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Bourricot - Scénario ou Pièce de théâtre

Scénario ou Pièce de théâtre "Bourricot" est un scénario ou pièce de théâtre mis en ligne par "J.L.Miranda"..

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SCENE VI

 

BOUR, seul.

 

Il s’affaisse sur le divan, prend le visage entre ses mains ; puis il relève la tête, l’air rêveur ; enfin son visage s’illumine. Il se relève, le cœur plein d’espoir.

 

BOUR – Je suis sûr qu’elle m’aime encore. « Bats-toi, Michel, l’amour te récompensera ! » qu’elle m’a dit. Aussi, elle est disposée à faire compagne avec moi, comme par le passé. Seulement, elle refuse de vivre enfermée dans le carcan du mariage. Oh ! qu’à cela ne tienne ! J’ai un plan qui doit lui convenir. Nous divorçons à l’amiable, suivant ses exigences, puis je lui propose de rester ensemble en union libre. Chacun dans sa maison, si elle préfère, comme Simone et Jean-Paul. Je lui rendrai visite les soirs qu’elle sera disposée à me recevoir. Voilà une bonne façon, me semble-t-il, de faire cohabiter l’amour et la liberté.

 

SCENE VII

 

BOUR, ARLETTE

 

Arlette paraît à la porte du fond ; elle pose à côté du téléphone le porte-monnaie qu’elle tient à la main.

 

ARLETTE (comme se parlant à elle-même) Il m’a semblé un peu déçu. Tant pis ! (S’adressant à son mari, qu’elle rejoint au milieu de la scène, sans se rendre compte tout de suite qu’il est en colère) Je n’ai pas été trop longue, je pense.

BOUR – Tu parlais de qui en rentrant ? (Arlette ne saisit pas le sens de la question) Tu parlais de quelqu’un, je t’ai bien entendu.

ARLETTE – Je pensais au facteur, voyons ! Cette fois, il n’a pas eu son petit café ; mais, je lui ai donné le pourboire quand même. Eh ! tu m’en fais une tête.

BOUR – Méfie-toi de ce zigoto. Il excelle dans l’art du faux-semblant. Difficile de trouver plus mystificateur que lui ; et, pour ce qui est des scrupules, ça ne doit pas le tourmenter.

ARLETTE – Ah, les grands mots ! Tu adores les grands mots. C’est un garçon gentil, attachant, toujours prêt à rendre service.

BOUR – Sa gentillesse n’est qu’un masque. Il a dû avaler le manuel du parfait comédien. Ici, il fait le fumiste ; là, il joue le postier charmant. Bien sûr, ses intérêts étant tout autres auprès de toi, il se glisse volontiers dans la peau d’un petit don Juan.

ARLETTE – Qu’est-ce que tu veux insinuer ?

BOUR – Le facteur dit avoir, je cite : « l’oreille large et l’ouïe très fine ». Sur toi et tes relations, il en sait plus que moi-même.

ARLETTE – Je l’ai pris pour confident. Chaque fois qu’il vient chez moi, je colle ma bouche contre son oreille et je me confesse à lui.

BOUR – Je ne plaisante pas. Il y a des choses que même les murs ne devraient pas entendre.

ARLETTE – Serais-tu jaloux du facteur ? Je trouve tes insinuations parfaitement grotesques.

BOUR – Il ne s’agit pas de jalousie ; si j’étais jaloux, je t’aurais tué au moins onze fois.

ARLETTE – Pourquoi onze fois ? Onze plutôt que dix, quinze, dix-huit ?

BOUR – Une fois pour chaque homme qui a partagé ton lit. Onze, ça fait quand même beaucoup en six mois.

ARLETTE – Comment as-tu pu les compter ?

BOUR – Non seulement je les ai comptés, mais encore j’ai leur nom et adresse.

ARLETTE – Et le facteur est aussi sur la liste ?

BOUR – Je ne suis pas sûr qu’il ait franchi le seuil de ton intimité. Pour le moment. Je me trompe ?

ARLETTE – Je n’en crois pas mes oreilles. Tu as engagé un détective privé pour me suivre jour et nuit ?

BOUR – Il ne me servirait à rien de connaître ton emploi du temps dans le détail. Il ne s’agissait pas de constater l’adultère, mais de te procurer les moyens de l’accomplir.

ARLETTE (ahurie, s’affaissant sur le canapé)Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris.

BOUR – Pourtant, c’est très simple. Je veillais à t’approvisionner en chair fraîche.

ARLETTE – Quoi ? M’approvisionner en...? Comment ?

BOUR – J’ai demandé à un séducteur cynique d’engager des mâles ayant le même profil que lui ; autrement dit, des étalons peu sensibles au côté sentimental des ébats amoureux. Leur mission, moyennant finance, consistait dans un jeu plutôt excitant. Chacun, à sa manière, devait s’appliquer à te séduire, et celui qui monterait le premier dans ton lit, verrait sa prime de base doublée.

ARLETTE (le visage défait, toute entière dans un tremblement) – Sale type ! Tu es malade ! Et moi qui commençais à m’apitoyer sur le sort de cette crapule ! Je te hais ! Je te hais de toutes mes forces ! Va-t’en !

Elle se met à pleurer doucement, sanglotant par intermittence.

BOUR – Dans une explication entre hommes, les poings ont souvent le dernier mot ; chez les femmes, la tension nerveuse a le sanglot comme soupape de sécurité.

ARLETTE (se relevant comme une furie) – Pourquoi m’as-tu fait cet affront innommable ? Pourquoi ? Est-ce que j’ai cherché à savoir les maîtresses que tu t’es payées ? Tu parles du manque de scrupules du facteur; et tes scrupules à toi, où sont-ils ? Tu n’as pas hésité à briser le mariage de Jean. As-tu seulement pensé à ses enfants ?

BOUR – Tu me hais ? Et moi aussi, je te hais. Et pourtant, que je fasse l’amour avec un million de femmes, ce sera toujours à toi que je penserai.

ARLETTE – Quel grand honneur pour moi ! J’aimerais que tu pisses du sang à chaque fois.

BOUR – Bien qu’odieuse, mon idée s’est avérée efficace. J’ai fait comme le pâtissier vis-à-vis de ses apprentis. Il les laisse manger des sucreries à volonté, car il sait qu’ils en seront bientôt dégoûtés pour toujours.

ARLETTE – Tu avais besoin de contrôler mes relations les plus intimes. Tu es un être méprisable, ignoble.

BOUR Qu’est-ce qui t’ennuie le plus dans l’histoire? Le fait de savoir que ton mari te fournissait des amants ? Ou la constatation que ton charme n’a jamais joué qu’un rôle mineur dans tes conquêtes ?

ARLETTE – Tais-toi, gros salopard. Si j’en avais la force, je t’écraserais comme un vers de terre !

BOUR – Tu sais maintenant à quelles turpitudes peut conduire le désespoir d’un homme délaissé par sa femme.

ARLETTE – N’essaie pas de te justifier, surtout pas. C’est la jalousie et le désir de vengeance qui t’ont fait agir de la sorte. Pas l’amour, non ! Pas l’amour !

BOUR – Je suis sans doute allé trop loin, je l’admets. Mais aurais-je pu, je te le demande, aurais-je pu exprimer ma folle passion autrement que dans la démesure ? Ce jeu pervers me permettait d’espérer ; je pensais que, lassée des cœurs volages, tu finirais par revenir chez toi, chez moi.

ARLETTE – C’est mal me connaître que de penser qu’un de ces jours, je pourrais retomber sous ta coupe. Ma haine sans bornes, c’est tout ce que tu as gagné. Je me réjouis d’assister à ta déchéance physique et morale, sans avenir, sans femme, sans amis, patraque, mal fichu !

BOUR – Le soir où j’ai eu la certitude que tu me trompais, j’aurais dû t’étrangler. Cette idée m’a poursuivi toute la nuit durant. Au matin, j’ai pensé qu’il fallait te donner l’occasion de te racheter. Je reconnais aujourd’hui que j’ai eu tort ce matin-là !

 

Accablé, Bour se dirige, la tête basse, vers la porte latérale. Arlette prend la porte du fond.

 

SCENE VIII

 

 

ARLETTE, RICOT

 

Elle revient avec des colis plein les bras. Elle fait plusieurs allers et retours. Enfin, ayant apporté tous les cadeaux reçus au fil des semaines, elle en fait une pile au milieu de la scène. Elle ne se rend pas compte de la présence de Ricot qui se tient en silence, sur le seuil de la porte latérale.

 

ARLETTE (la rage au ventre) – Avait-on jamais vu une aberration pareille ? Mes amants étaient tous à la solde de mon mari. Ah ! le maquereau ! Il me paiera cher cette humiliation.

 

 

Tout y est. Il y en a onze. Autant de cadeaux que de mâles engagés par mon mari. J’en ai reçu un par semaine, chacun étant expédié par l’un des onze séducteurs (elle prononce ce mot sur un ton persifleur) dans l’ordre exact de leur bref passage dans ma vie. A l’intérieur de chaque colis, je trouvais une lettre dactylographiée dont le contenu et le style étaient chaque fois différents, bien que le sujet soit toujours le même : l’évocation du plaisir de l’amour dans mes bras. (Elle prend une lettre au hasard) En voici un exemple :

« Je ne peux pas oublier le grain satiné de ta peau, sa frémissante douceur. Au fil des caresses, mes yeux se sont remplis de ton corps ; l’ardeur de tes lèvres manque à mes lèvres ; mes mains n’existent que pour mimer la nostalgie de tes mains.  Dans tes bras, j’ai connu l’ivresse de l’amour au plus haut degré. Le désir frémissait au bout de tes seins, le temps s’arrêtait autour de nous ; alors, pour moi, tu étais le principe et la fin de toutes choses. J’ai besoin de toi autant que de la lumière du jour ; autant que du pain qui me nourrit et de l’eau qui étanche ma soif ; et, si l’espoir de retrouver ton amour s’éteignait dans mon cœur, je n’aurais plus aucune raison de vivre. »

Bien sûr, toute cette comédie a été conçue et mise en scène par Michel. (après quelques instants de réflexion) Pour ma tranquillité, il vaudrait mieux que je m’en aille loin essayer de reconstruire ma vie. Mais serais-je capable de rompre les liens qui m’attachent ici ?

RICOT (se rapprochant d’Arlette) Tu as tiré le mauvais numéro à la loterie de l’amour. Quel crime as-tu commis pour mériter ce sort cruel ?

ARLETTE – J’ai juste voulu rompre les liens du mariage pour devenir une femme libre.

RICOT – J’ai peur que l’avenir ne te réserve encore bien des tribulations. Michel possède sur toi un dangereux pouvoir de fascination. Fuyons cette ville, Arlette, allons vivre loin d’ici.

ARLETTE – Fuir sans but précis, avec pour toute fortune une bonne provision de chèques en bois, nous mènerait dans une impasse. Mon instinct me dit de rester.

RICOT – Le but, je l’ai trouvé ; je ne te promets pas la fortune, mais nous pouvons, très bientôt, avoir nos comptes en banque suffisamment approvisionnés.

ARLETTE Débite-moi la carotte en petites rondelles, veux-tu ?  Que je puisse voir si elle n’est pas pourrie de l’intérieur.

RICOT – J’ai trouvé un producteur intéressé par nos sketches. Après avoir visionné la cassette que nous avons enregistrée, il s’est dit prêt à monter le spectacle.

ARLETTE – Et les termes du contrat, il t’en a parlé ?

RICOT C’est à Lyon que nous devons nous produire, dans un atelier désaffecté qu’on a aménagé en théâtre pour débutants, du côté de Parilly.

ARLETTE Nous y aurons comme public des fantômes en bleu de travail. Et la paye, avez-vous parlé de la paye ?

RICOT – Arrête ce défaitisme frustrant, ce ton désabusé ! Tu ne sais pas ce que tu veux, c’est énervant. Notre cachet dépendra du succès que nous obtiendrons, bien évidemment !

ARLETTE C’est-à-dire que nous serons payés au rendement ? Il nous prend une semaine à l’essai ; et, si l’affluence de la salle n’est pas suffisante, il nous vire sans préavis ni indemnisation ? Et, bien entendu, le voyage et le séjour à Lyon sont à nos frais.

RICOT – Oui, c’est un peu les conditions qu’il pose, mais, pour des débutants comme nous... ARLETTE – C’est une aubaine. Mon pauvre ami, tu es tombé sur un requin, qui n’aurait aucun mal à te dévorer.

RICOT – Je pense qu’il vaudrait quand même la peine d’essayer. Qui ne risque rien n’a rien. La cassette s’est quand même bien vendue, non ?

ARLETTE – Justement, j’y pensais. J’aimerais que tu ailles voir Jomard et que tu lui demandes où en sont nos affaires. Si nous allons à Lyon, il nous faudra de l’argent.

RICOT – Et le producteur ? Il faut que je lui donne une réponse.

ARLETTE – Fais-le poireauter un peu. Demande aussi à mon propriétaire combien je lui dois exactement. Cela fait six mois que je ne paie pas le loyer. D’abord, il m’a envoyé une mise en demeure, puis plus rien.

RICOT – Peut-être qu’il a passé l’arme à gauche ? Et s’il n’a pas d’héritiers…

ARLETTE – Qui sait ? Cela soulagerait mon porte-monnaie.

RICOT – Ne rêve pas trop. Tu auras bientôt un huissier aux trousses. Nous pouvons toujours retourner au cabaret en attendant mieux.

ARLETTE – C’est un peu à la légère que nous l’avons quitté, je le reconnais.

RICOT – Nous étions tellement sûrs de réussir sur une scène ouverte sur le monde !

ARLETTE – Ce ne sera pas pour moi un grand bonheur que de revenir en arrière. Mais, je n’aurais peut-être pas le choix.

RICOT (regardant la pile de colis) Tu peux organiser une exposition-vente de produits de luxe ?

ARLETTE – Il n’en est pas question ! Je vais les renvoyer à l’expéditeur.

RICOT – Tu m’épateras toujours. (il attrape un colis, le retourne dans ses mains) Je ne pourrais jamais t’offrir des cadeaux pareils.

ARLETTE – Offre-moi une pensée affectueuse, joliment enchâssée entre trois mots que ton cœur t’aura suggérés ; ton cadeau me sera bien plus cher que ce tas de marchandises.

RICOT – Tu peux compter sur moi, je suis orfèvre en la matière.

ARLETTE (ayant une inspiration soudaine) – Jean, j’ai une idée. Appelle ton producteur et dis-lui que je souhaite le rencontrer. Si je réussis à le convaincre de nous faire une petite avance pour frais de séjour, nous pourrions tenter le coup.

RICOT – Un rendez-vous… ici ou quelque part, ailleurs ?

ARLETTE – Non, je préfère qu’il ait lieu dans son bureau.

RICOT – Tiens-toi prête. J’ai son numéro de téléphone, nous pourrons peut-être le voir encore aujourd’hui.

ARLETTE – Tu te tiendras à l’écart, je veux une entrevue seul à seul.

RICOT – D’accord, c'est comme tu voudras.

 

Ricot sort par la porte du fond.

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Auteur

J.L.Miranda

23-07-2017

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Bourricot appartient au recueil Théâtre

 

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