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La belle vie - Histoire

Histoire " La belle vie" est une histoire détente mise en ligne par "Ancolies"..

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La belle vie

 

Bien que la situation de la famille fût plus qu'aisée, très aisée même, Marie-Aude était autant minutieusement que méticuleusement économe. D’où cela lui venait-il ? De sa mère bien entendu, cette femme qui avait marqué sa fille, ses 3 filles plus exactement et ses 2 fils d'une épouvantable marque indélébile tant elle était une mauvaise personne. Une perverse narcissique supplémentaire sur cette planète terre. Une belle, bien comme il faut, une très réussie. Mais cela, seul l'un de ses fils en avait pris conscience et tenté de s'en émanciper. Il avait réussi sa sortie en quelque sorte mais en payait un prix extrêmement élevé. Cela lui était égal bien qu'il souffrit énormément, les bénéfices en iront à mon fils penserait-il bien plus tard dans son existence, bien conscient cependant qu'il avait tort de négliger, presque nier sa propre vie à lui, tout étranger que sa mère l'avait rendu à lui-même. Donc Marie-Aude, comme elle avait vu faire sa mère des années durant, découpait soigneusement les bons de remises exceptionnelles, de réduction et de promotions sensationnelles dans les prospectus publicitaires qui débordaient de sa boîte aux lettres. En plus de quoi elle recherchait naturellement bonnes affaires, packs de 3 pour le prix de 2 et autres promotions dans les rayons des supermarchés où elle s’en allait faire les courses pour l’intendance de toute la maisonnée.

 

Son mari Claude aimait cela. Du reste il était possible qu’il n’aimât Marie-Aude que pour cela, économies et intendance. Et mère aussi (cela faisait naturellement partie de l'intendance) puisqu’ils avaient 4 jeunes enfants. D’abord 3 filles puis enfin un fils, le plus important, celui qui porterait le nom. Si ce dernier avait été une fille, le père aurait continué à insister et procréer jusqu’atteindre son but, ce fils à ses yeux indispensable, sine qua non. Marie-Aude se devait donc d’être une mère et une maîtresse de maison parfaite. Claude désirait que rien ne dépasse, même si l’indispensable vérité contraint à préciser qu’il, comme dans une autre époque, éduquait ses enfants à coups de pied dans le derche ou le ventre et de gifles, leur faisant le pire des cadeaux : si les enfants avaient peur de leur père, ils auraient peur de la vie. Mais qui s’en souciait, qui le voyait hormis le fils émancipé ?   

Claude était riche mais, semblable à la plupart des êtres humains de cette espèce, cela ne lui suffisait jamais et il rêvait en permanence de gonfler et gonfler ses portefeuilles d'actions et autres comptes bancaires. Il possédait naturellement son immense appartement de Paris, dont l’on pouvait indiscutablement dire qu’il n’y avait rien à y ranger tant tout était en permanence impeccablement à sa place, il ne l'aurait pas supporté autrement. D’autant qu’il dotait généreusement son épouse d’une ou deux domestiques à temps partiel. Il était également propriétaire - en procès languissant avec sa famille - d’un somptueux manoir en Normandie, doté d’un parc fait de vergers et de bois et forêts. A son travail, il écrasait sans vergogne aucune les autres, enfin les faibles - il était humble et habilement  servile avec les forts en hiérarchie -, se comportant comme un serial killer au sein des entreprises où il officiait en tant que consultant rémunéré très crânement. Il avait licencié injustement tant et tant de personnes qu’il était sur liste rouge pour échapper aux éventuelles menaces de représailles de personnes dont il avait ruiné les vies et avec elles les familles. Non, on ne pouvait pas dire que la conscience morale étouffait Claude. Cette désagréable parenthèse évoquée, la vie suivait son cours sans jamais déborder - hormis mais oublions les gifles et coups de pied. Notamment chaque vendredi soir le rituel était le même. A 19 h Marie-Aude faisait dîner puis couchait les enfants, Claude rentrait deux bonnes heures plus tard de son boulot, s’occupait de charger son monospace - toujours le dernier modèle apparu sur le marché - des affaires dédiées au week-end tandis que sa femme réveillait les enfants, lesquels en robe de chambre pantoufles et aux trois quarts endormis gagnaient à leur tour le véhicule. Et en route pour le manoir dont ils rentraient le dimanche dans la nuit. Claude ne s’était jamais demandé si ces week-ends systématiques convenaient à Marie-Aude, mais cela tombait très bien puisque celle-ci ne s'était jamais posée la question non plus. Sans encombres donc, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.   

Claude était également un mâle dominant de premier ordre, n’hésitant pas à glisser d’un ton complice à ses amis une pléiade de sentences averties telles « La femme est une biche qui n’attend que son chasseur ». Cela se déroulait au cours de ces dîners mondains intrinsèques à leur existence sociale où Marie-Aude se voyait méthodiquement condamnée à cuisinier du gibier, naturellement fruit des parties de chasses hebdomadaires organisées par son époux les week-ends au manoir. Marie-Aude ne se posait pas la question de savoir si elle appréciait de cuisiner et manger à chacun de ces dîners du gibier, elle le faisait c’est tout. Une nouvelle fois, ils évoluaient dans le meilleur des mondes. Et si Claude le chasseur tant attendu par les innombrables biches trompait à tour de bras sa femme ? Quiconque possédant la moindre information sur le sujet la fermait et la conservait secrète. 

Une nouvelle fois, l’indispensable et insupportable contrainte d’honnêteté oblige à signaler que Claude était ce que l’on appelle pudiquement et hypocritement un alcoolique mondain. Soit un ivrogne tout court. Quand sait-on qu'un alcoolique ment ? Chaque fois que ses lèvres remuent, disait un formidable auteur américain. Lorsque la famille partait en vacances dans la maison de la mère de Marie-Aude, dans sa grande maison d'à la fois pierres et béton de Lacanau, Claude apportait toujours 2 bouteilles de whisky à sa dite belle-mère, Cécile, qui les accueillait naïvement avec gratitude, bien que ne buvant pas, exceptés d’écœurants alexandras (porto + crème fraîche + sucre). Les choses étaient ainsi organisées que la famille Claude/Marie-Aude prenait ses quartiers au premier étage tandis que les appartements et la cuisine de Cécile se trouvaient au rez-de-chaussée. Ainsi, en fin de journée, tandis que Marie-Aude faisait dîner les enfants dans la cuisine au premier, Claude l’air tout brave et innocent descendait soi-disant pour distraire de sa distinguée conversation sa belle-mère, bavette qui lui permettait surtout de s’enfiler plusieurs triple-whisky loin des yeux de sa femme. Bien que comme déjà dit redoutablement perverse elle-aussi, et bien qu’elle eût un fils officiellement également alcoolique - le fils émancipé naturellement, Cécile ne voyait rien non plus, se contentant de trouver son gendre résolument charmant.

Vint un jour inattendu où un nuage passât. A l’âge de 30 ans, on décelât chez Marie-Aude une petite tumeur, prémice témoin d’un cancer du sein. Bien que quelque peu lourde, séances de radio et de chimio durant plusieurs mois, l’affaire ne tournât pas vinaigre, la maladie ayant été décelée très tôt après son apparition et la malade encore bien jeune. L’intéressée vit quand même ses cheveux repousser gris et blancs et prit 10 ans d’un coup. Il se trouve que le frère émancipé d’également 10 ans son aîné s’était pas mal occupé d’elle lorsqu’elle était enfant, Marie-Aude ayant perdu son père à l’âge de 9 ans et sa mère ayant à la suite de cet événement plongé dans la dépression. Aussi ce frère qui avait quitté la maison familiale très tôt l’emmenait-il souvent au restaurant, écoutant ses émois et ses confidences, tentant également de répondre à ses questions souvent innocentes, l’emmenait en vacances à l’étranger, lui avait ouvert un compte en banque où il lui versait mensuellement de l’argent, l’envoyait faire un séjour en Espagne ou aux Etats-Unis... Ainsi, lorsque Marie-Aude fut déclarée définitivement débarrassée de son cancer, ce frère tentât de lui parler, de lui expliquer le plus diplomatiquement qu’il pût qu’il arrivait de temps à autre que ce type de maladies ne soient pas sans rapport avec des affections psychologiques, d’étouffement des cellules notamment, dans le sens que ces dites cellules ne se développaient pas de façon normale. En effet, Marie-Aude était à 300% concentrée sur sa famille, les enfants, l’appartement, le manoir, la vie sociale, le moindre désidérata de son mari … et ne s’accordait jamais ne serait-ce qu’une demie-seconde pour penser à elle-même. C’est le message qu’essayait de lui passer son frère, qu’elle prenne un peu plus de temps pour elle-même. Qu'elle lise le livre titré Mars de l'écrivain suisse Fritz Zorn qui avait connu le même souci. Marie-Aude prit extrêmement mal ce message, rétorquant à son frère que, comme elle le savait gentil elle ne se fâchait pas, mais que quiconque autre lui eût dit ça, elle l’eût considéré comme une personne ennemie lui voulant du mal, et que de surcroît elle prendrait quoiqu'il arrive le parti de son mari plutôt que celui de son frère. Dans ces conditions, le frère rempocha ses bonnes intentions et s’en retourna vaquer ses occupations.  

Le nuage était maintenant passé. L’important fut alors que Marie-Aude reprenne en main et recommence et continue en permanence d'accomplir ses tâches matrimoniales et domestiques et qu’après ce petit souci la belle vie reprit, semaines parisiennes, week-ends au manoir. Oui, l'incident de la maladie était balayé, effacé et le déroulement quotidien des choses était de nouveau très agréable et réussi, Claude était toujours aussi tyrannique - et sale con, les enfants se nourrissaient avec appétit des douces névroses de leurs parents, tout allait encore et toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes, monde pourtant géopolitiquement, économiquement, socialement et climatiquement dans un extrêmement sale état. Et alors ? Semaines parisiennes, week-ends au manoir, équitation, piscine, tennis, encore et toujours dîners mondains et réceptions régulières, que demander d’autre à Notre Seigneur devant Lequel chaque membre de la sainte famille s’agenouillait pieusement chaque dimanche ? A la face de Dieu, dans ce temps pour toujours figé, l’avenir était blanc, riche naturellement et radieux.

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Ancolies

01-01-2023

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La belle vie appartient au recueil Nouvelles du monde

 

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