Quand as-tu trahi ? - Pause-Mélancolie

Quand as-tu trahi ?

Je t'ai connue, tu avais 23 ou 24 ans. Tjep je t'appelais, rapport à tes racines néerlandaises. Tu étais belle et complètement rebelle. Moi, mon âge ? un peu moins que toi. Tu bossais comme moi dans la même grosse agence de pub à Paris. Créatifs, c'était notre métier. Payés des ponts d'or pour pondre des idées en or. Tu étais comme moi, ça te faisait rigoler ce soi-disant métier. Sauf que toi tu prenais ça à la légère, les idées tu les trouvais sous tous les cailloux, sous les petits pavés et tu avais raison, tandis que moi j'étais dans le stress, de les trouver en permanence sous ces foutus rochers ces foutues idées. J'étais bien trop bien élevé.

Incroyable : à 23 ans, tu avais déjà été mariée, puis divorcée. Moi ça me donnait le vertige ton histoire. Mais ce n'était pas la mienne. Pas la nôtre.

La nôtre ? On était jeunes, beaux joueurs, riches et rebelles. Une fois, à Istambul, on a fait arrêter le bus qui menait toute la joyeuse colonie de l'agence en mode séminaire et loisirs visiter les temples d'épices, d'encens, d'or, de Bosphore. On a braqué le chauffeur, qui, bien obligé, a ouvert la porte et nous a laissés descendre en plein ghetto, à la grande stupéfaction et jalousie de tous nos petits camarades de jeu. On s'en foutait. Ouais, on s'est barrés sans se soucier de rien et on a eu aucun ennui. Nous étions jeunes, beaux, riches et rebelles. Tout était permis. Et amants. Nous étions rebelles et amants au vu du monde entier. Tu étais cependant déjà maqué au tout puissant Président de l'Agence, qui nous laissait faire soit par indifférence, soit par impuissance. Combien de siècles nous sommes nous aimés ? Longtemps. Fidèles. Qui me soignait quand j'avais appuyé trop fort la lame sur les veines ou quand j'avais pris trop d'héro si ce n'est toi ma belle ? Puis je t'ai quitté, j'ai quitté Paris pour m'installer loin dans le sud. Mais nous nous sommes souvent reparlés et revus. Chaque fois que tu descendais ou que moi je passais quelques jours dans la sale capitale. Et qu'avais-tu fait au fur et à mesure de ton temps ? Tu t'étais mariée avec le sus-dit président, avais eu 2 enfants, avais cessé de travailler pour prendre des cours de piano, de décoration intérieure, d'équitation. De maintien et bonne éducation aussi peut-être ? Nan, je suis méchant, j'aime bien le piano et l'équitation et j'admire les gens qui bougent et qui apprennent. Sans blague. Mais  quand as-tu trahi, quand es-tu devenue une grande bourgeoise ? Aujourd'hui tu refuses de décrocher quand je t'appelle. Pourtant qui est venue me voir bien des fois à l'hopital, quand je m'étais tiré une balle ? Qui m'a apporté sur mon lit transi le Berlin de Lou Reed quand je n'en menais pas large et n'avais plus rien qu'un walkman ? Quand es-tu partie ? Oui, quand as-tu trahi toi la belle, la riante, la royal-air-foutre, la libertaire, la rebelle ?  J'ai envie de te l'envoyer par sms ce message : quand as-tu trahi ? Bien sûr je ne le fais pas. Par respect pour ta liberté. Je sais que des femmes se laissent acheter, j'en ai vues et pas mal dans la pub, mais je n'aurais jamais cru ça de toi. Quand as-tu retourné ton blouson blanc et pourpre, quand as tu trahi, mon amour ? Je suis fidèle et tellement  désolé, si tu savais.