"Rendez-vous avec Sophy" est une tranche de vie mise en ligne par
"Ancolies"..
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Rendez-vous avec Sophy A Londres cet après-midi de janvier, le soleil était d’hiver et il faisait glacial. Trompé par la lumière irradiante, j’avais quitté mon hôtel à 1500 balles la nuit sans écharpe ni gants et je le regrettai. De surcroît mes mains avaient tendance à s’engourdir avec le froid. Je ne pouvais par exemple plus ajuster la fermeture éclair de ma parka. My God, que je suis con ! pensai-je en franglais dans le texte, De plus, toujours avec le froid, les muscles de mon visage avaient eux-aussi tendance à se crisper et mes traits du coup à rester figés en une peu engageante grimace. Bon ! haussai-je les épaules, je me réchaufferai 10 minutes dans un café en bas de chez Sophy. C’est en effet chez elle que rendais, avec au cœur une sourde question : allait-elle m’accueillir avec chaleur et émotion ou alors perdue dans la fantaisie qui lui était coutumière ? Même s’il n’avait pas fait glacial ce jour-là, j’avais besoin de sa chaleur, de son plaisir à elle de me voir. Logiquement cela devrait être le cas puisqu’elle avait paru vraiment heureuse de la future rencontre lorsque nous avions pris rendez-vous le matin même par téléphone. Mais cette fille était tellement imprévisible ! 8 ans si ce n’est 10 qu’ils ne s’étaient plus vus, moi à Paris elle à Londres. J’avais 2 jours professionnels à passer dans la capitale britannique. J’opérai en free-lance à l’adaptation en français de campagnes de publicité américaines et étais là pour diriger les enregistrements des voix des comédiens français sur plusieurs films, à la fois pour les marques Nike et Microsoft. La gestion européenne de ces 2 grands budgets qui étaient donc traités par la même agence américaine avait été confiée à une autre agence implantée à Amsterdam qui organisait régulièrement ces séances d’enregistrements soit sur leurs terres d’Amsterdam, soit à Bruxelles ou comme cette fois-ci à Londres. Passaient successivement aux studios les équipes qui italiennes, qui allemandes, espagnoles, portugaises, françaises… Je dirigeai évidemment l’équipe française. La tâche était très bien rémunérée (4000 balles par jour), à la hauteur de sa difficulté. Au jour indiqué par les productrices hollandaises, je me rendais tôt le matin au studio, disposai de moins de 2 heures pour visionner les 7 ou 8 films du programme de travail, les traduire ou plutôt adapter le narratif ou les dialogues en français, avec des mots et des phrases qui percutaient, ceci en respectant le phrasé des comédiens d’origine. Puis l’équipe arrivait, je dialoguai en anglais avec les productrices (souvent accompagnées de petits soldats créatifs américains se prenant toujours terriblement au sérieux) et les ingénieurs du son et naturellement en français avec les comédiens que je dirigeai. En fait je détestai la pub mais ne pouvais me permettre de négliger cette source de revenus. Bref, lors de ce séjour je n’avais pas chômé et avais terminé plus tôt que prévu les enregistrements. Mon avion retour ne partait que le lendemain.et j’avais brusquement eu l’idée d’appeler Sophy. Depuis quand et comment la connaissais-je ? Depuis mon adolescence, lorsque j’habitai encore chez mes parents, chez ma mère plus précisément car mon père était décédé depuis peu. Nous disposions d’un vaste appartement à Paris et, pour soulager le généreux loyer, nous accueillions en son sein ce que l’on appelait des paying guets, des hôtes payantes, qui prenaient petit déjeuner et diner à la maison. Elles étaient généralement de bonne famille étrangère, venaient faire leurs études supérieures en France et leurs parents préféraient qu’elles soient logées par une honorable famille bien catholique plutôt que les livrer aux premiers grossiers appétits venus des étudiants d’un campus universitaire, lesquels auraient tôt fait de les engrosser. Cette année-là elles étaient 2 dans l’appartement, la belle Sophy, anglaise donc, et la non moins belle Susanna, brésilienne. L’amusant était que, malgré la surveillance à outrance de ma mère, je sortais avec les 2 à la fois, un jour l’une, le lendemain l’autre. Encore plus amusant, aucune des 2 n’était jalouse et tout se passait à merveille pour le trio gagnant. Quel bon petit catholique pratiquant je faisais ! Frigorifié, je trouvai sans mal l’adresse que m’avait indiquée Sophy, cherchai et trouvai également sans aucune difficulté un pub à proximité où je commandai une tasse de thé que j’arrosai d’une bonne rasade de gin, histoire de reprendre mes esprits glacés et que l’horrible grimace de mon visage disparaisse. Pour la paralysie de mes mains le délai de récupération était bien plus long. Bah ! Je ferai avec, j’avais l’habitude. Je laissai passer un quart d’heure et quelque peu revigoré, quittai le pub et me rendit à l’adresse de Sophy. Comme souvent en Angleterre, ce n’était pas un immeuble mais une maison, peut-être victorienne (mon éducation architecturale comportait de nombreuses lacunes), maison que plusieurs colocataires se partageaient. Je sonnai, pas de réponse, rien ni personne ne bougeât dans la maison. Je réitérai à tout hasard et sans conviction plusieurs fois ma tentative sans plus de succès. Les téléphones portables n’existaient pas à cette époque, je retournai au pub d’où j’appelai la maison. Répondeur. Pour être franc, si j’étais déçu, je n’étais pas particulièrement étonné, Sophy je l’ai dit était totalement imprévisible, presqu’autant que moi qui avait acquis cette réputation tant dans ma famille - que je ne voyais plus - que dans mon cercle d’amis ou dans les structures professionnelles où j’officiai ou avait officié. Donc ce n’était pas moi qui allais en vouloir à Sophy. Je connaissais bien trop les fausses promesses et les lapins bien que moi n’en posât jamais aucun. Bien trop bien élevé pour cela. Maintenant, en ce qui concernait Sophy, les dés étaient jetés je ne la verrai pas. C’était un doublé. Quelques années plus tôt, j’avais fait un voyage en Irlande et opéré au retour un crochet par Londres pour la voir après l’avoir eu au téléphone et arrangé le rendez-vous, auquel elle n‘était pas venue. Je souris intérieurement à la pensée que peut-être elle me faisait payer des années plus tard ma liaison avec Susanna. Sophy finalement jalouse, après tout pourquoi pas ! Pas si imprévisible que cela peut-être en fin de compte. Déçu mais pas dépité, ne me restait plus qu’à reprendre l’un de ces fameux bus d’un rouge non moins fameux que celui des célèbres cabines téléphoniques de ce pays, traîner peut-être malgré le froid un peu à Soho à farfouiller dans les bacs des disquaires à la recherche de pépites du blues Outre-Manche que je n’aurai pas déjà dans ma collection fournie de vinyles, avant de regagner mon hôtel, ressortir dîner dans un restaurant où je prendrais un malin plaisir à commander un steak saignant alors que la situation au royaume d’Albion était à l’épicentre de l’aventure de la vache folle. Puis, certain que je n’allai pas décéder de l’ingestion de ce steak durant la nuit, prendre quelques heures de sommeil avant que de sauter le lendemain dans le métro qui me conduirait à Heathrow vers mon avion direction l’aéroport de Roissy, France, Europe de l’ouest. Dans quelques jours j’empocherai mes gras honoraires, ce qui ne serait pas du luxe depuis que j’étais devenu chanteur et producteur de rock français, créneau qui ne tenait que très rarement toutes les promesses idéalistes que les âmes ardentes et naïves comme la mienne pouvaient lui attribuer. Quant à la belle et fantasque Sophy, eh bien je lui donnai in petto et avec un sourire entendu rendez-vous au prochain rendez-vous manqué. |
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Rendez-vous avec Sophy
appartient au recueil Nouvelles d'une vie
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Tranche de Vie terminée ! Merci à Ancolies. |
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