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Bourricot - Scénario ou Pièce de théâtre

Scénario ou Pièce de théâtre "Bourricot" est un scénario ou pièce de théâtre mis en ligne par "J.L.Miranda"..

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J. L. MIRANDA

 

BOURRICOT

 

(Pièce en deux actes)

 

 

 

 

PERSONNAGES

 

Arlette BOUR

Michel BOUR

Jean RICOT

 

NOTES SUR LES PERSONNAGES

 

ARLETTE : trente-cinq ans environ, fraîche, vive, coquette, parfaitement épanouie, un tantinet libertine, capable de trouver le mot qu’il faut au moment voulu. Elle aime à s’habiller de façon avantageuse pour ses jolies formes, travaille comme entraîneuse dans un cabaret et est tenue d’y représenter des sketchs le samedi soir.

 

MICHEL : conseiller municipal ; rougeaud, plutôt empâté, la mise soignée, le regard pénétrant, ironique, l’allure digne, la voix profonde, l’élocution posée.

 

JEAN : employé du trésor public ; un grand escogriffe moustachu ; aspect insignifiant ; volubile, nerveux.

 

ACTE I

 

Le premier acte se déroule chez Arlette, dans un salon modeste. Porte principale au fond ;  porte latérale à gauche. Au milieu de la scène, un divan ; et plus loin, un meuble avec un téléphone sans fil dessus. Sur le mur du fond sont accrochés deux tableaux.

 

SCENE I

 

BOUR, RICOT

Au lever du rideau, l’air ébahi d’un paysan qui se rend pour la première fois en ville, Ricot regarde l’un des tableaux accrochés au mur, qui représente une femme nue sortant de son bain ;  et, se rappelant peut-être quelque souvenir comique, il a un sourire niais aux lèvres.

 

BOUR (pénétrant sur la scène et allant droit sur Ricot) Écoute, Jean, je vais te dire une chose qui risque fort de te déplaire.

RICOT  (suspendu aux lèvres de son interlocuteur)Quoi donc ?

BOUR  Regardant ce tableau, tu as l’air con.

RICOT (l’air désemparé) –Vraiment ?... Et tu penses que...

BOUR  … que l’étiquette correspond bien au contenu ? (brève pause) Je le pense.

RICOT (l’air accablé) – J’ai l’air con, donc, je suis con.

BOUR – Il suffit de te regarder, ça frappe comme un caillou blanc sur un tas de charbon.

RICOT – Je ne comprends pas. Depuis trente ans que ma glace se paie ma tête, alors !

BOUR – Elle aussi ?

RICOT – Je m’y regarde chaque matin, et pas un clin d’œil, une insinuation, rien !

BOUR – Pourtant, je viens te le dire, ça frappe comme un caillou blanc sur un tas de charbon.

RICOT – Ça se verrait tout de même !

BOUR – Ta glace ne saurait te détromper, car elle est éprise de toi depuis que tu la regardes.

RICOT – Au moins, tu es franc avec moi, Michel. (se tournant vers la salle) C’est bon d’avoir un ami qui vous dit la vérité.

BOUR – On est plutôt complaisant avec soi-même. C’est sur le visage d’autrui que les verrues se voient le mieux.

RICOT – Eh bien, je suis con, point à la ligne. Je ne me regarderai plus de la même façon dans la glace. Mais cela ne changera pas grand-chose à mon existence.

BOUR – Quand même ! Tu ne savais pas, maintenant tu sais. Le savoir peut tout changer, le moteur du changement c’est le savoir.

RICOT – Tu es intelligent, toi ! C’est pour ça que tu as déniché le con qui est en moi. (enthousiasmé par sa trouvaille) Mais oui ! réfléchis une seconde. Les cons ne se reconnaissent pas entre eux. Sinon, mon chef de service n’aurait pas raté l’occasion de me le faire remarquer.

BOUR – Tu veux dire qu’il faut être intelligent pour remarquer un con, et que le con, lui, est quand même capable de distinguer l’intelligence là où elle se trouve ?...

RICOT (tendant les bras)   Non, sentir plutôt que distinguer, car le con sent d’instinct, il ne peut pas distinguer.

BOUR   Hum ! Ton raisonnement me paraît logique.

RICOT (amer) – La nature est injuste. Tu es intelligent et tu en as conscience. Moi, j’étais con sans le savoir.

BOUR – Si tu veux. Mais je ne m’en vante pas. Je n’ai rien fait pour avoir ce don. Et du reste, le mot con n’est pas le contraire du mot intelligent. Le contraire du mot intelligent est le mot idiot.

RICOT – C’est-à-dire que je peux être intelligent tout en étant con ?

BOUR – Oui, à mon sens, c’est possible. Sinon, voyons. Tu as des diplômes, tu as réussi à des concours ? Tu n’es donc pas idiot.

RICOT – Alors, explique-moi. Un con, ça se définit comment ? Si ça se trouve, mon médecin et mon avocat sont cons aussi ?

BOUR   Il y a des cons à tous les niveaux. Là où il est des hommes, il est des cons, c'est sûr ! Tu sais, le con, ça se voit, ça se sent, mais pour ce qui est de sa définition, je ne suis pas certain d’en avoir la bonne.

RICOT (caressant sa moustache, l’œil allumé) – Je crois que j’ai trouvé. Ceux qui agissent contre toute logique sont cons.

BOUR – Non, ce n’est pas ça ! Cela reviendrait à dire qu’il n’y a pas de cons chez les logiciens, ce qui me paraît fort illogique... tu me comprends ?

RICOT – J’avoue que j’ai du mal à te suivre.

BOUR – La logique se plie aux besoins du raisonnement ; on peut l’appliquer à la connerie et son contraire, on ne sera pas plus avancé.

RICOT – Alors, ce n’est pas sûr que je sois con ?

BOUR   Si, je te l’ai dit et te le répète.

RICOT (avec vivacité) – D’accord, mais tu ne sais pas me dire ce que c’est qu’un con. Comment peux-tu savoir que j’en suis un ?

BOUR – Figure-toi quelqu’un qui manque de souffle dans tout ce qu’il entreprend, un myope d’esprit, quoi ? Puis, la connerie, c’est aussi une manière d’être.

RICOT – Ah, oui ! Ça m’arrive quand l’ascenseur est en panne et que je dois monter par l’escalier. J’habite au sixième. Je m’essouffle, vraiment !

BOUR – Ah, non ! Ce n’est pas ça. Par souffle, j’entends inspiration, élan.

RICOT –  Un peu comme les perchistes qui manquent d’entraînement ; ils ne montent pas assez haut, et paf ! Ils s'étalent sur le matelas.

BOUR – Il n’y a rien à faire, tu es vraiment con !

RICOT (sans se froisser le moins du monde) – Donne-moi des exemples concrets, je comprendrai mieux.

BOUR – Des exemples concrets ?...

RICOT – Je n’ai pas d’intelligence abstraite. Le prof de maths me le répétait comme si c’était ma faute. Un jour, il a fait un triangle au tableau, puis il m’a demandé : « Qu’est-ce que tu vois à l’intérieur de ces trois lignes, Jean ? » Moi, j’ai répondu sans hésiter : « Je vois du noir,

Monsieur. »

BOUR – Et ce n’était pas du noir ?

RICOT – Non, c’était un espace géométrique. C’est à cause de ma naissance, il paraît. Mon père était plombier, j’allais avec lui pour l’aider. Je n’ai pas développé normalement les deux côtés du cerveau. Tu comprends ça, toi ?

BOUR – Avec la moitié du cerveau seulement !... Ce sera dur. (Un temps) Par exemple, en tant qu’élu, ce serait con que je demande la confiance de nos concitoyens. Je dois plutôt faire en sorte qu’ils ne l’accordent pas à mes adversaires.

RICOT (en riant) Mais c’est du pareil au même ! S’ils t’accordent leur confiance, c’est qu’ils la refusent à tes adversaires.

BOUR – Non, ce n’est pas du tout la même chose ! Tu ne saisis pas la nuance, ça ne m’étonne pas de toi. Dans le premier cas, je m’abaisse, je mendie les voix dont j’ai besoin pour être élu...

RICOT (devant l’hésitation de Bour)  Et dans le second ?...

BOUR – Dans le second, je démontre que je suis meilleur candidat que les autres, je demande donc le fruit de mon mérite.

RICOT (persifleur) – Ah, le mérite ! ... tu as fait campagne contre des nouilles.

BOUR –  Qu’est-ce que tu veux insinuer ? Hein ! J’étais le meilleur. Je l’ai emporté sur un fauteuil.

RICOT – Boiteux. Un fauteuil boiteux ! Passons. C’est donc une question de mérite ? Ma femme aussi me parle de mérite. Je fais tout ce qu’elle veut, je lui sers même le petit déjeuner au lit, et elle ne cesse de me répéter que je ne la mérite pas.

BOUR – Elle a bien raison, ta femme. Un homme, chez lui, peut faire le plongeur, jamais le maître d’hôtel.

RICOT – Puis-je savoir pour  qu’elle raison ?

BOUR – En lavant la vaisselle, tu partages les tâches du ménage, tu te rends l’égal de ta femme. C’est un geste qu’il faut encourager. Par contre, lui servant le petit déjeuner au lit, tu deviens son domestique, et  dès lors, l’équilibre est rompu.

RICOT (étonné) – Pourquoi ? On ne peut plus être galant avec sa femme ?

BOUR – La traitant avec de pareils égards, tu la mets au-dessus de toi, contrairement aux lois ancestrales de la psychologie domestique : l’homme dessus, la femme dessous.

RICOT – (faisant un effort pour comprendre) Là, tu fais fort. Je n’y aurais jamais songé.

BOUR – Pourtant, c’est très simple. Étant dessus, elle te regarde d’en haut et cherche à te dominer. C’est humain. Alors, elle te trouve faible, indigne d’elle.

RICOT (découragé, les bras ballants) – Ma parole ! je ne comprends rien à cette histoire de cons. Donne-moi un exemple plus concret, quelque chose que je touche au quotidien.

BOUR – Bon, tu vois un cocu ?

RICOT (saisissant le bras de Bour) – Non seulement je le vois, mais je le touche... excuse-moi, Michel. Arlette a bien couché... c’est ce qu’on dit.

BOUR – Regardez-moi ce petit con non imposable ! Il s’excuse, mais enfonce le clou quand même !

RICOT (l’air contrit) – Excuse-moi, je ne voulais pas t’offenser. Reprenons donc. Je vois un cocu... (Un temps, pendant lequel Bour semble sur le point d’agresser Ricot.)

BOUR (passant sur l’incident)Le cocu qui en veut à sa femme est un con.

RICOT – (en aparté, se tournant vers la salle) – Ah ! mauvaise foi de politicien, n’en croyez pas un mot.

BOUR – Puisqu’il ne se rend pas compte qu’elle ne l’aime plus, elle le lui apprend la vérité par l’exemple.

RICOT – Et comme elle lui ouvre les yeux, il ne doit pas se fâcher ?

BOUR – Au contraire, il devrait lui être reconnaissant.

RICOT  (En aparté, se tournant de nouveau vers la salle.) – Le voudriez-vous comme maire, ce gros con prétentieux ? (se retournant vers Bour) Enfin, je commence à piger.

BOUR – C’est bien normal. Cela veut dire que j’explique bien. Certaines fonctions de ton  cerveau se débloquent, tu deviens moins con en me parlant.

RICOT (railleur) – Je trouve ça marrant à la fin !

BOUR –  Quoi ? Qu’est-ce que tu trouves marrant ?

RICOT – Tu me donnes en exemple le contraire de ce que tu fais toi-même.

BOUR – Continue, dévoile le fond de ta pensée.

RICOT – Arlette… tu lui portais le petit-déjeuner au lit. Et quand tu as appris qu’elle te trompait, tu as eu envie de venger.

BOUR – J’ai appris la leçon, mon vieux. J’apprends vite, c’est le privilège des êtres intelligents.

RICOT – Intelligent, peut-être, mais con tout de même. C’est possible, non ? Comme moi, tout en étant con, je peux être intelligent. Tu as admis cette possibilité ?

BOUR – Oui, en effet, je l’ai admise.

RICOT – Alors, je vais te dire une bonne chose, Michel. Nous avons une sorte de prédestination à la connerie.

BOUR – Pourquoi ? Je ne vois pas pourquoi ?

RICOT –  (hilare) – Ton nom et le mien accolés, cela donne BOU-RRI-COT.

BOUR et RICOT (en chœur, riant aux éclats) – Bourricot !  ha ! ha! ha ! (Ils se tiennent les côtes) Bourricot, ha ! ha ! ha !

RICOT – (regardant Bour dans les yeux, l’air triomphant) – Et qui a eu Arlette à ton avis ? Hein ! C’est ce con de Ricot ! ha ! ha ! ha ! Sacré bourricot !

 

Bour se rembrunit, devient blême, puis, au bout d’un instant, la tête basse, sort par la porte latérale.

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J.L.Miranda

23-07-2017

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Bourricot appartient au recueil Théâtre

 

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