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Correspondance George Sand & A... - Domaine Public

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Paris, 30 avril 1834

Alfred de Musset à George Sand

 

george sand

     Ce n’est donc pas un rêve, mon frère chéri. Cette amitié qui survit à l’amour, dont le monde se moque tant, dont je ne me suis tant moqué moi-même, cette amitié-là existe. C’est donc vrai, tu me le dis et je le crois, je le sens, tu m’aimes. Que se passe-t-il en moi, mon amie ? Je vois la main de la providence comme je vois le soleil. Maintenant c’est fini pour toujours, j’ai renoncé, non pas à mes amis mais à la vie que j’ai menée avec eux. Cella m’est impossible de recommencer, j’en sui sûr ; que je me sais bon gré d’avoir essayé ! Sois fière, mon grand et brave George, tu as fait un homme d’un enfant. Sois heureuse, sois aimée, sois bénie, repose-toi, pardonne –moi ! qu’étais-je donc sans toi, mon amour ? Rappelle-toi nos conversations dans ta cellule, regarde où tu m'as pris et où tu m’as laissé. Suis ton passage dans ma vie ; regarde comme tout cela est palpable, évident ; comme tu m’as dit clairement : ce n’est là ton chemin ; comme tu m’as pris par la main pour remettre dans ma route. –Assieds-toi sur le bord de cette route sainte, ô mon enfant, tu étais trop lasse pour y marcher longtemps avec moi. – Mais moi, j’y marcherai. Il faut que tu m’écrives souvent, que tu me laisses t’écrire ma vie à mesure que je vivrais. Songe à cela, je n’ai que toi, j’ai tout nié, tout blasphémé, je doute de tout, hormis de toi. Dis-moi, auras-tu ce courage-là ? Toutes les fois que je relèverai la tête dans l’orage, commune un pilote effrayé, trouverai-je toujours mon étoile, la seule étoile de ma nuit ? Consulte-toi. Ces trois lettres que j’ai reçues, est-ce le dernier serrement de main de la maîtresse qui me quitte, ou le premier de l’ami qui me reste ? Ne t’ai-je pas tenue ? et embrassée de ces bras que voilà. Sais-tu pourquoi quand je vais dans le monde à présent, je regarde de travers comme un cheval ombrageux ? Je ne m’abuse sur aucun de tes défauts ; tu ne mens pas, voilà pourquoi je t’aime. Je me souviens bien de cette nuit de la lettre.(*) Mais, dis-moi, quand tous mes soupçons seraient vrais, en quoi me trompais-tu ? Me disais-tu que tu m’aimais ? N’étais-je pas averti ? Avais-je aucun droit ? ô mon enfant chéri, lorsque tu m’aimais, m’as-tu jamais trompé ? Quel reproche ai-je jamais eu à te faire pendant sept mois que je t’ai vue jour pas jour ? Et quel est donc le lâche misérable qui appelle perfide la femme qui l’estime assez pour l‘avertir que son heure est venue ? Le mensonge voilà ce que j’abhorre, ce qui me rend le plus défiant des hommes, peut-être le plus malheureux. Mais tu es aussi sincère que tu es noble et orgueilleuse.

     Voilà pourquoi je crois en toi et je te défendrai contre le monde entier jusqu’à ce que je crève. Maintenant qui voudra peut me tromper, me maltraiter et me déchirer, je puis souffrir, je sais que tu existes. S’il y a quelque chose de bon en moi, si je fais jamais quelque chose de grand de mes mains ou de ma plume, dis-toi que tu sais d’où cela vient ; oui, George, il y a quelque chose en moi qui vaut mieux que je ne pensais ; lorsque j’ai vu ce brave Pagello(*2), j’y ai reconnu la bonne partie de moi-même, mais pure et exempte des souillures irréparables qui l’ont empoisonnée en moi. C’est pourquoi j’ai compris qu’il fallait partir. Ne regrette pas, ma sœur bien-aimée d’avoir été ma maîtresse. Il le fallait pour que je te connusse. (ici une ligne rayée) mais ne reviens jamais sur un mot sans raison que je t’ai dit, et que tu me rappelles dans ta dernière lettre. Les plaisirs que j’ai trouvés dans tes bras étaient plus chastes, c’est vrai, mais ne me dis pas qu’ils étaient moins grands qu’ailleurs. Il faut me connaître comme je me connais moi-même pour savoir ce qui en est. Rappelle-toi une strophe de Namouna. –Il y avait dans tes bras un moment dont le souvenir m’a empêché jusqu’aujourd’hui et m’empêchera encore longtemps d’approcher d’une autre femme.

J’aurais cependant d’autres maîtresses ; maintenant les arbres se couvrent de verdure et l’odeur des lilas entre ici par bouffées ; tout renait et le cœur me bondit malgré moi. Je suis encore jeune, la première femme que j’aurai sera jeune aussi, je ne pourrais avoir aucune confiance dans une femme faite. De ce que je t’ai trouvée, c’est une raison pour ne plus vouloir chercher.

(...)Sais-tu une chose qui m’a charmé dans ta lettre ? C’est la manière dont tu me parles de Pagello, de ses soins pour toi, de ton affection pour lui, et la franchise avec laquelle tu me laisses lire dans ton cœur. Traite-moi toujours ainsi. Cela me rend fier. Mon amie, la femme qui parle ainsi de son nouvel amant à celui qu’elle quitte et qui l’aime encore, lui donne la preuve d’estime la plus grande qu’un homme puisse recevoir d’une femme.

Je m’en vais faire un roman. J’ai bien envie d’écrire notre histoire (*3) : il me semble que cela me guérirait et m’élèverait le cœur. Je voudrais te bâtir un autel, fût-ce avec mes os ; mais j’attendrai ta permission formelle. Je te dirai qu’on parle beaucoup de mon retour. Une chose incompréhensible, c’est que quinze jours avant mon arrivée, tout le monde savait déjà que nous étions séparés. On disait t’avoir vue à Paris, de ton côté, t’avoir parlé même, au bal de l’hôtel de ville. Peut-être as-tu, dans un mauvais jour, écrit à Buloz quelque chose de cette triste séparation. Quoi qu’il en soit, j’ai peur qu’on croie que je n’ai voulu que me défendre du ridicule tout en te défendant du blâme. Je voudrais cependant écrire, le public n’y comprendrait rien, mais ceux qui devineraient sauraient qu’au milieu de tant de calomnies stupides, il y a une voix pour toi et que c’est celle d’un homme qui t’a connue pendant un an, précisément peut-être d’un homme que tu as quitté. Il m’est très indifférent qu’on se moque de moi mais il m’est odieux qu’on t’accuse avec toute cette histoire de maladie.

     (...)Dis à Pagello que je le remercie de t’aimer et de veiller sur toi comme il le fait. N’est-ce pas la chose la plus ridicule du monde que ce sentiment-là ? Je l’aime, ce garçon, presque autant que toi ; arrange cela comme tu voudras. Il est cause que j’ai perdu toute la richesse de ma vie, et je l’aime comme s’il me t’avait donnée. Je ne voudrais pas vous voir ensemble, et je suis heureux de penser que vous êtes ensemble. Oh ! mon ange, mon ange, sois heureuse et je le serai.

     (...) Mon enfant, j’ai encore une permission à te demander. C’est de te faire quelquefois des rapsodies de sonnets, comme si tu étais encore ma maîtresse. – Et ne l’es-tu donc plus, mon amour chéri ? Tu la seras toujours, quand tu serais au bout du monde. Je te défie de m’empêcher de t’aimer. Franchement il faut que je fasse ce roman – quel imbécile suis-je de m’inquiéter des sots et de te parler d’eux ! Il faut que je le fasse ou que j’étouffe. Vois-tu, George, la veine est ouverte, il faut que le sang coule. –Je t’ai si mal aimée ! il faut que je te dise ce que j’ai sur le cœur.

Adieu, mon frère, mon ange, mon oiseau, ma mignonne adorée, adieu tout ce que j’aime sous ce triste ciel, tout ce que j’ai trouvé sur cette pauvre terre. Chantes-tu encore quelquefois nos vieilles romances espagnoles ? Et penses-tu quelquefois à Roméo mourant ?

     Adieu ma Juliette, Ramenta il nostr’ amor.

NB : cette lettre était accompagnée d’un ensemble de vers (cf : http://www.de-plume-en-plume.fr/histoire/a-george-sand )

Page suivante, la réponse de George Sand

 

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(*) La lettre à laquelle il fait allusion ici se compose de neuf lignes écrites de la main de George Sand : « Il a été très mal cette nuit, le pauvre enfant ! Il croyait voir des fantômes autour de son lit et criait toujours « je suis foi-je deviens fou ! » Je crains beaucoup pour sa raison. Il faut savoir du gondolier s’il n’a pas bu du vin de Chypre dans sa gondole, hier. S’il n’était qu’ivre… »

Ces quelques mots écrits furtivement (au crayon) par George Sand sur le premier papier venu pour ne pas troubler le sommeil d’Alfred de Musset avaient pour but de renseigner le médecin en dehors du malade, afin de ne pas alarmer celui-ci.

Il fit un mouvement et elle mit ce qu’elle écrivait dans sa poche. Il s’en aperçut et demanda à le voir. Elle s’y refusa et ne lui montra que beaucoup plus tard.

Ce billet au crayon a été joint aux autographes et déposé en même temps qu’eux à la bibliothèque nationale.

(*2) Médecin de Musset et amant de Sand.

(*3) Ce projet est devenu : La confession d’un enfant du siècle (1836).

 

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Auteur

George Sand

24-07-2012

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