L'ongle Gérard - Inclassable

L'ongle Gérard

Enfant je me rongeais les oncles. Jusqu'au sang. Je m'en souviens bien d'un ongle, ongle Gérard, c'était son nom. C'était le mari d'une soeur de ma mère. Un dimanche sur deux, nous déjeûnions en famille chez eux. Enfants bien rangés, bien propres et bien peignés. Après le repas, nous allions nous installer dans le grand salon, où l'ongle Gérard s'installait dans son fauteuil attitré de maître de maison. De cette place, il administrait distraitement les conversations. Mais ce qu'il faisait de mieux, c'était se gratter les oreilles, en décoller les peaux mortes, porter ce qu'il avait pêché sous son nez, le humer puis le ruminer entre son pouce et son index avant de jeter la boulette finale par terre. Dégoûtant, pensait le petit Ancolies fasciné. Et moi je me rongeais les oncles de plus belle. ça ne plaisait pas à mon père qui, une fois, m'a privé d'une séance familiale de cinéma (Le pont de la rivière Kwaïe) parce que j'avais les oncles trop rongés. Plus tard, un médecin a expliqué à mes parents qu'il s'agissait d'une maladie et non d'un simple vice de volonté. Plus tard dans ma vie j'ai arrêté, les oncles, tout ça. Et les oncles ont commencé à pousser. ça allait bien avec ma posture de toxicomane et d'anorexique, je commençais à ressembler au fantôme de Dracula, errant irréel sur la terre. Mais le passé était là, et mes oncles que je ne rongeais plus n'ont plus jamais été solides, ils se cassent tout le temps. Raison pour laquelle je joue avec un médiator de la guitare. Quant à l'ongle Gérard, il est mort l'année dernière, exactement 4 jours après sa femme. Parfois la vie et la mort sont bien faîtes.