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Qu’il est vilain le filin
Lorsque j’ai fait la Transat des Alizées en 1988, une course de voiliers amateurs partant de Casablanca pour arriver à Pointe-à-Pitre, j’étais simple équipier sur notre voilier de 18 mètres. Le second s’appelait Gérard et a passé 2 semaines à faire la gueule. Le skipper prenait toutes les décisions et les propositions de Gérard se voyaient systématiquement rejetées, ce qui expliquait donc sa mauvaise humeur bien que certains aient pu réagir autrement. Mauvaise humeur donc jusque la moitié du parcours - la traversée dura 24 jours - où il eût l’occasion de se distinguer. Une nuit nous fûmes pris dans une infernale tempête, des vagues de je ne sais combien de mètres de haut et un vent de fou. Nous avions bien sûr affalé les voiles et tentions grâce à la barre (le gouvernail) de nous positionner bien de travers pour faire face si l’on puit dire aux vagues l’une après l’autre. Le bateau dansait tel un pantin sur l’eau et retombai après chaque vague sur l’eau avec un tel choc que nous craignions que la coque ne lâche et ne s’ouvre en 2. Lorsque soudain l’un des haubans (filins d’acier reliant le haut du mât au bastingage) claqua d’un coup sec et vint s’enrouler sous le bateau à la barre, la bloquant complétement et rendant le voilier ingouvernable. Nous n’étions plus que le jouet des éléments. Il n’y avait qu’une solution : que l’un de nous plonge à l’eau et armé d’un poignard tranche ce méchant filin. Ce fut Gérard qui se proposa. C’était l’un des 2 plus athlétiques membres du bateau. Il se mit donc en slip de bain, nous l’encordâmes et il se laissa glisser à l’eau. C’était vraiment dangereux car il risquait de se faire heurter la tête par les caprices du bateau qui sautait et dansait de joie sur la mer déchaînée. Mais il le fit et parvint à ses fins. Après cet exploit, qui nous sauva sans doute la mise à tous, il retrouva sa bonne humeur, probablement du fait de se sentir important. Ainsi vont les hommes. Précisons que je n’ai au grand jamais eu peur en bateau, si c’était mon heure eh bien c’était mon heure et voilà. Quelques mots sur l’arrivée : elle se déroula à 2 ou 3 heures du matin à Pointe-à-Pitre. Il faut préciser que notre radio était semi-cassée et que si nous entendions, nous ne pouvions émettre. Ce qui fait que les autorités de la course s’inquiétaient et que nous entendions régulièrement sur la fréquence de la course des annonces que si l’un des bateaux avaient aperçu le nôtre - baptisé Pearl Valley -, qu’il veuille bien le signaler. Mais des bateaux nous n’en vîmes point. Nous étions 5 sur le voilier et 3 d’ente nous - pas moi - étaient mariés et leurs femme et enfants s’étaient rendu en Guadeloupe pour nous accueillir à une date hypothétique. Malgré l’obscurité, un avion nous repéra dans la nuit lorsque nous étions à quelques miles de l’arrivée. Lors ils prévinrent à leur hôtel femmes et enfants, qui forcément s’inquiétaient depuis un moment, que nous étions bien vivants et que nous arrivions. Ce qui fait qu’ils nous attendaient tous au port. 1 mile avant l’arrivée, les hautes autorités dépêchèrent un zodiac pour nous rejoindre, lequel nous apporta 2 bouteilles de rhum en guise de bienvenue. Bienvenues les bouteilles, remercièrent-nous chaleureusement. Nous retrouvâmes terre ferme, femmes et enfants dans un moment d’émotion et finirent la nuit sur la plage, guettant le premier troquet qui ouvrirait. Lorsque ce fut le cas, nous nous y précipitâmes et nous gorgeâmes de café frais, jus d’oranges frais, croissants frais. Il faut dire que nous carburions depuis une semaine aux Petits Lu et que nous avions effectué la traversée quasi sans eau, 2 caissons sur les 3 ayant explosé juste quelques jours après notre départ dans une autre méchante tempête. Nous croisions alors les Canaries et nous nous étions demandé s’il ne serait pas sage de renoncer mais nous entendîmes alors à la radio du bord que nous étions à ce moment premier de la course, ce qui emporta l’adhésion de continuer. Nous étions donc réduits à une maigre portion d’eau par personne et par jour et dans l’incapacité de nous laver. Les femmes à l’arrivée le sentirent bien, au propre comme au figuré, et à 8 heures, après ce plantureux petit déjeuner, nous indiquèrent, nous intimèrent plutôt la direction des douches du port. Une fois cela fait, nous décidâmes de nettoyer le bateau de fond en comble de suite, l’atmosphère à bord ayant été détestable lors de la dernière semaine - perso je n’étais plus descendu dans le carré les 10 derniers jours et n’avait quasi pas dormi. La besogne du nettoyage du bateau effectuée - laquelle nous permit de découvrir au fond d’un placard le kit de survie, un kilo de pâte d’amandes qui nous aurait agréablement changé des Petits Lu -, chacun partit vivre sa vie, c’est-à-dire que les 3 maris marins rejoignirent leurs familles respectives dans leur hôtel, nous laissant 2 clampins - dont moi donc - à bord de ce voilier tout pimpant. Nous décidâmes de faire le tour des îles avoisinantes, projet qi tourna court vous allez voir pourquoi. Le premier soir de cette virée, nous mouillâmes dans une jolie crique et prirent l’annexe pour nous rendre à terre où nous trouvâmes en haut d’une colline un resto qui avait l’air sympa. Il n’avait pas que l’air car le patron, comprenant que nous débarquions de la course - qui était un événement local - nous arrosa de tournées de rhum. Nous repartîmes dans la nuit complètement cuits, descendirent la route en colimaçon du haut de la colline, trouvèrent au second tournant un bâtiment qui nous sembla être d’évidence l’entrepôt du resto, forçâmes le cadenas et attrapèrent encore 2 bouteilles de rhum. De plus en plus torchés, nous regagnâmes l’annexe puis le bateau. Nous décidâmes que nous étions mal mouillés et de changer de place. Je me mis à la barre et mon poteau releva l’ancre, mais, bourré comme il l’était, il se trompât de sens et se démerda pour envoyer malgré la sécurité la dite ancre par le fond, ce qui fait que nous conclûmes cette nuit mémorable en faisant des ronds dans l’eau dans la crique, avant que de se décider à remettre le cap sur Pointe-à-Pitre, ne pouvant plus sans ancre mouiller dans les îles. Une fois retournés sur place et une ancre rachetée dans l’un des magasins d’accastillage près du port, je pris mon avion retour pour Paris. Je ne dormis évidemment pas des 8 heures de vol, me fis même pour m’occuper poser par un acupuncteur et charlatan de service un anneau sur l’oreille prétendument pour cesser de fumer - je n’avais aucun désir d’arrêter - et arrivai à Paris au petit matin. Je passai chez moi prendre une douche et me raser, me nippai de propre et fit un bref passage dans l’agence de pub où je travaillais alors pour signaler mon retour et dire que je serai là le lendemain. Certains furent soulagés - ou pas - de me revoir vivant car lorsque j’étais parti ils m’avaient cru fou. Puis j’invitai ne copine à dîner. Nous allâmes dans un resto près de chez moi et là, trou noir, je dus m’endormir à table - je n’avais quasi pas fermé l’œil depuis 10 jours. Je ne sais comment ma copine s’y prit mais le lendemain matin je m’éveillai en caleçon dans mon lit, tentai en vain de me souvenir des événements de la veille au soir en buvant mon café et rejoignis mon agence de pub, l’esprit tout-à-fait frais, autant que les jus d’oranges de notre arrivée à Pointe-à-Pitre. Bon, à l’agence je repris comme d’habitude mon rôle de pitre, quoique assurant à mort mon travail. Tout allait bien, tout était en ordre, la traversée de l’Atlantique faisant dorénavant partie de mon album intime - chacun le sien - qu’on appelle ses souvenirs. |
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Qu’il est vilain le filin
appartient au recueil Nouvelles d'une vie
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Tranche de Vie terminée ! Merci à Ancolies. |
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