luisa ne tut pas pour autant ses critiques sur le comportement de son mari. Il était un égoïste qui ne pensait qu’à son avenir ; elle en avait assez de rester toute seule à la maison, tandis qu’il ne vivait que pour ses rêves d’ascension sociale. Il suivait des cours du soir, voulait réussir son bac dans le but de poursuivre des études supérieures ; et il n’hésitait pas à délaisser sa famille pour courir après ses illusions. Rolando fit la sourde oreille, refusant d’entrer dans l’interminable querelle qui l’opposait à sa femme. Il désirait s’instruire avec l’espoir de s’élever au-dessus de sa condition d’immigré ; elle aurait préféré, pour sa part, qu’il reste comme il avait toujours été, un simple ouvrier, sans autre ambition que le bonheur des siens. Il avait beau lui répéter que son éventuelle réussite en profiterait à eux trois, que c’était aussi pour sa famille qu’il voulait sortir de la misère où il était venu au monde, elle ne croyait pas un mot de ce qu’il lui racontait. Enfin, il sortit de table et, après avoir embrassé Vianella, s’apprêta à partir. Dehors, la température avait encore grimpé, le thermomètre frôlait maintenant les quarante degrés à l’ombre – l’ombre comme un voile à l’impalpable fraîcheur, rapetissée au pied de l’immeuble, sous le soleil qui tombait presque d’aplomb.
Rolando sortit un mouchoir de la poche et s’essuya le front, étouffé par l’air épais, brûlant, qui fondait sur le bitume. La nature était engourdie sous la chaleur, pas une feuille ne bougeait alentour. Le peuplier qui s’élevait à l’entrée de la cité semblait figé dans un garde-à-vous solennel. Levant la tête vers le firmament, Rolando dut aussitôt entrebâiller les paupières, afin de protéger ses yeux contre les flammes du vaste incendie, dont il sentait les suffocantes réverbérations. La voûte céleste était recouverte d’une couche gris cendre de gaz délétères. Elle captait le rayonnement solaire, tel un couvercle sur un chaudron, en redoublait l’intensité. « Si ça monte encore d’un cran, se dit Rolando effrayé, la matière facilement combustible risquant de s’enflammer, la terre deviendra un brasier apocalyptique, que seule une pluie diluvienne pourra maîtriser. » Entre-temps, les fontaines se tariraient une à une, les cours d’eau verraient leur débit s’affaiblir jusqu’à l’épuisement total. Alors, dénudé jusqu’à l’os, le lit des fleuves crierait sur ses galets incandescents l’hécatombe de la vie aquatique. Comme il était sujet à des crises d’asthme, se dit-il, poursuivant ses réflexions sur le chemin de la gare, il serait bien plus en sécurité chez lui, derrière les volets de son appartement. C’était insensé de sortir sous cette fournaise, mais il devait se rendre au commissariat où il espérait récupérer les permis de séjour et de travail que la police lui avait confisqués. La veille, il s’était rendu à Paris dans l’espoir de rencontrer une jeune femme qu’il avait perdue de vue depuis un bout de temps, et il avait fini les mains sur la tête, un pistolet braqué droit sur sa poitrine. Un flic l’avait fouillé comme un malfaiteur. Il dut subir un interrogatoire humiliant. Il était portugais de souche, mais il avait une tête de bougnoul qui suscitait des excès de zèle chez les flics. Lorsqu’il rentra à son H.L.M., l’âme brisée, il prit conscience qu’il se trouvait probablement, malgré lui, mêlé à une ténébreuse affaire dont il ne connaissait pas les tenants ni les aboutissants. L’aventure où il se trouvait embarqué était tout simplement incroyable, se dit-il dans le train de banlieue qui le ramenait à Paris. Il regardait le paysage déprimant qui se déroulait le long de la voie ferrée : des immeubles déshumanisants où logeaient des déracinés comme lui, des talus découpés à la pelleteuse où s’accrochaient quelques buissons. Il voyait de temps à autre défiler des terrains vagues, recouverts d’une végétation rabougrie, figée dans le lourd silence peuplé de grésillements de feu : « De l’eau ! De l’eau ! » semblait-elle supplier.
Il étouffait, il allait mourir la gueule béante, comme les poissons dans une nasse sortie de l’eau, pensait Rolando, s’efforçant de ne pas croire aux pensées noires qui le harcelaient. L’espace était une énorme fournaise blanchâtre, des chariots pleins de charbons ardents s’y entrechoquaient en permanence, tandis que sous l’écorce desséchée de la terre couvait la stérilité du désert. « Le soleil est malade, il a une fièvre d’enfer ; s’il continue de taper comme ça sur nos cafetières, on va tous rôtir comme des poulets », plaisanta un drôle au fond de la voiture. Un bébé se mit à gémir attirant l’attention de Rolando, qui se rapprocha pour le regarder de plus près. Le nourrisson haletait respirant avec difficulté, sa petite bouche ouverte et la langue minuscule pointant entre ses lèvres. – Votre bébé se déshydrate dangereusement, madame, donnez-lui à boire, dit-il debout entre les sièges. – Il a de la fièvre, je vais l’emmener chez le toubib, répondit la maman, une adolescente au visage défraîchi, émacié, par les veilles et les soucis. – Mais donnez-lui de l’eau en attendant. – Mais je ne fais que ça, monsieur, il n’en veut pas, reprit-elle levant sur Rolando un regard exaspéré. – Ne prenez pas mal ce que je vous dis, madame, j’essaie seulement de vous faire profiter de mon expérience. Votre bébé serait plus à l’aise déshabillé ; tenez-le dans vos bras tout nu, juste avec la couche-culotte sur les fesses, et rafraîchissez-lui la peau avec un chiffon imbibé d’eau, fit Rolando avant de regagner sa place, l’air songeur. Il voyait sa petite Vianella sous la canicule, couchée dans un couffin posé à même la banquette arrière de la voiture. Il roulait alors sur la N10, englué dans des bouchons interminables. Sa petite fille, âgée de deux mois, souffrait dans la cohue des voitures sous un ciel de feu ; elle gigotait exprimant son malaise par de faibles gémissements, la petite bouche ouverte, la langue minuscule pointant entre ses lèvres desséchées. La tôle de la voiture était si brûlante qu’on aurait pu y griller des sardines, avait-il dit à sa femme, après avoir posé la main sur le capot, tandis que Vianella gémissait toujours la petite bouche ouverte, la langue minuscule pointant entre ses lèvres desséchées, malgré l’eau dont Luisa l’abreuvait régulièrement. « Quel irresponsable j’étais alors ! Ma petite fille aurait pu mourir à cause de la canicule », se dit Rolando, et il se rendit compte qu’il avait pensé à haute voix, quand il vit l’air étonné des voyageurs qui l’entouraient. Troublé par les regards interrogatifs qu’on lui jetait à la dérobée, le prenant peut-être pour un fou, il regagna la plate-forme du train et se mit à guetter le quai, qui ne tarda pas à apparaître au bout du tunnel. Maintenant qu’il avait quitté la gare souterraine et marchait dans les rues de Paris sous la chaleur accablante, Rolando se remémorait les faits qui lui valurent la confiscation de ses papiers. Il essayait de tout se rappeler depuis le début ; les policiers allaient sans doute l’interroger, ils voudraient savoir un tas de détails qu’il ignorait lui-même. Je n’ai fait de mal à personne, je n’ai rien à me reprocher, se répétait-il dans sa tête, sentant qu’il sortirait difficilement de l’impasse où la malchance l’avait poussé. On ne pouvait pas lui reprocher de flâner dans le quartier des Halles, sans but précis, et de croiser Sylvain Rato au coin de la rue Berger. Sylvain était un compatriote qu’il avait rencontré dans une kermesse organisée par une association d’immigrés portugais. Il était un enjôleur farfelu, un manipulateur en somme, qui se prétendait être en mesure de lui trouver un contrat de travail mirobolant en Australie. Rolando s’était retrouvé près de lui par hasard, au milieu de la rue. Sylvain lui toucha l’épaule du bout des doigts pour attirer son attention, puis ils se serrèrent naturellement la main. Son compatriote affichait un large sourire, content de le retrouver, et il l’entraîna dans un coin ombreux où ils pouvaient causer un peu, à l’écart des bousculades de la foule. Il était trois heures de l’après-midi, le soleil bombardait la France de sa fureur calamiteuse. La vague de chaleur qui s’abattait sur le pays nourrissait toutes les conversations sur les terrasses des cafés. Des incendies ravageaient des paysages magnifiques dans le sud du pays ; les paysans criaient au désastre craignant pour leurs récoltes ; partout, la consommation d’eau était restreinte aux besoins essentiels, tandis qu’à Paris, la Seine atteignait son niveau le plus bas. Les médias mettaient la population en garde contre le risque d’insolation ; les vieux ainsi que les enfants et les personnes souffrant d’insuffisance respiratoire devaient rester chez eux ; par ailleurs, il fallait boire beaucoup d’eau pour prévenir le risque de déshydratation, et, en même temps, prendre des aliments riches en sels minéraux pour compenser les pertes dues à la transpiration. |
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Soleil d'août
appartient au recueil Romans
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