Connexion : supprimer Ou

Soleil d'août - Grande Nouvelle

Grande Nouvelle "Soleil d'août" est une grande nouvelle mise en ligne par "J.L.Miranda".. Rejoignez la communauté de "De Plume En Plume" et suivez les mésaventures de Rolando et cie...

Venez publier une grande nouvelle ! / Protéger une grande nouvelle

Page : Lire Précédent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Lire la suite

2

Mauvaise rencontre

Sylvain invita Rolando dans un café, il commanda du champagne et une bouteille d’eau à la demande de ce dernier. Lorsqu’ils furent attablés, il se mit à parler de la situation de leurs compatriotes qui travaillaient en France dans des conditions précaires. Il raconta l’histoire d’un malheureux qui était employé au noir et avait fini empalé sur l’armature métallique d’un chantier. Fronçant les sourcils, le geste grave, il se dit indigné devant l’attitude de l’employeur qui n’avait accordé aucune indemnisation à la veuve, même pas une subvention pour transporter le défunt dans sa terre natale.

Naturellement, cette histoire amena Sylvain à tisser des éloges aux pays d’immigration où les travailleurs étrangers étaient bien accueillis, protégés, respectés par tous, rémunérés généreusement. Puis il relança Rolando sur le contrat de travail qu’il pouvait lui trouver au Canada, s’il ne voulait pas partir au bout du monde.

Comme Rolando voulait rentrer chez lui, estimant que sa femme devait être inquiète, car il était descendu à Paris en sortant de l’usine, sans la prévenir, Sylvain lui offrit de le ramener en passant. Il devait se rendre à Epinay pour rencontrer deux de leurs compatriotes ; ils partaient le lendemain pour l’Arabie Saoudite, grâce au contrat qu’il leur avait trouvé. Les petits veinards allaient gagner quinze mille francs par mois, sans compter le logement gratuit et un billet d’avion deux fois par an, pour rentrer au Portugal où ils pouvaient profiter d’un mois de vacances payé double.

–Tu peux venir à Epinay avec moi, tu verras les deux gaillards qui font leurs valises. Tu peux leur demander ce qu’ils pensent de moi, et pourquoi ils me font confiance, dit Sylvain.

– Ma femme m’attend avec impatience, je te l’ai déjà dit, ce sera pour une autre fois, répondit Rolando se levant, comme pour s’en aller.

– Eh, attends un peu, mon ami ! Finissons quand même la bouteille. De toute façon, je te déposerai plus vite que le train, dit Sylvain, remplissant le verre de son interlocuteur.

Une jeune femme rousse, bien bâtie physiquement, l’air dégourdi d’une personne habituée à toutes sortes d’expédients, les rejoignit à la table du café. Avant de s’asseoir, elle gratifia Rolando de son plus charmant sourire. Sur la présentation de Sylvain, elle lui tendit la main oisive que le jeune immigré serra brièvement dans la sienne.

 Il fut encore question du Canada, de l’Australie et d’autres eldorados pour émigrés en quête de fortune, dans une conversation animée par Sylvain, qui jouait de son bagout comme un magicien crachant des pépites d’or. Rolando restait réservé devant la faconde de son compatriote, de sorte que celui-ci décida de sortir le grand jeu. Il sentait que le jeune homme ne s’embarquerait pas facilement dans des entreprises hasardeuses.

 – Je ne suis pas célibataire, j’ai une famille, dit Rolando. D’ailleurs, je me sens très bien ici. Il y a la paie, bien sûr, je ne serai pas mécontent qu’elle soit double ou triple. Mais, comme disent les chasseurs de mon pays, je préfère un perdreau dans la main plutôt que deux autres qui s’envolent au loin.

– C’est ce que disent tous nos compatriotes immigrés ici, avant d’expérimenter autre chose, rétorqua Sylvain. On manque de main-d’œuvre dans un pays comme l’Australie. C’est un pays neuf, en pleine expansion. On y brasse l’or à pleines poignées. La force de travail des étrangers y est indispensable, c’est pourquoi ils sont prêts, là-bas, à te choyer, tandis qu’en France on te donne juste de quoi survivre. Pourquoi ? Parce qu’on paie ici beaucoup de monde à ne rien faire, tu sais ? Du coup, les caisses sont vides, les avantages ne compensent pas la peine et les risques que nous courons, forcément.

– Je vais y réfléchir, mais je prendrai tout mon temps. Et puis, je ne te promets rien. Il me faudra d’abord convaincre Luisa qui n’est pas femme à se laisser emballer par des promesses.

 – Des promesses, comment tu y vas ! Mais tu auras en poche un contrat de travail dûment signé et certifié par le cachet d’un employeur, dit Sylvain, fronçant les sourcils.

– Vous devez en profiter tant que ça dure, dit la rousse. Les prodigalités de ces pays ne dureront pas éternellement. Il ne faut pas que vous ayez à vous dire plus tard, « Ah, si j’avais écouté Sylvain ! » Il ne veut que du bien à ses compatriotes. Je sais de quoi je parle, je l’ai vu mettre la main à la poche pour les tirer d’embarras.

– Peut-être bien. Mais, ce sera quand même à moi de décider si je veux ou non partir ailleurs. Vous ne m’obligerez pas à prendre quelque chose dont je ne veux pas, dit Rolando d’une voix irritée, le buste haut et le front plissé.

– Tu as tout à fait raison. Il faut donner du temps au temps, s’empressa de corroborer Sylvain. On ne peut pas partir en Australie comme on change de quartier. Bien sûr que tu dois réfléchir. J’essaie seulement de te faire prendre conscience des avantages que tu aurais ailleurs.

Il fit une pause, échangea un regard d’intelligence avec sa complice, avant de poursuivre.

– Janine a vécu en Australie pendant deux ans, elle connaît les conditions de vie particulièrement avantageuses de nos compatriotes, très appréciés là-bas pour leurs qualités de travail, d’ordre et d’endurance, conclut-il épiant l’effet de ses paroles sur le visage de Rolando.

Sylvain finit par comprendre que Rolando n’était pas encore assez mûr pour être cueilli. Il décida d’aller chercher sa voiture qu’il avait garée quelques rues plus loin, dans un parking souterrain, suivant ses dires. Il appela la serveuse et régla l’addition, puis demanda à ses invités de l’attendre dans le café où il faisait bien plus frais que dehors. Enfin, décochant un clin d’œil à la jeune femme, il dit à Rolando qu’il le laissait en charmante compagnie. 

Rolando resta seul avec la jeune femme qui, tout à son aise, se tenait devant lui dans une attitude engageante. Elle commença par élargir d’un bouton supplémentaire l’échancrure de son chemisier, laissant voir le soutien-gorge de satin rouge aux bonnets trop petits, qui lui soulevaient les seins, parsemés de taches de son comme son visage. Puis elle se mit à parler de la canicule. C’était insupportable ; on ne pouvait pas vivre longtemps dans cette fournaise qui alourdissait l’atmosphère dans les maisons, jusqu'au petit matin, empêchant les gens de se reposer.

Rolando acquiesça d’un signe de la tête, et il ajouta que les conséquences dues au rayonnement solaire d’une intensité exceptionnelle – on avait déjà signalé certains cas significatifs – ne seraient pas seulement matérielles, mais aussi psychologiques, tout au moins chez les sujets fragiles. Cela se traduisait par un changement de comportement de certaines personnes qui s’affranchissaient allégrement des tabous et n’hésitaient pas à passer outre les conventions sociales.

Ils continuèrent de discuter dans un remarquable esprit de conciliation, chacun abdiquant de l’affirmation de soi au profit de l’entente. La jeune rousse avait défait un nouveau bouton pour charmer Rolando, qui mordit franchement à l’appât, s’oubliant dans le rêve insensé de les caresser. Il ne s’inquiétait plus du temps qu’il faisait ni de sa femme qui, guettant son arrivée, devait se morfondre à la fenêtre.

L’excitation le rendit volubile et audacieux. Il exprimait confusément son désir par des entrelacs changeants où son verbe chaleureux se conjuguait avec des gestes et des jeux de physionomie. A présent, son univers ne dépassait pas la table où il s’appuyait des coudes. Il vibrait d’émotion, le regard versatile, fasciné par les taches de rousseur qui scintillaient comme des étoiles sur la poitrine de la jeune femme. Il la voyait délicieusement disponible, aussi vive et pétillante que le champagne qu’il avait bu et qu’il aurait l’impression de boire encore, s’il pouvait l’étreindre jusqu’à tomber ivre mort.

Soudain, on entendit klaxonner dans la rue. Rolando, l’air contrarié, suivit le regard de jeune femme qui cherchait à travers la vitre la berline noire. Elle était étincelante, à l’intérieur luxueux, pourvu de sièges en cuir et d’un tableau de bord rehaussé par des garnitures de noyer verni. Sylvain leur faisait signe de le rejoindre, poussant la tête hors de la fenêtre et agitant le bras, visiblement pressé.

Montant dans la voiture, Janine échangea plusieurs regards avec Sylvain, dans une sorte de jeu de miroirs par lequel la rousse transmit à son compagnon le message suivant : « Il est à point. »

Entre-temps, assis sur la banquette arrière, Rolando reniflait l’air ambiant qu’il sentit imprégné d’une odeur nauséabonde. Il inspecta chaque recoin des yeux, pressa le siège et souleva les tapis comme s’il recherchait un cadavre, se disant que l’auto n’était pas saine, puisqu’elle sentait la pourriture et la mort.

Comme la voiture se mit en mouvement, la puanteur s’estompa sous le tourbillon d’air qui balayait l’habitacle, mais dès qu’elle s’arrêtait un moment, le relent de caveau ouvert revenait. Rolando pinçait les narines discrètement, tandis que le malaise gagnait lentement ses entrailles, et il s’interrogeait sur la personnalité de Sylvain qu’il connaissait à peine. Etait-ce un homme honnête ou un trafiquant sans scrupules ?

Sylvain remonta le boulevard de Sébastopol à vive allure. Dessoûlé par la puanteur qui l’écœurait, Rolando eut le bref loisir d’une évocation rétrospective du contenu de sa conscience depuis la rencontre de son compatriote, tout en observant le profil de Janine. Elle malaxait du chewing-gum d’une mâchoire allongée et laborieuse de chèvre broutant les tendres pousses des bruyères. Il put remarquer la répercussion du mâchement obstiné de la gomme sur les muscles faciaux, qui vibraient jusqu’à la racine du nez, trop gros entre les joues étroites de la jeune femme.

Rolando voyageait assis derrière le conducteur. Il continuait malgré lui de regarder la tête de Janine, et celle-ci, comme si elle sentait le regard du jeune homme lui chatouiller la nuque, renversa la tête en arrière et leva les bras dans un étirement lascif. L’instant d’après, d’une façon tout à fait inattendue, elle bondit comme une chatte se mettant sur les genoux, pour se pencher par-dessus le dossier de son siège. Le brusque balancement du buste en avant découvrit jusqu’aux mamelons les taches de rousseur, qui se mirent à briller de mille feux dans la tête de Rolando, bouleversé par le grésillement électrique du désir dans ses veines.

– Ça va derrière, jeune homme ? dit la rousse d’un air engageant. Il fait trop chaud, n’est-ce pas ? Euh, mais tu as une drôle de tête ! Tu es fâché contre moi ? Allons, ce n’est pas gentil ! Fais-moi un sourire, dit-elle, mimant un photographe.

  Après le frémissement de désir qui ceignit ses reins lui aiguillonnant les sens, Rolando resta coi, droit tout d’une pièce, calé contre le dossier de la banquette. A cet instant, ses yeux vides de pensée reflétaient son malaise.

L’air ironique, Sylvain suivait la scène dans le rétroviseur par petits coups d’œil successifs, tout en se jouant des règles de circulation pour avancer plus vite. D’une pression de la main sur l’épaule, il encouragea Janine à s’installer derrière, ce qu’elle fit volontiers franchissant d’une enjambée l’espace qui la séparait de Rolando.

– J’espère que tu vas me causer un peu. Tu étais bien plus bavard tout à l’heure, dit-elle voilant partiellement ses charmes.

– Je n’ai rien à dire, je veux rentrer chez moi, dit Rolando agacé de l’entendre le tutoyer tout à coup, à la manière des putes.

Partager

Partager Facebook

Auteur

J.L.Miranda

04-08-2017

Lire Précédent Lire la suite
"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Lire/Ecrire Commentaires Commentaire
Soleil d'août appartient au recueil Romans

 

Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.