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Bourricot - Scénario ou Pièce de théâtre

Scénario ou Pièce de théâtre "Bourricot" est un scénario ou pièce de théâtre mis en ligne par "J.L.Miranda"..

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SCENE IV

 

BOUR, RICOT

 

Bour revient sur la scène par la porte latérale ; un instant après, Ricot y rentre par la porte du fond ; il siffle la marche de Radetzky et se déplace en dansant au rythme de cette musique.

 

BOUR (comme se parlant à soi-même) – Le revoilà ! (S’adressant à Ricot) Décidément, tu passes le plus clair de ta vie chez ma femme. Tu as pris pension ici ?

RICOT – Chaque jour, nous nous découvrons de nouvelles affinités ; nous sommes animés par le même élan. Ensemble, nous nous sentons capables de réinventer le monde.

BOUR – Hum ! changer le monde ? Chez les personnes frustrées, les rêves de l'adolescence refont surface avec l’âge. La vie te sourit joyeusement, l’avenir te fait d’heureuses promesses, n’est-ce pas ?

RICOT (caressant sa moustache) – Je ne trouve pas de mots pour exprimer tout le bonheur que j’éprouve auprès d’Arlette. Le temps s’arrête quand elle est là ; le temps n’a plus d’importance ; entre l’aube et la brune, il n’y a que l’espace d’un baiser.

BOUR – Je vois, tu vis sur un nuage. Mais, rien n'est plus éphémère qu’un nuage. Il suffit d’un orage : ton nuage crève et tu retombes aussitôt dans la grisaille de ton ancienne vie.

RICOT – Je comprends ton amertume, Michel. Mais, pourquoi te morfondre ? Cela ne t’avance à rien ? C’est la vie, mon vieux ! Une fois tu gagnes, une autre fois tu perds ; cela a toujours été comme ça, depuis que l'homme est apparu sous le soleil. Regarde-toi, tu n’es plus que l’ombre de l’homme que tu as été.

BOUR – Personne n’y peut rien, mais le cœur peut tout, lui. Il suffit d’une étincelle pour rallumer le feu de la passion.

RICOT – Tu aurais dû divorcer, puis essayer de refaire ta vie. J’étais dans une situation pire que la tienne. Claudine s’est fait engrosser par un salaud que je ne connaissais même pas. Tout le monde est au courant de l’histoire.

BOUR – L’autre jour, on te tournait en ridicule au « Café de la Mairie ».

RICOT – Qu'est-ce qu'on racontait, exactement ? Suis-je un cocu si différent des autres cocus de cette ville ?

BOUR – Sans aucun doute. Une nuit que tu es rentré plus tôt qu’à l’habitude, l’amant, pris de court, a dû se cacher sous le lit. Situation inconfortable s’il en est.

RICOT – Et ensuite, comment a-t-il quitté sa planque, l’amant ? (Il fait une moue dubitative)

Avec la porte de la chambre qui grince comme une poulie rouillée… Il aurait du mal. De plus, il était à poil, je suppose ?

BOUR – En effet, il était tout nu sous le lit. Mais, ce contretemps n’a pas déstabilisé Claudine. Elle a vite trouvé une combine pour me... le tirer d’affaire.

RICOT – Pardon ! Tu peux répéter s’il te plaît ? Elle n’a pas eu de mal à... à...

BOUR – J’ai dit que Claudine ne manque pas d’imagination ni de sang-froid.

RICOT – Ta langue a fourché. Tu as dit : « Claudine m’a tiré d’affaire. » Puis tu as essayé de te rattraper.

BOUR – J’ai dit : « Elle n’a pas eu de mal à le tirer d’affaire »,  son amant.

RICOT – Bon, peu importe. Comment a-t-elle fait, alors ?

BOUR – Tout à coup, Claudine a été prise de violents maux de tête; de soi-disant violents maux de tête. Elle t’a envoyé chercher de l’aspirine chez sa cousine.

RICOT – C’est ainsi que tu as appris tout un chapitre de ma vie privée, racontée dans le détail au « Café de la Mairie ». (Haussant le ton brusquement) Mais qui te l’a raconté, qui d’autre que l’amant lui-même pouvait le raconter ?

BOUR – Le rapporteur aurait entendu l’histoire de la bouche de l’amant.

RICOT – Ne serais-tu pas l’amant, toi? Je nourris des soupçons dans ce sens depuis quelque temps, et je n’ai jamais désespéré d’en obtenir une preuve formelle.

BOUR – Je déteste ce genre de plaisanterie. Tes soupçons n’ont aucun fondement. Je suis entré dans le café par hasard. Quelqu’un racontait l’histoire, et les consommateurs qui s’y trouvaient s’en donnaient à cœur joie, chacun y rajoutant sa petite pincée de sel.

RICOT – Ils riaient bruyamment, l’œil égrillard, bavant comme des cochons ;  et toi, le nez dans ta tasse de café, tu te réjouissais de me voir raillé, barbouillé de mots obscènes, par de petites canailles.

BOUR – J’ai trouvé le récit assez savoureux. Tandis que le mari part à la recherche d’aspirine, l’amant remonte dans le lit pour combler sa femme.

RICOT – Je ne lui en veux pas, si tu veux le savoir. Je comprends les femmes, moi. Un beau jour, quelque chose tourne dans leur tête ; elles ont envie d’autre chose. A quoi bon vivre avec une femme, si tu n’es plus l’objet de son désir ?

BOUR – Qu’est-ce que tu en sais ? Tu n’as jamais vraiment aimé Claudine. Ou alors, tu joues l’indifférent pour me faire ta petite leçon. Tu aimes bien faire la leçon aux gens, c’est plus fort que toi.

RICOT – Je l’ai aimée de tout mon cœur, et j’ai beaucoup souffert quand j’ai appris qu’elle me trompait. Au début ça fait très mal. Je me sentais comme une loque plantée sur un tas d’ordures. Puis, avec le temps, je me suis habitué à l’idée de vivre sans elle ; et, un beau matin, le cauchemar s’est transformé en rêve teinté d’espoir : j’avais envie de refaire ma vie.

BOUR – C’est facile quand on peut se consoler dans les bras d’une autre femme.

RICOT – Ce que tu n’as pas manqué de faire, espèce de salopard ! Qui plus est, avant qu’Arlette ne t’ait quitté.

BOUR (faisant la sourde oreille) – Et quand l’autre femme vaut toutes les Claudine du monde, hein ? Le chagrin s’évapore comme la vapeur d’une cocotte en ébullition.

RICOT (se frottant les mains) C’est vrai que j’ai plutôt gagné au change.

BOUR – Ne t’emballe pas trop vite, la partie n’est pas terminée. Arlette est ma femme, et moi, je compte bien rester son mari.

RICOT – Contre son gré ? Arlette t’a clairement fait comprendre qu’elle ne reviendra pas sur sa décision.

BOUR – Moi non plus, je ne reviendrai pas sur la mienne.

RICOT – Aucune importance. Au pire, Arlette obtiendra le divorce par rupture de la vie commune. C’est une question de temps.

BOUR – Ce n’est pas très avantageux pour elle.

RICOT (sortant de sa poche un papier qu’il tend à Bour) – Elle a de sérieux atouts en main. Là, encore une fois, tu t’es fait avoir comme un con.

BOUR (reconnaissant son écriture) – C’est un faux grossier ! Je n’ai pas écrit cette lettre !

RICOT – Prouve-le, si tu en es capable.

BOUR (déchirant rageusement la lettre) – Tu as été assez con pour me confier un papier qui me mettait en mauvaise posture.

RICOT (éclatant de rire) – Nom d’un bourricot, tu crois que je t’ai filé l’original ? Tu es encore plus con que je ne le pensais.

 

Ricot sort par la porte du fond, laissant Bour désemparé.

 

 

SCENE V

 

BOUR, ARLETTE

Joviale, pleine d’entrain, Arlette rentre par la porte latéral ; elle retrouve son mari quelque peu désemparé, caressant sa barbe, l’air songeur.

 

ARLETTE – Tu m’as l’air soucieux. Quelque chose te tracasse ?

BOUR – Je suis fâché de ne pas avoir la bonne nouvelle que j’aurais tant voulu t’annoncer. Le théâtre municipal n’est pas disponible.

ARLETTE (sans se départir de sa bonne humeur)Le conseil municipal a refusé d’ouvrir son théâtre à madame Bour ? Quel manque de galanterie !

BOUR – Non, au contraire. Même le maire y aurait été favorable. Seulement, nous avons été devancés par « Le théâtre du renouveau ». C’est une troupe de comédiens amateurs que nous connaissons bien.

ARLETTE – Ce contretemps ne me dérange pas. Le spectacle n’est pas encore au point.

BOUR – Tu peux l’avoir dans six mois, si le conseil municipal nouvellement élu ne s’y oppose pas. Sinon, je sais où se trouve un théâtre libre dans deux semaines. Je peux t’avancer les frais de location et autres dépenses, si tu veux.

ARLETTE – Du coup, nous tenterions notre chance à Paris ? Curieux retournement des choses ! J’aurais mon mari comme producteur.

BOUR – Je serais heureux de pouvoir t’aider. (Il retire une enveloppe de la poche intérieure de sa veste) J’ai ici le contrat de location, il ne reste qu’à y apposer ta signature.

ARLETTE – Mais nos chances de réussite à Paris sont plutôt minces, tu l’as reconnu toi-même.

BOUR – Avec quelques affiches bien placées dans notre ville et une invitation dans la boîte aux lettres de chaque foyer, les gens se déplaceront nombreux, j’en suis persuadé.

ARLETTE – Michel, ta vocation c’est la politique. Je préfère attendre que le théâtre municipal soit disponible. Entre-temps, fais-toi élire maire pour que je sois sûr de l’avoir.

BOUR – Pourquoi ce changement dans tes projets ? Tu m’as semblé pleine d’ardeur dans la préparation de ton spectacle ; tu rêvais de te produire dans une salle de Paris.

ARLETTE – J’ai beaucoup réfléchi. Parfois, je doute, j’hésite ; et puis, je me demande si un événement considérable ne viendra bientôt bouleverser ma vie. J’ai envie d’être libre et enchaînée à la fois.

BOUR Si je pouvais t’aider, cela m’aurait fait du bien. De toute façon, tu peux toujours compter sur moi.

ARLETTE – Je te suis très reconnaissante. Pour tout dire, ta générosité ne fait qu’accentuer mon hésitation. Bats-toi, Michel, l’amour te récompensera !

BOUR – Quant au divorce, nous pouvons en reparler. Je suis prêt à accepter tes conditions.

ARLETTE (prise au dépourvu, quelque peu dépitée) Tu as changé d’avis comme ça, du jour au lendemain ? Hier encore, tu ne voulais pas en entendre parler.

BOUR – J’ai beaucoup réfléchi moi aussi. Cela ne rime à rien que l'on se remette en ménage, puisque je ne suis plus l’objet de ton désir.

ARLETTE – Enfin, tu deviens raisonnable.

BOUR – Je veux que tu sois heureuse. Puisque ce n’est pas possible avec moi... Bref, je comprends que tu souhaites refaire ta vie avec un autre homme.

ARLETTE – Eh bien,  d’accord pour le divorce ; j’en discuterai avec mon avocat. (gesticulant excitée) Ça me fait drôle, cette proposition inattendue. Tout de même ! Pourquoi t’embarrasses-tu d’une affaire de ce genre en pleine campagne électorale ? Je peux très bien attendre encore six mois.

BOUR – J’ai voulu t’informer de mes bonnes dispositions à ce sujet. Quant aux élections, je crains qu’il ne soit trop tard.

ARLETTE – Oublions nos querelles un instant.

BOUR – D’accord, je veux bien.

ARLETTE – Et maintenant, écoute-moi de tes deux oreilles. Tu veux m’aider à monter mon spectacle, et pour ce faire, tu n’hésites pas à risquer ton argent. A mon tour, je suis disposée à faire campagne avec toi. Si tu le veux, tu peux encore gagner, Michel. (Deux coups de sonnette retentissent à l’intérieur de la maison.) C’est encore le facteur ; je reviens.

 

Arlette sort par la porte du fond.

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Auteur

J.L.Miranda

23-07-2017

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Bourricot appartient au recueil Théâtre

 

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