![]() Venez publier une pause-mélancolie ! / Protéger une pause-mélancolie |
|
|
|
Nos amours infirmes
Il était une fois, ils étaient une triste fois nos amours infirmes. Quelque chose au fond de nos âmes qui louchait, clochait, bavochait, pétochait, qui relevait de l’impossible. L’incapacité de nos sentiments envers l’autre à demeurer dans le temps, perdurer avec les années noires et blanches ou colorées. Exception faite de l’irremplaçable tendresse, malheureusement si souvent aux abonnées absentes. Nous partions pourtant de bons, d’excellents sentiments : en premier lieu il y avait bien sûr l’offrande sincère d’émouvants bouquets de cœurs, et puis les serments jurés crachés, si je mens je vais en enfer, parfois contresignés d’échanges d’alliances, ou encore les précieux médaillons ou camées avec les portraits des deux protagonistes. Mais ensuite, après la balade des amoureux, après la chanson des cœurs heureux s’installaient peu à peu l’extinction des flammes à petit feu, l’éloignement, la distance, le silence, l’indifférence. Les regards de plus en plus vagues, puis de plus en plus vides, puis souvent maintenant hostiles, fruits de l’amertume et l’aigreur, et encore la rancune, rentrée, cachée dans une imprenable citadelle, ou alors crachée au visage pour les plus aigris, les plus belliqueux. C’est à cause de toi que j’ai raté ma vie. S’écouter, s’entendre et se comprendre s’estompaient insensiblement et invariablement, puis disparaissaient totalement du langage des sens, et les visages pourtant si familiers se révélaient un jour l’un à l’autre tristes étrangers, depuis si longtemps qu’ils ne se voyaient plus, qu’ils ne se regardaient plus, spirale de la roue tourne, la routine et l’habitude. Tout de noir vêtus, certains prédicateurs terrifiants clamaient qu’il s’agissait de la malédiction du Créateur, Sa vengeance. Si fort de Lui-même Il avait cru en l’homme et la femme, ceux-là qui L’avaient si rapidement trahi et transformé Son magnifique verger en une immense vallée de larmes et de flammes. Il nous avait pourtant bien laissé largement le temps de nous ressaisir mais non, rien à faire, pauvres imbéciles que nous étions nous n’avions su le saisir, ce temps possible de réhabilitation, de rédemption. Du terreau de nos amours intimes devenus amours infirmes poussaient des béquilles, juste pour ne pas mourir prostrés, totalement immobiles. Juste pour croire que l’on était encore en vie. Et plus la vie avançait, plus chacun allait clopin-clopant, seul au plus profond de lui-même. Oui, nous si fiers-à-bras et nos amours infirmes, qu’est-ce qui nous empêche, qu’est-ce qui nous brime ? Cette malédiction qui fait les forts si faibles et les faibles tout autant si faibles ? Que sommes-nous sans amour ? Le voyage de la vie n’a plus de cap, perdu la boussole et le nord, plus de sens et n’est plus que vide et vacuité. Oui, l’amour est ici-bas notre vrai voyage, juste avant qu’ils ne sombrent, certains le comprennent, trop tard hélas. Et si l’on ne l’a pas compris, on peut jouer à la tombola autant de fois qu’on le désire, on ne remportera jamais le moindre gros lot, le moindre ridicule petit prix. Qu’as-tu fait de ton talent ? dit la Bible - mais ce pourrait être l’almanach ou le calendrier des sapeurs-pompiers. Euhhh… je n’ai pas pu, je n’ai pas su, je n’ai pas réussi à aimer, la vie qui n’est pas une sinécure m’a par trop malmené. Halte-là, range-toi là, oui là, à l’épaule gauche de Saint Pierre. Là tu resteras, debout, sans plus jamais t’asseoir (dur pour les guibolles) et les portes du Paradis ne s’ouvriront jamais pour toi. Un instant, intervient le Créateur passant en fin d'après-midi faire le point de la journée avec son bras droit. Tu me parais bien exigeant et sévère mon bon Saint-Pierre tandis que Je suis miséricordieux : les amours infirmes sont déjà des amours, et tenter d'aimer est également de l'amour. Ouvre-leur donc la porte à droite à tous ces pauvres gueux. Tandis qu'en bas, nous continuons de traîner comme des boulets accrochés à des chaînons notre mensonge à nous-même et au miroir des autres. Et comme eux nos incapacités, nos incompétences, nos incohérences ouvertes comme un précipice. Serait-ce que Maman personne, serait-ce que personne n’est heureux ? Il rentrait un peu moins tôt, elle était moins impatiente, la maison n’était plus si chaleureuse et accueillante. Sur le papier peint du salon, de la cuisine, de la chambre, glissaient le silence écaillé, la déliquescence. Où sont envolés partis nos Je t’aime sincères et exquis, nos amours idylliques ? Parfois, soit qu’ils n’en puissent plus, soit que le désir de vie vibre encore d’un infime souffle, oui parfois l’un partait, ou encore parfois la séparation était décidée d’un commun accord. Et les acteurs se retrouvaient certes soulagés de l’autre mais seuls, inaptes, ne sachant que faire d’eux-mêmes, errant sans objectifs et tristes. Tristes, si tristes de nos amours infirmes. Auxquels nous levons la coupe du désarroi, de la déroute, des défaites de fin d'année, la coupe du vertige de l’inutile. S’il est inutile d’aimer, nous ne sommes que pharisiens, épiciers. |
|
"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Nos amours infirmes
appartient au recueil Nouvelles du monde
Lire/Ecrire Commentaires ![]() |
|
  | |
Pause-Mélancolie terminée ! Merci à Ancolies. |
Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.