L'enfant et la mort - Texte court

L’enfant et la mort 

A quel âge l’enfant comprend-t ’il le concept de la mort ? Je ne sais comment cela s’opère mais c’est tout tout petit. J’en ai pour exemple mon fils. Il avait 3 ans lorsque son grand-père maternel est décédé. Le grand-père : la soixantaine tout juste passée, bon vivant, bon mangeur, bon buveur, non fumeur. Costaud. En bonne santé. Ayant pris sa retraite anticipée pour jouir de sa famille, ses loisirs et sa liberté. Originaire du sud-ouest, grand amateur de rugby, s’occupant de l’équipe nationale cadets, les emmenant jouer des tournois en Angleterre, en Australie… Un jour, dans son appartement de Paris, il tombe et se casse la jambe. On l’hospitalise, on le plâtre et on recherche les causes de cette chute. C’est là qu’on découvre les métastases. On est au printemps. Traitement radio, chimio. Les 4 ou 5 premiers mois, rien de spectaculaire, il semble "normal", sa jambe dans le plâtre. Puis cela se précipite, il maigrit terriblement etc… A l’automne il comprend que, comme chantait Moustaki, il n’y en a plus pour très longtemps. Il décide d’organiser un dernier Noël en famille dans sa maison natale à une quinzaine de kilomètres d’Agen. Mi-décembre, accompagné de sa femme, sa seconde femme, il prend le train Paris/Agen en fauteuil roulant, arrive à bon port et rejoint sa maison. Là, crise immédiate et il est aussitôt hospitalisé à Agen. C’est une question de semaines, et même de jours, lui dit-on. Vous préférez chez vous ou ici ? Chez moi, répond-il du tac au tac. Chez lui donc, dans sa maison, on installe un lit médicalisé dans le salon, face à la cheminée. Sa femme et leur fils de 18 ans sont avec lui, le reste de la famille rejoint : sa sœur, ses 3 filles issues d’un premier mariage avec pour 2 d’entre elles leur conjoint, dont moi, et mon fils de 3 ans est présent lui-aussi. Les jours passent. Assis sur des chaises autour du lit, nous passons une partie des journées tous ensemble. Nous discutons, nous plaisantons, nous nous efforçons d'entretenir une ambiance quoiqu’évidemment grave plutôt joyeuse. Il a aussi des entretiens en tête à tête avec chacune de ses filles, son fils, sa sœur. Des malentendus, des non-dits et des quiproquos sont réglés, des Je t‘aime sont échangés. Les conflits sont réglés, la paix est faite. Plusieurs de ses nombreux copains passent aussi lui dire adieu. Sa femme prépare de la bonne cuisine tandis qu’il envoie à chaque repas son fils chercher de bonnes bouteilles dans sa cave. Un après-midi, je suis près du lit avec mon fils sur les genoux qui me questionne : "Mais qu'est-ce qu'il a Papé ?" Tu sais, il va bientôt partir, je lui dis. Oui, je choisis sans réfléchir le verbe partir. Mourir devait m'apparaître comme trop violent je suppose. Réaction immédiate du bambin : Non, non, crie-t’il avant de me quitter et rejoindre à toute blinde les genoux de sa mère de l’autre côté de la pièce afin qu’elle lui infirme cette réalité que je viens de lui asséner. Donc, à 3 ans, il sait ce qu’est la mort. Qui le lui a expliqué ? Personne. 3 ans, il le sait c’est tout. Est-ce inconsciemment inculqué dès la naissance, je n’en sais rien. Je sais qu’il n’y a jamais été jusque-là confronté mais là, dans cette situation, il comprend immédiatement. Troublant non ?

Papé passera Noël, veillera jusqu’au bout à ce que sa femme assure de bons repas et son fils de bonnes bouteilles. Il tient même le 1^er janvier alors qu’il est clair qu’il n’en peux plus, mais refuse de mourir à une date anniversaire. Le 2 janvier nous lui disons C’est bon, c’est ok, tu peux y aller. Il y va, il s’en va.

L’idée de notre fin est-elle en nous dès notre venue au monde ? Je ne sais répondre.