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Bourricot - Scénario ou Pièce de théâtre

Scénario ou Pièce de théâtre "Bourricot" est un scénario ou pièce de théâtre mis en ligne par "J.L.Miranda"..

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SCENE VII

 

BOUR, LE FACTEUR

 

LE FACTEUR – (pénétrant sur la scène par la porte du fond) – Bonjour, monsieur. Je fais une petite pause dans ma tournée. J’espère que ma présence ne vous dérange pas.

BOUR (indiquant le divan d’un geste)  Asseyez-vous un petit moment, si vous voulez, jeune homme.

LE FACTEUR – Merci, monsieur. Je préfère rester debout, j’en ai l’habitude.

BOUR – Vous aimez votre métier, facteur ?

LE FACTEUR – Oui, j’aime bien le contact avec les gens, mais ma tâche devient de plus en plus ardue. On sacrifie la qualité de service sur l’autel du profit.

BOUR – Que voulez-vous ? C’est ce libéralisme à tout va qu’on nous impose. On écrase les masses laborieuses pour le plus grand profit des possédants. Cette pause est-elle prévue dans votre tournée ?

LE FACTEUR – Non, monsieur. Hors du bureau, je n’ai pas le chef sur mes talons, pas encore. J’organise ma tournée comme je le veux.

BOUR – Organiser le travail à sa guise, c’est plutôt un privilège. La poste, ce n’est tout de même pas l’usine.

LE  FACTEUR – Nous ne produisons pas de marchandises, c’est vrai, nous sommes les messagers bleus de la France, nous répandons à travers les rues l’espoir d’heureuses nouvelles, bien que, à notre grand regret, nous apportions aussi les mauvaises.

BOUR – Je vois que le facteur-poète existe encore de nos jours. Allons, ne vous plaignez pas trop de votre sort.

LE FACTEUR – Permettez-moi de vous dire, monsieur, qu’une salle de distribution n’est pas un atelier d’usine, mais ça lui ressemble par certains côtés. L’atmosphère grise, les cadences de plus en plus soutenues qu’on veut nous imposer, la misère de la paie, la déprime des agents, la compression du personnel, et j’en oublie.

BOUR – Hum ! Je parie, après avoir écouté vos griefs, que vous n’avez jamais travaillé ailleurs.

LE  FACTEUR – Vous avez deviné. Quand je suis entré à la poste, j’avais dix-huit ans. J’ai quitté mon village natal pour monter à Paris. Il faut bien gagner sa vie.

BOUR – Je sens que vous avez quelque chose de personnel à me demander. Est-ce que je me trompe ?

LE FACTEUR – Ah ! je n’oserais pas vous importuner, monsieur. Je ne fais que passer ;  je suis en service, comme vous pouvez le voir.

BOUR – Allons, ne soyez pas timide. Mon intuition me dit que vous n’êtes pas là par hasard.

LE FACTEUR – Je suis là parce que madame me reçoit avec le sourire, me donne le pourboire et m’offre le café. Vous comprenez qu’on ait envie de s’attarder un peu auprès d’une personne si charmante.

BOUR – Je vois, je vois. Vous vous plaisez donc en sa compagnie ?

LE FACTEUR – D’ailleurs, madame doit avoir un succès fou dans le monde. Je lui apporte des paquets-cadeau toutes les semaines. Et pas n’importe quels cadeaux : du grand luxe.

BOUR – Nous y voilà. Qui lui envoie ces cadeaux ? Vous savez d’où ils proviennent ?

LE FACTEUR – Monsieur, ma fonction m’impose le devoir de réserve. Autrement, je risque de graves sanctions. Je ne veux pas compromettre mes chances de retourner au pays le plus vite possible.

BOUR – Vous êtes de quelle région ? Vous avez l’accent des gens du Sud-Ouest.

LE FACTEUR – Je suis basque, monsieur, et fier de l’être. Je m’appelle Joachim Arahnoé. Je suis à Paris depuis bientôt quatre ans, j’en ai plein les poumons.

BOUR – J’ai des amis bien placés à la direction de la poste. Je peux sans doute vous aider, si, si... vous me comprenez ?

LE FACTEUR(s’assurant que personne ne l’entend) – Tenez ! L’autre jour, madame a reçu un énorme bouquet de roses rouges ; je n’en croyais pas mes yeux. J’ai même pensé que la roseraie de tante Césaria n’en avait jamais eu d’aussi belles ! J’ai lu la carte de visite, le nom et l’adresse étaient écrits en lettres d’or.

BOUR – Un bouquet de roses rouges ? Avez-vous retenu le nom ? Puisque vous l’avez lu, vous devriez vous en souvenir. Réfléchissez un peu, c’est important.

LE FACTEUR (après un instant de réflexion) Désolé, ça ne me revient pas. Vous voyez, c’est un truc qui m’arrive souvent. Le nom, je l’ai là, sous la langue, mais je n’arrive pas à le sortir.

BOUR – Voyons, faites un effort !

LE FACTEUR – Tout à l’heure, sans que j’y pense le moins du monde, il s’inscrira dans mon esprit en lettres d’affiche. Je crois qu’il commence par un C ou plutôt par un G,  mais je n’en suis pas sûr.

BOUR – Garland ? (le facteur secoue la tête négativement) Guérault, c’est lui ? Caston ? Ricot ? (en aparté) Non, pas Ricot, ce n’est pas son genre.

LE FACTEUR – Ne vous inquiétez pas, ça me reviendra. Même si je dois me faire exploser les méninges.

BOUR – Vous avez intérêt à vous souvenir. C’est la mutation dans le pays, je vous le garantis. Par ailleurs, si vous pouvez me donner quelques renseignements importants, je vous remercierai comme il se doit.

LE FACTEUR (frottant le pouce contre l’index et le majeur) – Aah ! des pépètes. Je crois que vous êtes en instance de divorce, monsieur ?

BOUR – Vous êtes au courant de beaucoup de choses, à ce que je vois.

LE FACTEUR (portant la main à sa casquette et s’inclinant légèrement, un sourire énigmatique aux lèvres) Vous n’en croiriez pas vos oreilles. Il faut que je m’en aille, la pause a assez durée. Au revoir, monsieur.

BOUR – Dès que le nom vous reviendra, revenez me voir… Votre nom, rappelez-moi votre nom.

LE FACTEUR – Joachim Arahnoé.

BOUR – Dans quel coin préfériez-vous être muté ?

LE FACTEUR – Ça m’indiffère. Bayonne, Saint-Jean de Luz, Biarritz… tenez, Biarritz ! J’aime particulièrement cette ville.

 

Le facteur sort par la porte du fond, Bour prend la porte latérale.

 

 

SCENE VIII

 

ARLETTE, BOUR

 

Le téléphone sonne, Arlette rentre par la porte du fond, décroche le combiné et s’avance sur la scène tout en répondant. Elle ne remarque pas Michel qui la suit du regard et l’écoute avec intérêt. Il s’interdit de l’interrompre, mais réagit à ce qu’il entend par une mimique fort suggestive.

 

ARLETTE – Allô !... Bonjour... Oh ! plutôt de travers ; je n’ai pas tellement le moral... Ça ne s’arrange pas ; il y a des angles qu’on n’arrive pas à arrondir... Oui, c’est une chance que nous n’ayons pas d’enfants.... Quelle idée ! Non, je ne suis pas stérile. Comme j’appréhendais l’avenir, je remettais ce bonheur à plus tard... Il est généreux, intelligent, jovial, mais aussi possessif, jaloux, colérique, impulsif, tyrannique ; bref, j’étouffais auprès de lui... Entre nous, il n’y a jamais eu de vraie complicité... Je l’espère, mais la procédure risque d’être plus longue que prévu... Ah ! j’adore les nouvelles quand elles sont bonnes... Tu parles sérieusement ? Merci du cadeau, Phil, je suis bien contente... Nous allons mettre ça au point, tu ne seras pas déçu... Bien sûr que je viendrai samedi... D’accord, je t’embrasse sur...

BOUR (bondissant sur les planches) – Assez ! j’ai compris. C’est pour quand le mariage ?

ARLETTE (ayant raccroché le téléphone) – Me marier ? Qui a parlé de mariage ? Les chaînes de cette institution vieillotte me sont bien trop pénibles, je ne me laisserai plus prendre.

BOUR – Qui est l’homme qui t’a appelé ? J’ai senti qu’une grande complicité vous unit.

ARLETTE – Phil est le patron du cabaret où je travaille. Il aime les employés qui lui donnent satisfaction.

BOUR – Et tu es dans ce cas, tu lui donnes satisfaction ?

ARLETTE – Il trouve que j’ai du talent et a de l’estime pour moi. Comme mon spectacle remplit la boîte, il a intérêt à me ménager. Je lui ai proposé d’interpréter une petite pièce en duo avec Jean.

BOUR – Ainsi, grâce à toi, il va pouvoir vivre son fantasme de comédien. Il a accepté ta proposition, je suppose ?

ARLETTE – Oui. Jean ne risque rien, il renonce à tout cachet. Si le spectacle est bien accueilli par le public, il dira alors quelles sont ses exigences.

BOUR – Tu es vraiment douée, Arlette. Vraiment ! Tu arrives à satisfaire deux hommes en même temps. (Il baisse la tête, tape sur sa poitrine) Mea-culpa !

ARLETTE (cherchant le balai du regard) – Je trouve ta dernière phrase plutôt ambiguë. Prends garde ! Venant de toi, les insinuations graveleuses me sont particulièrement insupportables.

BOUR – Tu deviens parano, Arlette. Tu donnes à mes propos un sens que je n’ai nullement recherché. Jean est content et Phil aussi. Ai-je dit autre chose que cela ?

ARLETTE – D’accord. Restons-en là.

BOUR – Tu viens de dire au téléphone que tu étouffes auprès de moi, qu’il n’y a pas entre nous, qu’il n’y a jamais eu, une vraie complicité.

ARLETTE Je dis les choses comme je les ressens.

BOUR – En revanche, tu as l’air de t’entendre avec ton boss. A tel point que tu en as fait ton confident.

ARLETTE – C’est un bon ami qui se soucie de mon bien-être. Il m’arrive de me confier à lui.

BOUR – Tu me trouves plus de défauts que des qualités. Je te trouve bien sévère à mon égard.

ARLETTE – En fait, notre mésentente n’est que le résultat d’une suite de malentendus. Si je t’étouffais auprès de toi, c’est parce que je t’aimais trop ; je voulais être à toi de tout mon corps ; je voulais être à toi de toute mon âme ; je voulais me fondre à jamais en toi.

BOUR – Autrement dit, je t’ai déçue, je n’ai pas su être à la hauteur de tes espérances.

ARLETTE – Trop d’amour tue l’amour, c’est bien connu. Mais je crois que nous nous éloignons de l’essentiel.

BOUR – Tu tiens encore à moi, Arlette. Seulement, tu es déchirée entre l’amour et la liberté. Prends la peine d’y réfléchir. Pour toi, l’amour est une prison, mais la liberté que tu chéris tant mène tout droit à la solitude.

ARLETTE – Je ne vois pas de compromis possible entre ces deux forces antagonistes, et à choisir, je préfère la solitude plutôt que l’asservissement.

BOUR – Je comprends ton dilemme. Dommage que la voie de la liberté et la voie de l’amour ne soient pas parallèles, de manière à ce qu’on puisse emprunter l’une ou l’autre, suivant la fantaisie du moment.

ARLETTE – Peut-être existe-t-il une troisième voie, celle où l’on peut s’aimer tout en restant libre.

BOUR C’est la voie de toutes les embûches, de toutes les désillusions. Tu ne soupçonnes même pas à quelles dérives tu t’exposes.

ARLETTE – Je veux quand même essayer. Il faut vivre en bon accord avec sa nature.

BOUR – Je comprends. J’ai un rendez-vous avec mon avocat. A un de ces jours.

 

Bour sort par la porte latérale.

 

 

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Auteur

J.L.Miranda

23-07-2017

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Bourricot appartient au recueil Théâtre

 

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