"Une Cabine d'essayage" est une nouvelle mise en ligne par
"Deogratias"..
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Honorine pensait de nouveau à son expérience du jour, elle rajouta : « J’aimerai moi aussi ne plus paraitre ce que je suis, ce qui serait formidable, ce serait de ressortir d’une « cabine d’essayage de personnalité ». J’essaye, je change, je ne suis plus tout à fait la même, ou plutôt, je serai moi en mieux, le vrai moi exposé à la lumière, celle qui ne se voit pas, celle qui transcende son apparence, parlons-en de l’apparence, n’est-elle pas une prison ? C’est vrai après tout, que dit de moi ce visage, ces formes, ces cernes, ces mains ? Rien de très précis. Si ce n’est que je suis une humaine de sexe féminin ; objet de marketing pour des marques de prêt à porter. Mais c’est tout. Personne ne voit mon âme, mon cœur, mes pensées, mes prières, mes doutes, ma poésie, mes rêves et mes secrets. Et si en sortant de ce lieu on ne voyait plus tout d’un coup que ce qui d’ordinaire ne se voit pas ? Ne serait-ce pas merveilleux ? Au lieu d’être un endroit d’essayage, ce serait un lieu de métamorphose, tout comme les papillons ! Oh que ce serait bien ! ». Plus elle réfléchissait plus elle argumentait : « En fait, non, ce serait terrible si le monde autour reste ce qu’il est, dépourvue de cette enveloppe qui nous cache aux regards extérieurs, nous serions victimes de la méchanceté des hommes. Mais bon, imaginons l’idée magnifique d’un univers créé de toutes pièces par mon imagination fertile ; ce serait un monde avec tout un tas de petites cabines de révélation de soi. On se verrait, non plus le corps uniquement, mais le cœur, on aurait la vision uniquement de notre propre beauté personnelle, tout le négatif serait invisible. Sûr qu’au moment de découvrir cette partie ignorée de soi, on serait ébloui, réconforté, guéri même. « Tiens, je ne suis pas que cet âge, que ce corps, que ce passé, je suis légère, la lumière incréée m’habite, l’innocence de la vie me caresse encore ». Voilà qui serait formidable. Ce serait autant de cabines de guérison, de découvertes identitaires, de changements incroyables. Oh comme j’aimerai installer toutes ces cabines dans les rues ! Tous les dix mètres, on entrerait dedans, en moins de cinq minutes on vivrait une sorte de mue puis on sortirait tout imprégné par cette plus jolie partie de nous-mêmes ». Elle n’aurait su expliquer pourquoi, mais ce rêve la mit dans un état de joie profonde. « Voyons Honorine, tu sais bien qu’il n’y pas que de la beauté en nous ! Pourquoi désirer ne pas embrasser dans un même regard à la fois notre joli côté mais aussi notre laideur, nos fautes, nos maladresses, nos mauvais penchants ? Peut-être que ce serait trop difficile de le supporter ! Je me souviens d’une phrase d’un saint curé d’Ars qui disait quelque chose comme : « Dieu seul peut supporter la vue de tous mes péchés. Si je les voyais tous, j’en mourrai de douleur ». Voilà qui me laisse perplexe. Pourquoi mourir de douleur ? ». Elle posa son stylo et plongée dans une méditation qui n’en finissait pas, elle remarquait combien un rien la guidait dans ce besoin intellectuel qui consistait à réfléchir sur le sens de la vie, sur la bonne marche du monde, sur les hommes, sur Dieu lui-même. Devant une telle soif de savoir, elle se cognait souvent à son ignorance, à son peu de culture générale, qu’importe, insatiable, elle recommençait toujours. Souvent, désemparée, elle rêvait. Les rêves, ils avaient ce pouvoir de dépasser ses limites pour l’emporter vers une cohérence, vers une logique pleine de réponses à ses nombreuses questions. Une fois achevés, ils lui permettaient, elle le croyait, de mieux affronter cet ensemble d’interrogations existentielles qui l’assaillaient avec tant d’insistance. Elle reprit son journal intime : « Il y a les cabines d’essayage, les confessionnaux, les cellules, les ascenseurs, les prisons, les cloitres, finalement, rien ne vaut cette confrontation avec soi dans un lieu fermé d’où on ne peut s’enfuir. Le cabinet d’une psychologue sert aussi à cela, nous avons besoin de lieux bien clos où nul autre que soi ne peut entrer. C’est la seule solution pour repartir dans la vie plus aguerrie, dans une acceptation de soi, pour mieux se connaitre, mordre dans la vie ; oui, il nous faut des endroits tout à fait fermés, à double tour, qu’importe les douleurs ou les joies qui y seront vécues, elles seront salvatrices. Je vais me lancer : créer ma boite de construction de « cabines de révélation de soi », j’en mettrai partout ! quel changement ce serait pour notre pauvre humanité blessée ! ». A cette simple évocation, elle fut prise d’un éclat de rire intérieur très régénérateur. Néanmoins, tout n’était pas absurde dans son imaginaire, elle se souvenait qu’à chaque fois qu’elle entrait dans un ascenseur, c’était un voyage vers soi. Elle écrivit : « D’abord, la plupart du temps, il y a un grand miroir, pourquoi mettre des miroirs dans les ascenseurs ? En quoi cela les aide à monter ou à descendre des étages ? ça ne sert à rien. Qu’est-ce qui est passé dans la tête du type qui les a inventés ? Peut-être qu’il avait compris qu’une fois seul, on avait comme ce besoin spontané de prendre soin de son apparence avant de paraitre dehors ? Oui, il faudrait une glace dans toutes mes cabines, mais au lieu d’aider à prendre soin de son apparence, elle permettrait de prendre soin de son intérieur, exposé enfin à la clarté de la conscience ». Durant ces brefs voyages entre les étages, sa sœur lui faisait sans cesse des remarques : « Oh, regarde-toi, ton col est mal placé ! Oh non mais tu vois ça ? Tu es peignée faut voir ! pfft ». Agacée, Honorine avait fini par lui dire : « Si je comprends bien, pour toi, un ascenseur, c’est un scanner ! quand on est enfermé là-dedans, tu en profites toujours pour faire une remarque sur mon apparence ! Je t’invite à changer de perspective : A chaque fois que j’entrerai avec toi ici, tu devras me faire une remarque positive non sur mon apparence mais sur mon âme ! ». Sa sœur avait ri : « Quelle drôle d’idée ! ». N’empêche, cela avait mis fin à ses paroles inutiles. Enfin, au moins un peu. Honorine finit par poser son stylo, elle se leva de son bureau où elle était assise depuis un bon moment, se prépara un thé au lait bien chaud avec une tartine de confiture, de quoi la réconforter un peu. Elle se regarda dans son miroir, sa coiffure ne ressemblait plus à rien, elle se comparait à un hérisson hirsute : « Qu’est-ce qui m’a pris ? C’est l’effet cabine, voilà tout ! ». Quand elle revint dans son salon, elle vit justement un papillon se poser sur le rebord de sa fenêtre. Elle récita de tête la réplique du film Billy Elliott, quand il parlait de sa passion pour la danse, à la question d’un professeur qui lui demandait ce que ça lui faisait lorsqu’il dansait, il avait répondu : Elle souriait. Elle se dit mi-philosophe, mi-amusée, que quelques heures auparavant, elle aussi avait connu la légèreté de la danse, celle des papillons qui la couvraient ; comme Eliott, comme eux, elle avait éprouvé pendant quelques secondes « comme un changement dans son corps ». Elle dit à voix haute au papillon qui s’était posé près d’elle : « Bonjour Eliott ! ». Elle but une gorgée de sa tasse bien chaude encerclée dans ses mains. Elle se retourna enfin. Là, sur la poignée de sa porte de chambre, tout lumineux, conquis par son regard intérieur, elle les vit droit devant elle, qui volaient sur son tee-shirt suspendu. Perdue dans ses pensées, elle n’avait rien vu, un petit post-it à côté :
« A ma sœur, pour que tu brilles avec eux sous le soleil ».
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Une Cabine d'essayage
appartient au recueil Mes Nouvelles
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