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L’oiseau et le gratte-papier - Texte

Texte "L’oiseau et le gratte-papier" est un texte détente mis en ligne par "Ancolies"..

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L’oiseau et le gratte-papier

 

Un minuscule oiseau - serin, moineau ? - se pose sur la rambarde de ma vaste terrasse. Il pépie. Je tousse doucement, il reste immobile. Voici qu’il sautille à présent. Ô dis-moi petit oiseau, vas-tu de rambarde en rambarde dans cette résidence, te poses-tu parfois dans son jardin ? As-tu une amie, une bande de copains ? Il n’a pas répondu, il s’était déjà envolé, il était parti, il m’avait laissé avec mes souvenirs et autres songeries.

Elle m’a dit : Fais-moi l’amour si tu veux. Mon cœur et mon corps peuvent se dissocier. J’ai refusé. C’était son cœur qui m’intéressait. T’es bête, m’a t’elle dit et insisté. Alors je l’ai fait, sans qu’elle ne bouge. Je n’aurais pas dû. C’était vide et déprimant. Notre Père m’a dit : Bah, au point où tu en es ! Nous étions 2 bêtas dans le lit plantés là. Presqu’un an lui aura été nécessaire pour s’apercevoir qu’il (pas moi, l’autre) était un imbécile irresponsable et égoïste. Mais pour moi c’était trop tard. La fin du monde avait déjà eu lieu, le mal profond avait été fait et bien fait. Pour tous les jours qu’ils me restaient à vivre.

Nous sommes chacun les seuls. Nous pouvons nous regarder tout à notre aise dans chaque miroir mais nous sommes les seuls et uniques êtres au monde à ne pouvoir nous voir de l’extérieur, à ne pas pouvoir savoir ce que les autres ressentent, perçoivent de nous lorsqu’ils nous appréhendent et nous rencontrent, pour la première fois ou la centième. Notre objectivité, notre neutralité envers nous-mêmes n’existent pas. Ballot non !?

Il y avait longtemps que je n’avais pas touché d’argent. Alors j’en ai profité et l’ai emmenée à Honfleur. Le samedi nous avons flâné dans la vieille ville, il y avait un marché. Puis nous avons flâné sur le port à regarder les bateaux et les pêcheurs. Le soir restaurant, plateau de fruits de mer et tout. Puis l’hôtel caché si doux. Le dimanche nous sommes partis pour Etretat. Je l’ai emmenée sur les falaises, j’ai évité les faciles fadaises, je lui ai montré l’aiguille creuse en lui racontant son histoire, Isidore Beautrelet, le trésor des Rois de France. Puis nous avons déjeuné avant d’aller nous baigner. Nous avons repris la route. Je voudrai un café, a-t-elle dit. Très bien, dès que nous en voyons un nous nous arrêtons. Nous n’en avons pas vu et nous sommes retrouvés sur l’autoroute. Et mon café ? a-t-elle dit. T’as vu, il n’y en avait pas, nous nous arrêterons à la première station-service. Elle s’est renfrognée dans son siège, se serrant contre la porte passager le plus loin possible de moi. De toute façon c’était nul ce week-end, a-t-elle grommelé. J'ai failli lui envoyer une gifle. Je ne l’ai pas fait.

Nous étions dans le car à Istanbul avec tous les autres. Nous étions installés à l’arrière, nous sommes levés, avons traversé l’allée et demandé au chauffeur qu’il nous laisse descendre là. Nous étions trois, deux filles un gars, nous étions jeunes, nous étions beaux, nous gagnions à nous 3 plus d’argent que le car entier réuni. Ils nous ont regardés descendre et nous enfoncer dans le souk avec des regards d’envie et beaucoup de jalousie. Nous étions libres et peut-être inconscients. Le gars c’était moi, les filles c’était Tjepkéma et Jenny. Plus tard, Tjepkéma a trahi. La dame brune chantait Dis, quand reviendras-tu ? Tjepkéma ne reviendra pas. Plus tard je suis retourné à Istanbul. Ce n’était plus pareil. Le Bosphore était étain.

Nous avions quitté l’agence tôt. Dans la voiture de son mari. J’avais mis un cd plein pot. Je voulais qu’elle prenne les guitares électriques plein les oreilles : « Juste en face de la mer sur des bocs de granit, un jour j’irai graver les raisons de ma fuite, sous le regard bleu du reflet des sirènes, j’avais peur des chemins qu’on voulait que je prenne ». Je voyais bien que la voiture avait des problèmes mais je voulais à tout prix qu’elle en prenne plein les oreilles. Je voulais partager cela avec elle. J’ai martyrisé à la fois l’accélérateur et l’embrayage, le boucan du moteur hurlant couvert par le son du cd pour que nous arrivions à bon port. Quand il a récupéré la voiture, le mari a payé une fortune pour la faire réparer.

Miami en Floride. C’était un jour off. Un jour où nous ne tournions pas. La production a envoyé chercher une bagnole afin que je puisse me balader. Une immense décapotable est arrivée devant l’entrée de l’hôtel. Avec mon t-shirt sans manches et mes lunettes noires, je me suis enfoncé dans les keys. Ça et là j’ai marché sur le sable et compté les crabes.

J’avais un billet Miami Orly. Le tournage achevé j’ai dit à la production que je désirais transiter 5 jours par New-York et qu’ils s’occupent de faire rapatrier mon sac de voyages. Ils ont fait le nécessaire. Nous étions sur la plage à réaliser des photos post-tournage pour le dossier de presse quand ils ont envoyé une limousine pour me récupérer et m’emmener à l’aéroport. J’avais juste pris un petit sac à dos avec un livre, une brosse à dents, 2 t-shirts et 2 caleçons. Les premières classes de Pan-Am sont infiniment supérieures à celles d’Air France. J’étais en bermuda entouré de golden boys en costard avec leurs ordis portables. J’ai bu du champagne, des jus de fruits et du whisky. Nous sommes arrivés à NY en fin de journée. Au débarquement j’ai demandé à un golden boy si la ville était proche de l’aéroport. Il m’a affranchi et dit de me méfier des arnaqueurs conduisant les taxis jaunes. Nous nous sommes mis d’accord sur 100 dollars. Lorsque j’ai vu les panneaux NY, j’ai dit au chauffeur de me laisser là. Il m’a réclamé 100 dollars supplémentaires pour le retour à l’aéroport. J’ai dit non. Il faisait doux. J’ai marché au hasard. J’ai marché longtemps. J’ai traversé Central Park et Harlem. A 3 heures du mat je suis tombé sur un YMCA. J’ai payé 8 dollars et j’ai rejoint une piaule de 4 où je me suis allongé sur une des couchettes supérieures. Il y avait un barouf d’enfer dans cette taule, je suis parti au bout d’une demi-heure. J’ai marché à nouveau. A l’aube, je me suis trouvé devant un petit et vieil hôtel qui m'a paru sympa, le Chelsea hôtel. J’ai repris une chambre. Il y en avait 5 ou 6 en tout je crois. De grandes, vieilles et belles chambres qui semblaient d’un autre temps avec leurs arcanes et leurs boiseries lambrissées. C’était le hasard, c'était l’hôtel où avaient séjourné tous les poètes beat. Ma chambre était celle où Sid Vicious s’était suicidé. Il avait gravé au couteau son nom sur le bureau de bois. J’ai bu du Cherry Coke. J’ai marché, pris le métro, acheté des cds du Velvet, passé les nuits dans des rades à jazz. J’ai acheté 2 t-shirts dans une boutique d’homos. Les mecs m’ont sifflé. Quand je suis arrivé à Roissy, ma caisse m’attendait à Orly. J’ai pris la navette. Je me suis rendu direct aux bureaux de la prod pour débuter le montage du film.  

  

Tjepkéma n’avait pas encore trahi. On a parlé de toi avec les producteurs m’a-t-elle dit. Et alors ? Et alors ils ont dit « Dommage qu’il ait peur des femmes ». Evidemment je me suis interrogé.

Lui et ses potes étaient des squatteurs professionnels. Régulièrement ils se faisaient expulser. Ils repéraient les maisons vides grâce aux boîtes aux lettres qui débordaient de pub. Une nouvelle fois ils étaient menacés. Ils ont organisé une action collective devant l’immeuble du syndic. Ils avaient fait marcher les réseaux sociaux pour attirer du monde venant les soutenir. J’y suis allé, un peu par devoir un peu par curiosité je suppose. Ils n’étaient même pas une petite dizaine de malheureux + moi. Ils avaient cousu ensemble 2 grands draps sur lesquels ils avaient peint : Non à l’expulsion, à gauche, Oui aux services de proximité, à droite. Quels services de proximité ? me suis-je demandé. Les bureaux du syndic étaient vides. Qu’importe ! Devant l’immeuble ils ont chanté une chanson sur une musique de Le Forestier avec des paroles idiotes. Puis ils ont organisé le débriefing. Nous nous sommes tous assis en cercle. Cela n’a pas été long. Il n’y avait pas grand-chose à débriefer. Il y avait une fourgonnette de police à proximité. Les flics ne leur ont même pas jeté un coup d’œil. Ils étaient trop pathétiques. Avec le temps, je me suis lassé de leur cirque.

Je ne me souviens plus de son prénom. Elle était vraiment très belle. Elle ne pouvait passer devant un miroir sans s’y arrêter. En réalité c’était une craquette, une de ces filles qui tentent de se mettre à l’abri en jetant leur grappin sur un gars beau si possible mais surtout riche. Je l’étais, enfin dans une certaine mesure. Je l’avais rencontrée dans un magasin de gadgets où elle était vendeuse. J’y étais entré parce que je l’avais vue à travers la vitrine. Elle avait une petite fille, Sarah, là je me souviens. Nous sommes partis, sans Sarah, à Eilat, la station balnéaire d’Israël. J’avais loué une voiture et tous les jours je me baladais, Mer Morte, Sinaï, désert… Elle, elle passait son temps à la plage, elle ne faisait rien, ne lisait pas, ne pensait pas, elle bronzait. En maillot presqu’indécent. Respecte un peu les gens d’ici, je lui ai dit en vain une fois. Nous nous retrouvions en fin de journée pour aller dîner. C’est le 1er soir que j’ai découvert qu’elle était nymphomane. Tu ne croyais pas ça de moi a t‘elle dit. Et moi anorexique. Nos rapports ne s’en sont guère améliorés. Tout s’est arrangé pour elle dans l’avion retour. Nous étions beaux et bronzés, nous étions le couple star de l’appareil. De retour à Paris, chacun est rentré chez soi mais le soir elle a débarqué dans mon grand studio boisé avec jardin munie d’une grosse valise à la main. J’ai eu du mal à la mettre à la porte. Rends-moi la chemise que je t’ai offerte, a-t-elle finalement avancé à court d’arguments. Impossible, elle est dans la machine à laver de ma gardienne, chargée de mon ménage. Va la chercher. Non, pas à 3 heures du matin. Je ne partirai pas sans cette chemise. J’ai dû hausser le ton : Tu vois ton magasin, tu vois ses étagères. Tu vois mes 2 bras, mes 2 mains, hop ! une après l’autre par terre. Tu connais l’école où va ta petite Sarah ? Moi aussi. Elle est enfin et pour toujours partie.

Je lui ai proposé de l’emmener. Je l’ai mise au parfum : Au début tu vas te faire massacrer. Puis tu vas commencer à gagner de temps en temps. Puis peut-être de plus en plus souvent. T’en dis quoi ? Elle s’est pas embêté à discuter, à chercher dans son grand sac et ses petits papiers, elle a dit ok.

C’était un film de pub débile pour une nouvelle machine à laver Thomson. Un film basé sur la technologie qui allait être tourné à Londres. Justement on m’a demandé d’aller vérifier la construction des décors. Avec le directeur de clientèle nous avons pris à 10h heures du mat un petit avion privé (hôtesses, champagne) dans un aérodrome à Paris intra muros. Le temps était houleux, l’avion faisait des chutes de 10 mètres. Le directeur de clientèle était blanc comme un linge dans lequel on aurait enveloppé un navet. J’étais pas très à l’aise non plus. Nous avons atterri à Londres, encore une fois dans un aérodrome intra muros. Une limousine aux vitres teintées nous a conduit aux studios dans les embouteillages. Les gens se rapprochaient de la voiture pour deviner qui était derrière ces vitres teintées. Mick Jagger ? Elton John ? Nous sommes arrivés au studio. J’ai jeté un œil de 30 secondes sur les décors, c’est ok j’ai dit. La limousine nous a emmené déjeuner dans un club privé. Puis nous a ramené à l‘aérodrome. Le directeur de clientèle pétochait. Le voyage retour s’est déroulé sans encombres et à 18 heures nous étions à l’agence. J’ai enchaîné avec une fête de pub, genre de trucs où j’allais strictement jamais. Il n’y avait quasi rien à manger, la coco coulait à flots, ça avait tout l’air d’être parti pour se terminer en partouze. J’ai pas fait long feu.  

Nous sommes sortis ensemble quelque temps. Et puis, comme à l’habitude chez moi, j’ai pensé à juste titre qu’elle était 100 fois plus amoureuse de moi que je ne l’étais d’elle. Alors je lui ai dit On arrête. Ensuite, pendant 2 ans, de temps à autre nous dinions ensemble, et chaque fois elle me disait Je te veux et je t’aurai. Pourtant tout son entourage lui disait Oublie ce gars, il est totalement imprévisible. Elle écoutait rien de rien, avec son idée fixe elle s’en foutait. Enfin un jour elle m’a dit : J’en ai assez d’attendre. C’est oui ou c’est non ? Ben posé comme ça, c’est non, j’ai répondu. Elle a juste dit T’as tort et elle est partie.

Le minuscule oiseau lui est revenu. Je n'avais pas vu le temps passer. Je n'avais pas de miettes de pain à lui donner à picorer - je ne mange pas de pain. Il a de nouveau sautillé, pépié, puis il s'est envolé. Je lui ai envoyé le salut du gratte-papier. Nous avions au moins une plume en commun.    

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Ancolies

07-08-2022

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L’oiseau et le gratte-papier appartient au recueil Nouvelles d'une vie

 

Texte terminé ! Merci à Ancolies.

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