"Une journée ordinaire à l’Assemblée Nationale" est une histoire détente mise en ligne par
"Ancolies"..
Venez publier une histoire détente ! / Protéger une histoire détente |
|
|
|
Une journée ordinaire à l’Assemblée Nationale
Il était une foire, une belle foire, avec les manèges volants et les barbes à papa, avec le palais des miroirs et le tunnel des horreurs, avec le tir à la carabine et la limonade à la cantine, tout quoi… On trouve de tout dans une foire. La preuve : il y avait là un homme cherchant une femme. Cherchant farouchement une inconnue. Comment la reconnaîtrait-il le moment venu puisqu’il s’agissait d’une inconnue ? Oh il ne se faisait pas de mouron pour cela, quand il la verrait, immédiatement il saurait. Encore fallait-il qu’il la trouve entre toutes ces baraques à frites, à churros et à attractions, entre tous les gens composant toute cette foule dans laquelle il était baigné et balloté comme porté par la houle. Oui, il savait qu’il la trouverait mais il savait également que jamais elle ne lui dirait son nom. Il fallait bien garder une part de mystère non ?! Cela convenait à l’homme, un aventurier très certainement. Eh oui, qui a l’idée de chercher une inconnue dans une foire ? Les âmes ardentes, les poètes, les intrépides cavaliers évidemment. Oh je sais, nous le savons tous, il est des bergers plus hardis que les plus intrépides cavaliers, mais dans cette foire, là n’était pas la question. La question était quand. Quand trouverait-il sa belle inconnue ? Il était déjà 17 heures et dans cet horaire d’hiver le soleil s’était déjà caché derrière les pignons des innombrables baraques. Bah ! songea notre aventurier, dans l’obscurité elle n’en sera que plus brillante, donc repérable à 100 pas. Et puis il est de notoriété publique que les aventuriers ne craignent pas l’obscurité même s’ils trouvent comme tout un chacun que l’instant est triste où s’éteint la lumière pour laisser place à l’ombre, l’instant où l’on doit allumer la lampe et dehors noire la lande. Mais les baraques de la foire et les dizaines de dizaines de guirlandes accrochées dans les airs entre les arbres clignotaient de 1000 feux multicolores. Les haut-parleurs disposés un peu partout également dans les arbres vrombissaient un boucan d’enfer. De la musique foraine évidemment, des cuivres et des cymbales. Certes ce n’était pas une ambiance très romantique pour rencontrer l’âme fée, l’âme existentielle de sa vie mais l’aventurier était un exalté. Les minutes passaient et une fois, 10 fois, 20 fois il crut l’apercevoir mais découvrant immédiatement qu’il ne s’agissait pas d’elle. Avec l’obscurité allant s’épaississant, le froid gagnait lui-aussi. Pas de quoi décourager notre homme, son cœur en mode surchauffé ignorant cet inconvénient. Et qui a dit que les chevaliers ardents craignaient la froidure ? Ce fait n’est inscrit ni dans les épopées lyriques de Victor Hugo ni dans les palpitantes pérégrinations du comte de Monte-Cristo. Soudain, en un éclair, comme un flash déchirant la nuit juste entre les auto-tamponneuses jaunes, rouges, vertes, bleues… et la pêche aux canards, il l’aperçut. Aucun doute c’était elle, avec son écharpe blanche en soie naturelle s’agitant gracieusement au vent et un halo couronnant sa tête coiffée d’un élégant chapeau. Ce n’était pas rationnellement explicable mais toute sa vie il avait su qu’il la rencontrerait dans une foire, dans cette foire, cette belle foire. Terrassé par l’émotion, il tomba genoux à terre et loua 1000 grâces à son Maître et Seigneur. Mais, que se passe t’il ? Miséricorde, lorsqu’il se redressa elle avait disparu. Non ! hurla t’il, son cri dévalant les montagnes russes du Galápagos et traversant telle une tornade la plaine de Saint Saturnin tandis que son cœur s’emballait à match 3. Alors il courut, courut, courut partout, tel le plus excité des éperdus, traversant la grappe humaine, se démenant en tous sens en renversant des gens et des baraques. Il n’en avait cure, tel Mike Brandt, elle, il ne voulait qu’elle ! La fille, la femme de ses rêves les plus anciens et les plus audacieux et les plus fous. Non, son Maître et Seigneur était bien trop cruel : la lui offrir enfin pour aussitôt la lui reprendre ! Maintenant il maudissait cette foule, cette musique déversant ce vacarme assourdissant, ces centaines, ces milliers de lampions comme le Séraphin du même nom. Il était impossible qu’elle se fut évanouie, elle était là forcément quelque part. Il courait, les minutes, les quarts d’heure passaient, la nuit s’installait, la lune déjà était levée, les gens commençaient à rentrer chez eux. Et cette surnaturelle écharpe blanche et ce halo qui ne voulaient plus se montrer. Maintenant, immobile entre l’échoppe à hot-dogs qui fermait ses battants et la grande roue dont chaque nacelle vide de tout occupant s’était immobilisée dans l’immensité du ciel, l’homme restait debout hébété, paralysé, tétanisé, le rêve d’une vie entière se vidant de ses veines désormais d’un bleu glacé, le sens même de cette vie perdant toute signification. Se secouant enfin, l’homme fit quelques pas d’abord hésitants avant que de se diriger maintenant d’un démarche assurée vers une des baraques de tir dont le propriétaire était en train de descendre le volet. Il le bouscula, attrapa une des carabines, l’ajusta au bout de son bras droit et se tira une balle à air comprimé dans le cœur. Hélas, c’est à peine si une mouche l’avait piqué. Il ne chancela même pas sous le ridicule impact. Encore un signe de son Seigneur : celui-ci voulait qu’il vive. Vivre ! Mais pourquoi dorénavant ? « Sois un homme, va et surtout ne te retourne pas ! » lui intima doucement la Voix divine. Alors il obtempéra. Il marcha, marcha, quittant la foire qui s’éteignait pour errer dans les rues désertes, ses pas battant le pavé. Il grelottait maintenant. Ah, il n’allait pas fallu beaucoup d’eau coulant sous les ponts pour transformer l’intrépide chevalier en une malheureuse épave, tous ses idéaux dorénavant à la ramasse. Un klaxon retentit, il sursauta réalisant qu’il se trouvait au beau milieu de la chaussée et se rangea rapidement sur le trottoir. L’auto le dépassa, une chanson de Bécaud s’échappant de son autoradio : Et maintenant, que vais-je faire, de tout ce temps, que sera ma vie… Bonne question, pensa t’il, mais il suivait les instructions de la Voix, il ne se retournait pas. C’était comme si une grande nappe blanche avait été jetée sur son esprit, il ne songeait même plus à son ange perdu, il ne songeait plus à rien, ne sachant même plus où il habitait. Combien de temps marcha t’il au hasard ainsi, bien malin qui pourrait le dire mais toujours est-il qu’il se rendit compte soudain qu’en plus d’être frigorifié il était épuisé. Il leva les yeux et découvrit un grand bâtiment solennel muni de grandes portes tout en haut de l’imposant escalier du perron. Sans même savoir ce qu’il faisait, il grimpa cet escalier, poussa les grandes portes, enfila un vestibule puis un autre avant que de finalement déboucher dans une pièce qui lui parût immense, nantie de centaines de fauteuils. Il s’installa derechef dans le premier venu. Un violent coup de coude lancé dans ses côtes le réveilla en sursaut. « Eh Marc, c’est à ton tour ! Qu’est-ce que tu glandes, tout le monde attend » grogna une voix à son oreille. Cette voix-là n’avait rien de divine, elle était même plutôt sourde. Marc, puisque tel apparemment était son nom, regarda autour de lui : les travées de fauteuils étaient remplies de personnes qui hurlaient à qui mieux-mieux et une femme à l’air revêche le fixait obstinément du haut de ce qui lui sembla être un perchoir. « Monsieur le député, dit-elle, nous attendons avec impatience votre question au gouvernement ». Mais qu’est-ce que c’est que cette foire d’empoigne ? pensa t’il à moitié dans les vapes avant que de, bien obligé, se lancer sous les huées dans un discours incohérent sur des sujets agricoles et budgétaires dont il lui sembla qu’il ignorait tout. Ainsi s’acheva en pleine Assemblée Nationale son beau voyage, son beau songe de preux chevalier et de douce et pure dulcinée. Décidément on ne pouvait plus ici-bas rêver tranquille et cogner aux portes du ciel des temps anciens durant ses heures de travail. Eh oui, malheureusement et une fois de plus dans ce monde impitoyable, la fiction ne réussissait pas à dépasser la terrible et assommante réalité.
|
|
"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Une journée ordinaire à l’Assemblée Nationale
appartient au recueil Nouvelles du monde
Lire/Ecrire Commentaires |
|
  | |
Histoire terminée ! Merci à Ancolies. |
Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.