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Bourricot - Scénario ou Pièce de théâtre

Scénario ou Pièce de théâtre "Bourricot" est un scénario ou pièce de théâtre mis en ligne par "J.L.Miranda"..

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SCENE III

ARLETTE, BOUR

 

BOUR (la tête haute et l’air digne) – Tu m’as demandé de revenir te voir. Me voici ! Je crains que nous n’ayons pas des choses très agréables à nous dire.

ARLETTE (allant à sa rencontre) Ce ne serait pas une première, mon ami. Tu ne m’as jamais fait beaucoup de compliments.

BOUR – Tu n’en avais jamais assez.

ARLETTE – Assez de quoi ? Un cheval au haras est plus affectueux que toi. Même au lit, lorsque je consentais à satisfaire tes lubies sexuelles. (En aparté) Monsieur a besoin de stimulations particulières.

BOUR – Tout bien pesé, j’ai donné plus que je n’ai reçu. Quand je songe au passé, je sens bien que tu ne m’as jamais vraiment aimé.

ARLETTE – Si je suis resté tout ce temps avec toi, c’est sans doute pour le plaisir de ces réceptions interminables auxquelles j’étais tenue d’assister.

BOUR – Je dirais que c’est surtout pour le confort et la respectabilité dont tu pouvais jouir à mes côtés.

ARLETTE (riant aux éclats) – Ha, ha, ha ! dans ce cas, pourquoi aurais-je demandé le divorce ? D’où me vient cette envie de quitter ton paradis ? Non, c’est plutôt pour le plaisir d’être draguée par tes amis politiques.

BOUR – Je n’en serais pas étonné outre mesure, tu es aussi coquette que frivole.

ARLETTE –  Même le maire a composé des vers à mon intention. C’est... « Vous me faites tourner la tête !/ Vous êtes le soleil levant/ La fougue d’un baiser brûlant/ Vous êtes l’amour, belle Arlette/ » Et il me répète ces vers chaque fois qu’il se retrouve seul à seul avec moi. Ah ! et il se dandine comme un jeune premier ; il est heureux le petit gaillard.

BOUR Ce n’est pas vrai. Tu essaies de me brouiller avec mes amis.

ARLETTE – Tu n’as qu’à dire ces vers devant lui ; tu les as retenus ? Mon prénom, il le dit le cœur sur les lèvres, tout son corps dans un frémissement.

BOUR – Tu l’as cherché, jouant les grandes coquettes ! Avec tes minauderies, l’œil caressant et la démarche langoureuse d’une chatte en chaleur.

ARLETTE Même l’un de tes adversaires, et non des moindres, me dévorait des yeux l’autre jour, dans cette garden-party où tu m’as emmenée. Il aurait dit : « Bour, ce bougre ! Sa femme pèse au moins la moitié de ses suffrages. Normal. Trouvez-moi un électeur du quartier qui n’aimerait pas se couvrir avec ses draps. »

BOUR C’est Robert, je suis sûr que c’est lui. Dis, je ne me trompe pas, c’est lui ?

ARLETTE – Pourquoi veux-tu savoir le nom de ton charmant détracteur ? J’ai bien aimé ce mot, qui me paraît très juste d’ailleurs.

BOUR – Très bien ! Venons-en aux faits. Je ne suis pas ici pour entendre des sornettes. Tu crois peut-être me rendre jaloux, hein ?

ARLETTE – Pas du tout. Occupons-nous donc de choses sérieuses. Je t’attendais avec impatience, si tu veux le savoir. Pour être franche, j’étais même un peu inquiète.

BOUR – Bien sûr ! Tu te demandais si je n’avais pas changé d’avis. Si je n’avais pas décidé de compliquer la procédure.

ARLETTE – Je suis de glace...

BOUR – (posant la main derrière l’oreille) – Dégueulasse, oh ! je ne te le fais pas dire. Je prends note ; c’est un aveu spontané qui te donne droit à des circonstances atténuantes.

ARLETTE Ah, que c’est joli ! Tes calembours n’amusent personne, à part toi. Tu devrais plutôt faire ramoner tes oreilles. (Ebauchant un geste suggestif) J’ai dit glace, comme celle qu’il faut te mettre sous les... pour relancer la mécanique.

BOUR Tu es de glace ? Ah oui ! glace qui fond en soupirs quand tu veux séduire un homme. Mais, dès qu’un coup de froid souffle dans ton cœur, la glace se reforme et tu deviens aussi insensible qu’un iceberg.

ARLETTE –  C’est comme ça que tu me juges, après tout le bonheur que je t’ai donné ? Tu n’es qu’un ingrat.

BOUR En tout cas, si je m’en souviens bien, ta passion pour moi ne t’a pas troublé la raison une heure, un instant, le temps d’un voyage de noces. Tu es toujours restée lucide, tu n’as jamais perdu le sens de tes intérêts. Tu pourrais fort bien réussir en politique, je te l’ai toujours dit.

ARLETTE  Je ne me sens pas du tout la vocation. Je supporte mal la démagogie, la magouille et la mauvaise foi. En outre, je n’ai pas l’esprit de clan ; et enfin, je méprise ceux qui, comme toi, se font élire sur des promesses fallacieuses qu’ils savent ne pas pouvoir tenir.

BOUR  Mais c’est la règle du jeu ! A-t-on jamais fait de la politique autrement ? Si tu étais dedans, tu verrais les contraintes qui s’imposeraient à toi.

ARLETTE Tu me connais mal, espèce de chou mal farci ! Mes ambitions sont de toute autre nature. Ma liberté de femme vaut bien mieux que ton pouvoir.

BOUR – Je te conseille de rester polie. Si tu en viens aux sarcasmes et aux insultes, gare à toi ! Je m’en irai sur-le-champ et je ne mettrai plus les pieds ici. Mon avocat résoudra au mieux de mes intérêts nos différends ; je lui en donnerai carte blanche.

ARLETTE  Pourquoi tu prends soudain la mouche ? C’est un terme d’affection que tu aimais bien, mon petit chou mal farci.

BOUR  Je le trouve déplacé, insultant même, dans notre situation actuelle.

ARLETTE – Tu te trompes à mon sujet ; tu t’es toujours trompé à mon sujet. Je craignais, figure-toi, que tu n’aies eu un malaise ; je te sens surmené ces temps-ci.

 BOUR – Comme c’est mignon ! Rassure-toi, je suis en pleine forme.

ARLETTE – Dans ce cas, pourquoi es-tu parti précipitamment tout à l’heure ? Tu aurais dû m’en avertir, si pressante que puisse être l’affaire qui te réclamait ailleurs. Seul un rustre, ignorant les devoirs de politesse les plus élémentaires, aurait pu agir de la sorte.

BOUR (en aparté)Voilà qu’elle se met à parler comme dans les romans. Elle a de la classe tout de même, classe et caractère, et puis cette attitude provocante et insoumise à la fois. (s’adressant à Arlette) Je ne suis pas parti de mon plein gré.

ARLETTE – Pardon ! Je n’ai pas compris.

BOUR J’ai été chassé par des insultes insupportables. Un pitre insolent m’a couvert de boue ici même, je mourais de honte ! Il fallait que je m’en aille, sinon je ne pourrais plus répondre de moi. Je lui aurais fait avaler ses moustaches et ses dents et sa langue !

ARLETTE – Michel, je t’en prie, calme-toi ! Tu as le cœur fragile. Chaque coup de colère est un coup de poignard que tu lui portes.

BOUR Je le tenais pour mon ami, je l’invitais à ma table. Et il ne se contente pas de coucher avec ma femme, il fallait qu’il vienne s’en vanter devant moi.

ARLETTE – Et si, au lieu de hurler comme un fou, tu me montrais ta blessure, calmement. Je pourrais peut-être y verser un baume.

BOUR  Il était encore là, je l’ai vu partir en arrivant.

ARLETTE Qui ?

BOUR – Ton amant.

ARLETTE Mais c’était le facteur ! Tu ne vois plus clair, mon ami. Il est venu m’apporter une lettre de mon avocat, qui soumet à notre appréciation les termes de l’accord que nous devons signer.

BOUR – Je ne suis plus dans les bonnes dispositions où je me trouvais ce matin. Je dois réfléchir, j’en discuterai avec maître Cholis.

ARLETTE – Maître Cholis… bien entendu. Nous pouvons reporter à plus tard l’examen de ces paperasses. Le rendez-vous avec le juge n’aura lieu que dans un mois.

BOUR – Et il peut être annulé tout simplement. Le divorce par consentement mutuel me semble passablement compromis.

ARLETTE – Nous en discuterons plus tard, lorsque tu auras pris du recul par rapport à cet incident regrettable qui t’a mis hors de toi. Revenons-en, j’y tiens. C’est Jean qui t’a joué cette farce de mauvais goût?

BOUR – D’abord, il s’est ingénié à me faire passer pour un con ; et puis, pour conclure, il s’est vanté d’avoir couché avec toi.

ARLETTE (s’approchant de Bour comme pour le consoler) Oh ! ce n’est donc que de la jalousie ? Tu me déçois, Michel. Tu t’es laissé prendre au jeu de ce malheureux. Comment as-tu pu croire un seul instant que je pouvais coucher avec un guignol pareil ? J’aime plaire aux hommes, certes, mais j’ai des exigences amoureuses auxquelles Jean ne peut pas satisfaire. Bref, ce n’est pas mon genre.

BOUR – Je voudrais bien te croire, cela simplifierait beaucoup les choses.

ARLETTE – Tu juges donc la parole de Jean plus digne de foi que la mienne ? Tu crois ce qu’il t’a dit à mon sujet et tu n’en démords pas ?

BOUR – Pourquoi se serait-il laissé aller à la calomnie ? On jette la boue de l’adultère à la tête des gens, comme ça, juste pour rire à leurs dépens. Te déteste-t-il à ce point ?

ARLETTE   L’interrogation me semble mal formulée. Me déteste-t-il à ce point ? Voilà la question que tu aurais dû te poser.

BOUR Jean était un ami ; il faisait presque partie de la famille.

ARLETTE – C’est vrai. Il ne ménageait pas sa peine aux heures chaudes de tes campagnes.

BOUR Il n’était pas le seul ni le plus utile.

ARLETTE – Rien ne le rebutait ; et toi, tu ne remarquais même pas ses efforts, tu te comportais comme si son dévouement t’était dû.

BOUR – Peut-être que je le sous-estimais, je te l’accorde ; mais, il s’est bien rattrapé, le salaud !

ARLETTE – Pire que ça ! Tu mettais de la condescendance dans tes rapports avec lui. Parfois, sûr de ton ascendant, tu te payais sa tête.

BOUR – Je le taquinais gentiment, ses rêves d’artiste m’amusaient beaucoup, mais, j’avais de l’estime pour lui.

ARLETTE Oui, l’estime qu’on peut avoir pour son valet.

BOUR – Je vois que tu prends fait et cause pour lui. Tu as le béguin, ma petite, tu as le béguin. Tu m’as trompé avec lui, je n’en doute plus maintenant. Ce sera le tribunal qui tranchera nos différends.

ARLETTE – Tu dois savoir, en tant que politicien, que c’est par le compromis qu’on règle le mieux les situations délicates. Prends la peine d’y réfléchir et reviens me voir quand tu voudras.

Bour sort par la porte latérale, Arlette prend celle du fond.

 

SCENE IV

RICOT, seul.

 

La scène reste vide un instant ; puis, Ricot y rentre par la porte latérale. Il marche d’un pas léger, regardant de tous les côtés, comme s’il craignait d’être surpris.

 

RICOT (surveillant la porte du fond du coin de l’œil) Je reviens ici sans invitation, de but en blanc. C’est plus fort que moi, j’ai envie de revoir mon amie. Et pourtant, j’appréhende l’accueil qu’elle me fera. J’ignore dans quelles dispositions elle est envers moi. La tête que faisait son mari en partant me semble plutôt de mauvais augure. Si cette affaire de divorce se complique, c’est moi qui en ferai les frais. Je risque de subir sur-le-champ un retour de manivelle. La dame n’est pas commode lorsqu’elle en a contre quelqu’un. Elle est aussi attirante qu’imprévisible.

L’autre jour, lorsqu’un journaliste impertinent est venu lui poser des questions dérangeantes, elle a saisi un balai qui se trouvait à portée de main et a jeté l’importun dehors, comme un malpropre. J’aurais peut-être droit au même traitement, malgré tout le bien que je lui souhaite. Cela m’apprendrait à réfléchir avant de dire des choses compromettantes. Dans les moments d’excitation, ma langue va plus vite que mon cerveau. Je ne contrôle qu’après coup ce que je dis ; c’est en entendant mes conneries que je me rends compte que j’aurais fait mieux de la fermer. Mais, cette fois, la gaffe qui m’a mis en mauvaise posture devant ce couple d’amis était voulue, préméditée. Leur divorce se passait trop bien ; ils prétendaient rester en bons termes, et peut-être, reprendre des relations intimes dans un avenir proche.

En semant la discorde entre Arlette et Michel, j’ai un triple objectif : conquérir définitivement le cœur d’Arlette, plaquer pour de bon ma pimbêche de femme ; et, autant que possible, montrer mon talent de comédien. Il m’en faudra assurément pour me sortir de cette mauvaise passe. Mes chances de réussite sont plutôt minces, mais...

 

Le téléphone, qui se met à sonner, interrompt le monologue.

 

 

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Auteur

J.L.Miranda

23-07-2017

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Bourricot appartient au recueil Théâtre

 

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