Les derniers d'entre nous - Inclassable

Les derniers d'entre nous

(Quelque part sur terre après l'Apocalypse nucléaire)

- Ça fait longtemps.

- Oui, ça fait longtemps Billy.

- James est mort, Dave.

- Quand ?

- Il y a presque 1 an.

- Comment ?

- Cela faisait un bon moment qu’il était malade. Un genre de merde de cancer on supposait. Un soir, il m’a demandé de réduire en poudre tous ses médicaments et de verser le sachet dans son verre de vin. Puis il a bu le verre de vin.

- Il n‘a pas souffert ?

- Ce soir-là non. Il a dit qu’il était vieux et satisfait, et aussi que j’avais été toute sa vie. Après qu’il ait avalé le verre, nous nous sommes couchés et il est mort dans mes bras. Dans la journée nous avions été à la boutique de fringues qu’il avait retapée la première année où il était ici. Il a choisi des vêtements pour nous 2 puis nous nous nous sommes mariés. Mais il a souffert des mois durant avant cette dernière soirée.

- Ça s’est vraiment passé comme ça ?

- Pas exactement. Je ne t’ai pas tout dit. J’avais déjà versé une tonne de ces médicaments dans la bouteille de vin. De quoi jeter à terre toute une horde de chevaux sauvages. James l’a compris après avoir avalé son verre. Il a dit qu’il devrait être furieux mais qu’en réalité il trouvait ça magnifiquement romantique. Par malheur, après que nous nous soyons endormis, lui ne s’est plus réveillé mais moi si, dans la nuit. J’étais malade et j’ai tout gerbé. Alors voilà.  

- Alors voilà. Je ne sais pas quoi dire. Et depuis tu es seul ?

- Oui. Comme je l’étais avant le jour où  nous nous sommes rencontrés. Lorsque je l’ai sorti du cratère d’obus. Je n’ai jamais su comment il était arrivé là et il ne me l’a jamais dit non plus.

- La ville était déjà abandonnée ?

- Tu parles ! Depuis 4 ans. Ils avaient évacué tout le monde mais je m’étais planqué. Je m’étais juré qu’aucun de ces salopards de petits fascistes ne m’aurait. Pendant 4 ans j’étais seul, puis il n’y avait que nous 2. Maintenant il n’y a à nouveau plus que moi.

 - Mais, après que tu aies rencontré James, vous nous aviez vus, Tess et moi ?

- Oui. Vous étiez passés un jour. Je n’étais pas d’accord mais James avait insisté. Il avait dit que cela nous ferait du bien de voir quelqu’un, même si ce n’était qu’une seule fois.

- Et comment ça se passe pour toi depuis sa mort, Billy ?

- Tu sais comment c’est Dave. Tu connais la solitude et le vide. Le poids du silence. Les trop longues journées et les nuits où l’on n’arrive pas à dormir avec le vent qui hurle dans les branches, les nuages qui passent devant la lune et renforcent l’obscurité, et aussi bien sûr tes souvenirs qui ne te laissent aucun répit.

- Oui. Cela doit être difficile après…. après 8 ans, c’est ça ?

- Oui, 8 ans. 8 ans c’est bien ça. 8 années de soleil.

- Tess est morte aussi Billy. Je n’ai pas pu la sauver.

- Désolé pour toi Dave. Alors tu es seul aussi ?

- Pas vraiment. Nous avions recueilli une gamine de 14 ans qui sortait de nulle part. Lee. Nous n’avons jamais su qui elle était. Après la mort de Tess, elle est restée avec moi. De toute façon, elle ne connaissait personne et n’avait nulle part où aller. Bien qu’elle ait grandi, c’est toujours une petite peste mais en réalité elle a bon cœur.

- J’imagine que c’est mieux qu’être seul non ?

- Il m’arrive de me le demander mais c’est des conneries. Bien sûr tu as raison, c’est mieux. Et j’ai toujours quelqu’un à protéger.

- Oui, j’imagine bien que c’est mieux. Je vais te demander de me laisser maintenant, mais si tu veux, tu peux prendre une douche avant. J’ai de l’eau chaude.

- Oui, je comprends. Je vais prendre cette douche et partir. Je vais rejoindre Lee.

- J’ai aussi des vêtements propres si tu veux.

- Des vêtements de James je suppose ? Non, je n’en veux pas.

- Bah ! En un sens cela me soulage. Tu sauras trouver la salle de bains ?

- Oui bien sûr. Au premier n’est-ce pas ?

- C’est bien ça.

Dave laissa Billy assis sur la balancelle de la véranda et grimpa l’escalier. Il resta longtemps sous la douche, épuisant l’eau chaude puis restant un quart d’heure supplémentaire sous l’eau glacée, regardant le gris filant de la saleté qu’il avait accumulée s’évacuer par la bonde. Il y avait des serviettes propres. Un instant il regretta de ne pas avoir accepté les vêtements que Billy lui avait proposés mais il haussa les épaules. C’était mieux comme ça. Il rejoignit la véranda. Billy était toujours à la même place. Il s’était ouvert une bière. Il n’en proposa pas à Dave.

- Bon. Ben salut, dit celui-ci. Désolé pour James et merci pour la douche.

- Pas de problèmes, déclara Billy. Et désolé pour Tess. Qu’est-ce que tu vas faire ?

- Chépas. J’ai un frère dans l’Utah qui a des problèmes. Je vais peut-être y aller.

- Ok. Et s’il te plaît, ne reviens pas. Je te souhaite bonne chance avec Lee.

- On en aura probablement besoin. Prends soin de toi. Bye.

- Adios Dave.

Dave descendit les marches de la véranda. Il traversa le jardin bien entretenu et ouvrit la barrière blanche. Il marcha, s’enfonçant dans la ville déserte, vers l’est, d’où il était venu. En cette fin d’après-midi, le soleil descendant avait la couleur de l’étain. Dave ne se retourna pas et ne vit pas le pouce levé que Billy lui avait adressé. Il ne revit jamais Billy.

It’s been a long time gone…