Le grand saut - Tranche de Vie

Le grand saut

4h du mat. Méprisant les risques, le train roule tout droit et enfile les rails enneigés, avale la nuit et les sentiments. Je suis debout, à l'extrémité du compartiement, tandis que mes petits camarades de jeu dorment tranquillement en leurs couchettes. Petits camarades de jeu ? Oui nous sommes une bande de joyeux ados qui avons loué un chalet à la montagne pour nous offrir quelques jours de ski. Nous arriverons à la gare destination au petit matin et grimperons dans un car direction la station. Et déjà, dans ce train, le grand petit jeu des amourettes a commencé. Véronique a commencé en me caressant l'arrière de la tête quand nous étions assis côte à côte, moi à sa gauche dans ce train de nuit. Je me suis laissé faire mais, doucement la belle, je ne joue plus à ces encore petits jeux. Je suis déjà sorti avec Véro, ça a mal tourné, elle m'a immédiatement remplacé par le gars Alex, assis sa droite. Et maintenant elle remet ça.

Mais maintenant elle dort comme la bande des autres, et il n'y a que moi pour tracer la nuit blanche, à fumer clope sur clope au bout du wagon. J'ai ouvert la porte donnant sur la voie. Dans le vent blanc et strident, je contemple ce paysage qui roule à la vitesse de l'éclair dans un ronronnement des moteurs à la fois strident et hurlant et ronronnant et rassurant. J'ai ouvert en grand la porte donnant sur la voie, le bruit de la nuit s'engouffre, je vois les sapins et les cyprès défiler par centaines, par milliers. Alors quoi ? Je saute ou je saute pas ? C'est ma question. J'ai 15 ans. J'ai la trouille de sauter, et j'ai aussi la trouille de réintégrer ma vie "normale". Je passe 3 heures à contempler le paysage glacé qui défile à toute blinde. J'y vais ? J'y vais pas ? Je fuis ? Je fuis pas ? Chépa. Ch'ésite. Et j'ai la trouille et la pétoche réunies. Sauter, Seigneur quelle violence ! Et puis après je n'ai plus de clopes, merde alors ! Alors la question se repose avec une acuïté renforcée, plus rien derrière quoi me planquer. Bon, comme vous avez compris, finalement je ne saute pas. Trop violent. Et sinon je ne serais pas là à vous raconter ça. Qu'importe, ce sera pour la prochaine fois. Et des prochaines fois, comme vous le savez, elles ne manquent pas.

Se sauter ou ne pas ? La lumière rouge du train était mon désespoir et ma rage, et la verte mon espérance.