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Une Cabine d'essayage - Nouvelle

Nouvelle "Une Cabine d'essayage" est une nouvelle mise en ligne par "Deogratias"..

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Cabine d'essayage

Un essayage pas comme les autres. Honorine est une penseuse,

c'est fou combien elle peut, à partir d'un simple essayage, partir dans ses rêves,

ses réflexions philosophiques et des récits de science-fiction.
Pourtant, au départ, il ne s'agissait que d'essayer un simple Tee-Shirt

dans une boutique de fringues !...

« Les cabines d’essayage sont au fond du magasin, il y en a une de libre, allez voir ! », la vendeuse de vêtements indiquait ainsi à Honorine comment procéder pour savoir si oui ou non ce tee-shirt devant lequel elle s’extasiait depuis 10 minutes lui convenait ou pas. Il était jaune brillant avec des jolies papillons de toutes les couleurs, des rouges, des bleus avec des jolies ailes argentées. Elle se voyait très bien porter ce joli dessus original. Tout ce qui volait lui plaisait : les oiseaux, les papillons, les mouches, les abeilles, les chauves-souris même, du moment qu’il y avait des ailes, on était sûr de lui faire plaisir à Honorine. Pas très étonnant d’ailleurs, la quarantaine assumée, secrétaire dans une école où elle mourrait d’ennui, célibataire sans enfant, juste un petit chien adorable pour lui tenir compagnie, elle avait besoin d’espace, de liberté, de ciel.

Honorine était ravie à l’idée de posséder des ailes pour voler au-dessus de sa triste réalité quotidienne, s’élever au-dessus des contingences de la terre, voilà qui l’emballait !  Son métier qu’elle considérait comme morne  à  toujours répéter  les mêmes tâches, ses amies qui ne parlaient que des dernières émissions de télé-réalité, le climat souvent délétère entre les collègues, ou bien ne croiser le soir dans le métro surchargé  que des gens fatigués, tout cela lui pesait. Rien pour elle n’égalait l’idée de s’échapper hors de sa vie, hors d’elle-même, hors de ce monde urbanisé sans âme. Elle s’imaginait voler avec tous les papillons du top qu’elle tenait dans les mains, il lui suffisait de fermer les yeux, aussitôt elle slalomait entre les nuages en coton, dans un ciel bleu pétard, avec d’autres volatiles tout heureux de partager avec elle ces moments d’évasion.

Elle en était là quand elle fut invitée à essayer ce vêtement coloré, elle hésitait et s’exclama dans un soupir : « Pfffff !  Je n’ai pas envie ! », l’hôtesse de vente se mit à rire, « Allez Madame, çà ne prend que 5 minutes ! ». Honorine éloigna d’elle ledit tee-shirt, objet de son désir, pour mieux le jauger : « Oh, il doit m’aller ! » ; mais bon comment en être sûre si ce n’est en passant dans cette cabine à rideaux qui l’attendait ?  « Que çà me coûte d’enlever ma veste, mon top, me retrouver en soutif devant un grand miroir ! », elle luttait contre une paresse, celle du soir, après toute une journée à classer, téléphoner, trier. Malgré sa résistance, elle regardait non loin d’elle le fameux espace où elle devait se rendre pour se dénuder, se rhabiller, puis recommencer une seconde fois : se dénuder, se rhabiller.  Toute apathique, l’idée même d’effectuer ces simples gestes lui paraissaient aussi pénibles que de grimper l’Everest.  Elle les décortiquait mentalement, « Mon Dieu, que ça me coûte ! », le peu d’énergie qui lui restait, elle aurait voulu l’utiliser pour autre chose.  Elle regarda une dernière fois les jolis papillons multicolores, ils eurent gain de cause, dès leur premier envol, elle les suivit entraînée par leur légèreté volubile.

Arrivée dans ce lieu étroit et fermé par de larges rideaux, elle se fit face : son corps flasque, ses bras « dindons » avec cette peau qui pend juste près des épaules, ses cuisses trop fines, ses vergetures laides, régulières, ses fesses plates comme une limande, ses seins « riquiquis » aussi mous que des élastiques usés, son cou ridé, sa « bouille » enfin, épuisée, terne, pâle comme la mort, son ventre plat que tous lui enviaient mais qu’elle jugeait aussi moche que tout le reste. Non décidément, se confronter toujours à cette silhouette était pour Honorine une véritable épreuve.  En quelques secondes à peine, elle se retrouva vêtue des ailes papillonnées qui se riaient de se voir dans la glace, là, juste devant eux. Ils n’étaient pas très accoutumés à ce type de rencontre avec eux-mêmes ! Ils se trouvaient beaux néanmoins, bien plus jolis qu’ils ne l’auraient cru eux-mêmes, dans les airs, ils pensaient peu à se contempler, mais là, étriqués sur ce jaune en jersey de coton, ma foi, ils se trouvaient pas mal !

Mais Honorine, comment se trouvait-elle avec  toutes ces ailes qui s’agitaient pour monter dans le ciel ? « Pas mal, il est joli vraiment ! mais moi, je peux en mettre trois comme moi dedans ! Ce haut est beaucoup trop grand pour moi ! ». Elle s’en amusa : « Comment ai-je cru qu’il pourrait m’aller ? ». Bien sûr, elle ne se trouvait pas très belle, se regarder restait toujours un peu compliqué, mais elle n’en faisait pas non plus toute une histoire, malgré ce corps qui vieillissait avec tous ses défauts, elle avait conscience que son jugement n’était pas forcément le plus objectif, d’ailleurs, à bien y réfléchir, elle avait connu des personnes bien plus complexées qu’elle, ou bien plus disgracieuses. « Non, ne pense pas ça, toutes les femmes sont belles pour peu qu’elles prennent soin d’elles » se reprit-elle.

Elle ôta ses ailes, remit ses propres vêtements, sortit de la cabine. La vendeuse l’interrogea : « Alors ? », « Alors, il ne me va pas ! Beaucoup trop ample pour moi ! ». Elle était déçue. Les soldes avaient toujours la sale manie d’habiller les plus minces et de ne laisser disponibles que les tailles les plus grandes. Tant pis !

Elle vit à ce moment là une autre femme sortir elle aussi d’une de ces cabines où elle avait essayé une autre tenue. Elle semblait ravie. A priori, conquise, elle achèterait le modèle qu’elle avait choisi. Honorine l’enviait. Un peu fâchée contre elle-même, elle retourna d’où elle venait pour essayer, une seconde fois, ce beau maillot ensoleillé du printemps. « Et rebelotte ! Je croyais qu’il me conviendrait au moins un peu, mais non ! ». Elle contempla le résultat, sur le côté, devant, de dos, elle se contorsionnait pour voir le rendu final : « Non, décidément, il m’aurait fallu la taille en dessous ! ». Cela la plongea dans une profonde réflexion : « Comment cela se fait-il ? Je constate que mon corps n’est pas tel que je le voyais avant de me vêtir. C’est comme tout : entre le rêve et la réalité, entre la vérité abstraite, virtuelle et le constat concret, pragmatique, il y a souvent le grand écart ! ». Cette pensée la troublait, elle quitta la boutique le cœur un peu alourdi tandis que tous les papillons dorés  du monde en tissu lui disaient adieu à tout jamais.

Quand elle fut de retour à son domicile, toujours plongée en elle-même, elle s’imaginait ce qui pourrait bien se produire si à chaque fois qu’on entrait dans une cabine, chaque personne ressortait différente, transfigurée par ses essayages. « Mieux même, si à chaque tentative, les gens se retrouvaient transformés, s’ils devenaient eux-mêmes les figures dessinées sur les fringues qu’ils désiraient acquérir ;  voilà qui serait génial ! Tu portes un grand papillon, tu le deviens ! tu portes un grand léopard, tu le deviens aussi !  Non, mon idée est trop bête ! ce serait une réincarnation successive, sans fin, cela m’épuise à l’avance ! ». Elle riait intérieurement quand elle prit conscience du côté farfelu de son imaginaire.

Elle se rendit dans sa salle de bain, ses cheveux trop longs, raides, ternes, elle se mit à les détester.  Son humeur changea, déçue par son reflet, sans bien comprendre pourquoi, elle prit son grand ciseau de cuisine, et là, d’un coup, elle les coupa à hauteur des épaules : « Voilà, c’est du grand n’importe quoi, mais c’est fait ! il y en a de toutes les tailles, je n’ai plus qu’à me rendre chez le coiffeur pour qu’il termine ! ». Elle reconnaissait que c’était un vrai sabotage, mais bon, pas pire que ses perpétuelles queues de cheval qui lui donnaient un air sévère.

Son après-midi de shopping lui revenait en mémoire. Elle se mit à écrire un texte, elle en ressentait le besoin, c’était toujours comme ça avec elle, l’écriture devenait compulsive à chaque expérience un peu douloureuse ou très joyeuse, elle aimait tant les mots :

« Mon cher journal,

Aujourd’hui, j’ai voulu m’acheter un petit haut pour me remonter le moral, ma santé délicate finit par me donner le cafard. Quand j’ai allumé ma télévision ce matin, j’ai vu un reportage très intéressant sur un professeur de danse contemporaine qui va deux fois par semaine à la prison des Baumettes à Marseille pour proposer ses services à des femmes incarcérées. Dans la section des longues peines, on voyait cet homme très dévoué, profond, ouvert, dispenser ses conseils à des prisonnières de tous âges. Il disait : « Ce que je veux, c’est qu’on oublie qu’elles sont des détenues, qu’on ne voit plus que les femmes ». De fait, c’était réussi. Je n’arrêtais pas de me demander : « Qu’est-ce qu’elles ont donc pu faire ? Leurs visages, leurs réponses, leurs dialogues, jamais on ne pourrait croire qu’elles ont fait des «  graves conneries », pour reprendre leur langage » . Le professeur rajoutait : « Je veux qu’elles ne soient plus victimes d’une curiosité morbide mais qu’on les voit danser c’est tout ». J’ai aimé cet enseignant si donné aux autres. Il avait déjà atteint son but, en les regardant se mouvoir dans l’espace avec leurs gestes qui les dénouaient, j’avais l’impression qu’elles volaient bien au-dessus d’elles-mêmes et de leur prison. Je ne voyais plus que des femmes libérées des barreaux qui les entouraient ».

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Deogratias

11-01-2023

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Une Cabine d'essayage appartient au recueil Mes Nouvelles

 

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