L'Ecume des jours - Chronique

L’Ecume des Jours 

Boris Vian

Résumé de l’éditeur

Dans un univers mêlant quotidien et onirisme, ce premier roman conte les aventures de Colin, de Chick, d’Alise et de la belle Chloé. Deux histoires d’amour s’entremêlent : Colin est un jeune homme élégant, rentier, qui met fin à son célibat en épousant Chloé, rencontrée à une fête, tandis que son ami Chick, fanatique transi du philosophe vedette Jean-Sol Partre, entretient une relation avec Alise. Tout irait pour le mieux sans les forces conjuguées de la maladie (Chloé est victime d’un « nénuphar » qui lui dévore le poumon) et du consumérisme (Chick consume ses ressources dans sa passion pour Jean-Paul Sartre) qui s’acharnent sur les quatre amis. La plume alerte de Boris Vian, qui multiplie les néologismes poétiques et les jeux de mots (le pianocktail, le biglemoi, les doublezons…) semble le faire par politesse, car sous ses dehors de roman d’amour pour éternels adolescents, l’Ecume des Jours est un piège qui étouffe petit à petit le lecteur et les personnages. A l’image de la maladie de Chloé qui s’étend, la légèreté et l’innocence qui ouvrent le roman sont progressivement contaminées par le drame. 

Un classique moderne, salué à sa sortie par Raymond Queneau comme « le plus poignant des romans d'amour contemporains. »

Avis

Une histoire d’amour tragique dans un univers décalé, poétique, voire surréaliste. La plume de Boris Vian, unique, fascine par sa créativité, son sens de l’absurde et  le réalisme grinçant avec laquelle elle décrit les vices et les névroses d’une époque. Loin de n’être qu’un roman d’amour pour adolescents, l’Ecume des jours est un monde étrange et fantaisiste, d’abord léger et insouciant, puis de plus en plus sombre au fur et à mesure que les personnages subissent  les cruels revers de la réalité. L’œuvre dévoile sa richesse au fil des pages, tandis que les personnages se révèlent et gagnent en épaisseur. Ce qui ne semble au début qu’un  génial délire d’inventions et de jeux de mots devient un roman profond et mélancolique, qui nécessite plusieurs lectures pour en saisir tous les aspects. Lecture ou relecture fortement conseillée !

Extraits

« Le plus clair de mon temps, je le passe à l'obscurcir, parce que la lumière me gêne. »

« Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le bonheur de tous les hommes, c'est celui de chacun."

 « Et vous, que faîtes-vous dans la vie ? 
- Moi, j'apprends des choses, et j'aime Chloé. »

« Il était si heureux que ça lui faisait énormément de peine... »

« - J'ai le sentiment que toute ma vie dépend de cet instant précis. Si je le rate...
- Moi je pense le contraire. Si on rate ce moment, on essaie celui d'après, et si on échoue on recommence l'instant suivant. On a toute la vie pour réussir. »

« Colin reposa le peigne et, s'armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite. »

« Il s'assit au bord du trottoir et pleura encore. Ça le soulageait beaucoup et les larmes gelaient avec un petit crépitement et se cassaient sur le granit lisse du trottoir. »

"Quel parfum avez-vous? dit-il. Chloé se parfume à l'essence d'orchidée bidistillée.
-Je n'ai pas de parfum, dit Alise.
-C'est naturel, dit Chick
-C'est merveilleux!... dit Colin. Vous sentez la forêt, avec un ruisseau et des petits lapins. »

« - Ah! dit Colin. Combien vous dois-je ? 
- c'est très cher, dit le marchand. Vous devriez m’assommer et partir sans payer...
- Oh! dit Colin, je suis trop fatigué ...
- Alors, c'est deux doublezons, dit le marchand. Colin tira son portefeuille.
- Vous savez, dit le marchand, c'est vraiment du vol.
- ça m'est égal ... dit Colin d'une voix morte.
- Vous êtes stupide, je suis vieux et pas résistant.
- J'ai pas le temps, murmura Colin.
- Ce n'est pas vrai, dit le marchand. Vous n'auriez pas attendu si longtemps ...
-Maintenant, j'ai les remèdes, dit Colin. Au revoir, monsieur. »

« Le professeur l'auscultait. Il se releva.
— Ça va, dit-il. Évidemment, ça a laissé des traces.
— Oui ? dit Chloé.
— Oui, dit le professeur. Vous avez actuellement un poumon complètement arrêté, ou presque.
— Ça ne me gêne pas, dit Chloé. Si l'autre est bon.
— Si vous attrapez quelque chose à l'autre, dit le professeur, ça sera ennuyeux pour votre mari.
— Pas pour moi ? demanda Chloé.
— Plus pour vous, dit le professeur. »