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Les Liaisons Dangereuses - Chronique

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Extrait de "Les Liaisons Dangereuses" de P. Choderlos de Laclos, Seconde Partie, Lettre LXXXI.


La Marquise de Merteuil répond ici à une précédente lettre du Vicomte de Valmont, dans laquelle celui ci lui déconseille de s’attaquer à un certain Prévan, le jugeant trop dangereux pour la réputation de la marquise. Piquée, celle ci lui explique ici que le masque qu’elle s’est forgé est infaillible, et qu’en cela, elle lui est nettement supérieure, lui qui n’a jamais eu qu’à pratiquer tout bêtement l’art de la séduction…



LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT



Que vos craintes me causent de pitié ! Combien elles me prouvent ma supériorité sur vous !et vous voulez m’enseigner, me conduire ? Ah ! mon pauvre Valmont, quelle distance il y a encore de vous à moi ! Non, tout l’orgueil de votre sexe ne suffirait pas pour remplir l’intervalle qui nous sépare. (…)


Et qu’avez vous donc fait, que je n’aie surpassé mille fois ? Vous avez séduit, perdu même beaucoup de femmes : mais quelles difficultés avez vous eues à vaincre ? où est le mérite qui soit véritablement à vous ? Une belle figure, pur effet du hasard ; des grâces, que l’usage donne presque toujours ; de l’esprit à la vérité, mais auquel du jargon suppléerait au besoin ; une impudence assez louable, mais peut être uniquement due à la facilité de vos premiers succès ; si je ne me trompe, voilà tous vos moyens ; car pour la célébrité que vous avez pu acquérir, vous n’exigerez pas, je crois, que je compte pour beaucoup l’art de faire naitre ou de saisir l’occasion d’un scandale. (…)


Si cependant vous m’avez vue, disposant des évènements et des opinions, faire de ces hommes si redoutables le jouet de mes caprices et de mes fantaisies ; ôter aux uns la volonté, aux autres la puissance de me nuire, si j’ai su tour à tour, et suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi

Ces Tyrans détrônés devenus mes esclaves ;

Si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s’est pourtant conservée pure ; n’avez vous pas pu en conclure que, née pour venger mon sexe et maitriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ?(…)


Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par état au silence et à l’inaction, j’ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu’on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu’on s’empressait à me tenir, je recueillais avec soin ceux qu’on cherchait à me cacher.


Cette utile curiosité, en servant à m’instruire, m’apprit encore à dissimuler : forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux de ceux qui m’entouraient, j’essayai de guider les miens à mon gré ; j’obtins dès lors de prendre à volonté ce regard distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de même les différents mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m’étudiais à prendre l’air de la sérénité, même celui de la joie ; j’ai porté le zèle jusqu’à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l’expression de plaisir. Je me suis travaillée avec le même soin et plus de peine, pour réprimer les symptômes d’une joie inattendue. C’est ainsi que j’ai su prendre sur ma physionomie, cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné.


J’étais bien jeune encore, et presque sans intérêt : mais je n’avais à moi que ma pensée, et je m’indignais qu’on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premières armes, j’en essayai l’usage ; non contente de ne plus me laisser pénétrer, je m’amusais à me montrer des formes différentes ; sûre de mes gestes, j’observais mes discours ; je réglais les uns et les autres, suivant les circonstances, ou même seulement suivant mes fantaisies : dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu’il m’était utile de laisser voir.(…)

Je n’avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos Politiques doivent leur réputation, et je ne me trouvais encore qu’aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir.(…)


Ce que je vous dis là, vous le le voyez pratiquer sans cesse ; et vous doutez de ma prudence ! Hé bien ! rappelez vous le temps ou vous me rendîtes vos premiers soins : jamais hommage ne me flatta autant : je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation, il me semblait que vous manquiez à ma gloire ; je brûlais de vous combattre corps à corps. C’est le seul de mes goûts qui ait jamais pris un moment d’empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre, quels moyens eussiez vous trouvés ? de vains discours qui ne laissent aucune trace après eux, que votre réputation même eût aidé à rendre suspects, et une suite de faits sans vraisemblance, dont le récit sincère aurait eu l’air d’un Roman mal tissé. A la vérité, je vous ai depuis livré tous mes secrets : mais vous savez quels intérêts nous unissent, et si de nous deux, c’est moi qu’on doit taxer d’impudence.(…)


Mais de prétendre que je me sois donné tant de soins pour n’en pas retirer de fruits ; qu’après m’être autant élevée au dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l’imprudence et la timidité ; que surtout je pusse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite ? Non, Vicomte, jamais, il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l’avoir, et je l’aurai ; il veut le dire, et il ne le dira pas, voilà notre Roman. Adieu.


De…ce 20 septembre 17**.

 

 

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Auteur

Pierre Choderlos de Laclos

04-10-2012

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