Connexion : supprimer Ou

Le Prince du Mal - Tranche de Vie

Tranche de Vie "Le Prince du Mal" est une tranche de vie mise en ligne par "Ancolies"..

Venez publier une tranche de vie ! / Protéger une tranche de vie

 

LE PRINCE DU MAL

par Henri Lerat (rat) et Ancolies (quidam)

 

 

 

 

1 / Henri

 

Paris sur la Seine, années 80. Comme dit l'une de vos chansons : J' me présente, je m'appelle Henri (auteur ? trop facile, 2 pts). Henri Lerat pour être précis. Sauf que moi j'avais déjà réussi ma vie. Car ainsi qu’en dit une autre, de vos parfois pénibles rengaines : J'étais tranquille j'étais peinard, je m’occupais d’ ma mobylette (re facile, 5 pts). Et puis voilà. Voilà tout ! La paix quoi. Je foutais la paix au métro, au boulot, au dodo, bref à tout le monde, et personne m'emmerdait. La paix, quoi d’autre ?!

 

En ces aimables conditions, pensez bien que j'en voulais à quiconque, faisais jamais mal à une mouche. Pourquoi faire, privilégié que j'étais avec ma cour de ratounettes qui outre m'offrir leur infinie tendresse nourrissaient leur maître et seigneur, chassant pour lui et me livrant les côtelettes fraîches à l'œil. Parfois, la panse pleine, pétri d'attentions câlines, massé de tendresses diverses, j'en rotais de bien-être, gratitude et émotion me disant : Henri Lerat, c'est toi le roi ! Le roi du noir, le roi d'égout ! 

 

Et oui, nous autres rats ne transigeons pas avec l'honnêteté et la reconnaissance intellectuelles (suivez mon regard).

 

Bref, cependant quelques imperfectibilités bien admissibles en un monde hélas et semble t-il voué à l’amer obscurantisme, et probablement sous peu à la zozo destruction, j'étais globalement vachement reconnaissant à notre grand producteur et protecteur. Notre grand Râ à nous autres, êtres obscurs et souterrains, pillards nocturnes de vos rêves, de vos hallucinantes pyramides de vies brisées dès l’enfance, des montagnes d’infinis détritus en résultant. Notre Grand Râ du Sombre, du Savoir et du Secret auquel chaque jour j’égrenais un joyeux et satisfait chapelet. Jusqu'à ce que...

 

Jusqu'à ce qu'un inattendu et méchant Ratatatata ratatata taratatac associé à un Zbraoum'zbroum'zbroumm géant nous vrillent glacialement le sang et nous raclent infernalement les tympans. Ouais, j'étais veinard dans ma couchette et les petites me léchaient les couettes quand, comme ça soudain, par un chouette petit matin de muguet ou de jasmin, déchirant l'air doux du printemps de leurs décibels de dingues, les marteaux piqueurs et leurs mastocs cousins bulldozers qui ratactactac, qui passent à l'attaque (4 pts) ! Avec évidemment aux manettes et dégâts co-latéraux nos ennemis immémoriaux. Vous vous reconnaissez je suppose, vous les gros malins, les zozos. Vous la drôle d'espèce qu'on appelle par chez nous les zhômmes. Ou parfois quand on est trop en colère contre vous les gnhômmes.

 

Bref, une nouvelle fois, vous, nos meilleurs ennemis venaient foutre leur bordel et leur zone, sifflotant tête en l’air, terrassant comme des malades d'une main des conduites d'eau et de l'autre une nouvelle ligne de métro (pour vous rendre de plus en plus vite de nulle part en nulle part je suppose). Sauf que nous, comme des crétins on n'avait rien vu venir. Un de nos gars avait du se planter avec son réseau d’indics et cette fois on l'avait dans l'os.

 

Ô Râ, ô désespoir, ô tristesse impuissance ennemies ! Tout est arrivé si vite, j'ai même pas pu rassembler les chéries pour les conduire en lieu sûr. Ratatatac et Tatatac, Zbraoum'zbroum'zbroumm etc..., déjà les galeries se fissuraient à la vitesse de l'éclair tandis que blocs de goudron, de bitume et de terre sombre s'effondraient de partout. Alors moi Henri Lerat, j'ai fait comme les copains : crapahuter vite fait bien fait. Pas fier, honneur en bandoulière, mais bien obligé, chacun pour sa peau !

 

Panique à Rattle-Park ! Houla, King-Con massacre unilatéralement et une nouvelle fois les tripes sensibles de notre planète pourtant partagée. Course poursuite contre les éléments déchaînés, des kilomètres j'ai galopé dans l'assourdissant fracas, la terre me tombant de partout sur le ciel. Des kilomètres, des kilomètres à tourner en rond, je le voyais bien : les éboulements bouchaient chaque nouvelle issue. Garde la tête froide et fonce, je me disais slalomant comme un beau diable entre les chutes de granit, tu vas bien finir par en trouver une, d’issue.

Aide-toi et Grand Râ t'aidera. Voilà qu’est apparu un boyau providentiel, vertical, étroit comme l’avant-bras d'un zhômme. Me suis contorsionné pour m'enfiler dedans, m'écorchant aux arêtes vives, saignant abondamment peut-être, mais provisoirement à l'abri. Ouf.

 

Pfffttt... j'ai pas soufflé deux minutes que je suis mis à penser au sort des chéries, sentant aussitôt ma respiration s'oppresser et l’immense peine fondre sur moi, poindre en mon plein cœur, cognant et poignardant chaque recoin de ma tendre et inépuisable grotte affective. Bouge ! j'ai réagi ! Me suis mis à grimper laborieusement, poussant des pattes, des griffes, des côtes, des épaules, fermement concentré à gagner centimètre après centimètre. Fermement résolu   à ne pas céder à la panique à l'idée que ce foutu boyau ne menait nulle part et que j'allais y passer de la façon la plus atroce qui soit : enterré vivant. Une véritable épouvante mentale, selon moi.

 

Combien de temps j'ai grimpé ? Chépa. Savez ce que c'est, vous qu'avez navigué : au bout d'un moment on est dans un espace inconscient, le mât bien dressé dans la nuit de l’ancien, de l'océan, des colonnes des temples graciles et du temps immobile, seul et arrimé à un seul refrain : tiens bon, rame, grimpe, tiens bon, rame, grimpe...

 

Tiens bon, rame, grimpe.

 

Puis et soudain - et ça m'a tiré d'un coup de la torpeur de mon escalade -, le boyau a changé de matière, est devenu parfaitement lisse et circulaire, et un peu plus large aussi. Tandis que dans le même temps je me prenais une subite douche d'eau froide et... euh... de papier froissé et d'excréments. Vous le fait pas dire : Beurk !

 

N'empêche, ma situation s'était nettement améliorée et, bien que le phénomène de la désagréable douche se reproduisit à intervalles réguliers, je grimpais maintenant beaucoup plus aisément.

Et puis, merci Grand Râ, puis je vis mes efforts récompensés : je me trouvais maintenant dans une sorte de petite crique baignée d'eau émettant un agréable clapotis. D'accord je voyais pas les étoiles, je voyais même que dalle, mais l'endroit semblait tranquille, discret, confortable. Aussi décidais-je derechef d'y faire la planche et pieuter un coup après ce foutu marathon, ces écorchures sur mon corps, toutes ces émotions. Demain, on verra demain ! je me suis dit épuisé tel Scarlett à la fin du bouquin. Une seconde et demie plus tard, suçotant comme un innocent ma queue, je roupillais déjà comme un chérubin.

 

 

 

 

2 / Ancolies

 

Moi aussi, en ce temps-là, j'étais une bonne, une très bonne chanson. Bombardée de privilèges en même temps qu'humble comme l'air : jeunesse et beauté, horaires ultra souples ainsi que tenue vestimentaire et chevelure libres au bureau. Et du fric qui tombait sans avoir à s'en soucier.

 

Tranquille, peinard, bonne chanson insouciante, et la paix, le sourire, la blancheur télévisuelle aux dents... pffttt j' rigole ! Niet, nada et pas du tout ! Nan ! Pas quand on est un grand créatif publicitaire écœurement rémunéré pour encaisser en permanence une overdose de stress. Pléonasme : inhumaine l'overdose.

 

Heureusement y' avait la psychiatrie pour compenser. Notez que déjà en cette époque si vite reculée de ces années 80, même les personnalités les plus corrompues du cerveau et du cœur du système médiatique, grossier et indécent en plus que tellement scolaire, déclaraient et répétaient à l'envie : On marche sur la tête ! Bon, tout a changé depuis, tout est rentré dans l'ordre, à l'immense soulagement général que vous savez comme moi.

 

Faisons un rêve : imaginons cinq minutes un monde sans folie.

En ces aimables conditions on peut alors dire que j'étais tranquille et peinard cette nuit-là chez moi, dans mon grand studio coquet et lambrissé, avec son jardinet privé sis en face du Bois de Boulogne, soit pas le quartier le plus crade de la petite ceinture parisienne. De surcroît, une douce amie partageait mon lit. Evénement tout à fait inhabituel vu qu'en général je faisais ça ailleurs. Chez elles, de préférence en l'absence des maris.

 

Bon, rejoignons-nous - moi et Chérie - en mon lit. Cependant la tendre présence à mes côtés, ça loupe pas : à chépa quelle heure du noir je me réveille comme d'hab, tout nu et muni de mon filet à idées et idiomes, en train vous le devinez de chasser avec angoisse le scénario publicitaire d’enfer et le slogan qui va avec. Tranquille dans ma schizophrénie, je prends les choses dans l'ordre. A commencer par aller pisser.

 

 

 

 

3 / Henri

 

Evidemment en rapport aux trépidants événements de la journée, je rêvais des zhômmes. De façon moins explicable, c'est aux grands animaliers que je songeais : Buffon, le grand et inégalé Brel, le bien nommé La Fontaine, tout en dentelle, ironie et finesse. Je songeais à Maurice Maeterlinck, aux deux Hermann - Melville et Hesse, aux deux Benjamin - Rabier et Constant ; à Freud et Rousseau, à Jean Baudrillard, Bernardin de Saint Pierre. A St Goya, St Nietzsche, Notre Dame de Kafka etc...

 

Et aussi à Surcouf, cette fois relativement à l'eau obscure dans laquelle je baignais confortablement installé sur le dos.

 

J'en étais au passage où le célèbre flibustier prend sa retraite, s'installant en un charmant cottage écossais avec sa troisième épouse lorsqu'un double événement m'a subitement tiré des bras de mes chères amies Morphée & Rêveries. Oui mes chères amies. Oui j'aime rêver, et j'ai appris à respecter et faire confiance à mes rêves. Comment progresser sinon ?

 

Enfin, faut-il au moins qu'on vous laisse siester tranquille alors que là, subitement, une lumière atroce m'aveugle tandis qu'un puissant jet de flotte tiède m'atterrit en plein bas-ventre. 

 

Ça, pour une intrusion ! D'un coup j'ouvre tout grand les paupières, et que vois-je ? Croyez le ou non : se détachant de toute sa hauteur sous un lointain plafond blanc, je vois un mec à poil en train de tranquillement m’uriner dessus. Rien que ça ! un zozo en chair et os, tout nu, tout maigrelet et couleur cachet d'aspro en train de me pisser dessus. Je sais pas ce qui m'étrangle le plus, de la stupéfaction ou de l'indignation (non mais quel dégueulasse celui-là !).

 

Faut dire que le gars a maintenant l'air aussi éberlué que moi. Avec mes pouvoirs, je peux lire dans ses yeux incrédules. D'abord il se demande : Mais qu'est-ce que c'est que " ça " ? Après il pense : Mais comment elle a pas tiré la chasse après cette horreur ?... Et d'abord comment elle a fait pour pondre un truc pareil ?

 

Ouais ben "ça, l'horreur, le truc pareil ", l'entendent pas de cette oreille ! Où va-t-on si on se laisse uriner dessus par des inconnus ? Je me mets à tourner sur moi-même de plus en plus vite pour échapper au jet. Là, je crois que ça achève de le réveiller le gars zozo, je vois que ses pensées font le point et qu'il lâche soudain sa zigounette - qui du coup en envoie partout, un dégueulasse, j' vous l'avais dit - pour rabattre d'une main leste le couvercle et tirer la chasse d'eau de l'autre. Pas de ça Lisette ou diable quel est ton nom ! Plus rapide que lui et appuyé sur mon élan giratoire, je bondis, m'encourageant d'un silencieux Vas-y Henri, puissance et gloire aux Anciens, et sus à l'Ennemi !

 

L'ennemi a du réflexe, et de la jugeote même, faut reconnaître. D'abord il m'évite de justesse en sautant en arrière, et du même coup repousse la porte de la salle de bain dans son dos, me bloquant ainsi toute velléité de disparaître dans la nature et la paix infinies fort justement soulignées par Rimbaud.

 

Ainsi, face à face, nous voici à égalité. Ni lui ni moi n'avons choisi le lieu et l'heure, mais elle est là, inéluctable, fatale : la confrontation. Et la mort pour l'un de nous deux au bout. Deux êtres paisibles qu'ont jamais demandé ça. Ni à être, ni à ne point être. Pourtant, cette situation, il nous faut chacun l'accepter. Comme le mystère de la vie. L'accepter, l'affronter, et au mieux, au plus fort de la tempête et de la peur : la choisir.

 

Le gars profite de ce que je philosophe comme un ahuri pour chopper une basket traînant à terre et sauter dans la baignoire à l'autre bout de la pièce. Non, c'est décidément pas le moment de méditer, de flâner de concept en concept. Aussi me cavale-je derechef sur le plancher de faïence blanche, enchaînant avec méthode les diagonales, tout en gambergeant à toute blinde sur la stratégie à adopter, prenant mes repères et mesurant soigneusement mon coup.

 

Prêt ? Prêt ! Je me rue dans ma course sur le mur opposé à la baignoire que j'escalade illico. A mi-hauteur, je déhanche d'un vigoureux coup de rein, effectue un triple volte-face, et, m'appuyant d'un solide coup de queue contre les carreaux eux aussi de faïence pure et blanche, je me projette tel un missile fendant l'air, crocs et griffes en avant à la gorge de mon adversaire. Yaho je vole !

 

L'a pas l'air ridicule mon adversaire tiens ! Debout tout nu dans sa baignoire, main droite agrippée à sa basket et la gauche protégeant ses génitoires, dansant la gigue pour éviter mon assaut furieux.

 

Mince, loupé ! le gars s'écarte une nouvelle fois juste à temps de ma trajectoire, tout en tentant de me chopper à son tour avec sa pompe. Comme si j'étais une vulgaire bulle de savonnette, de ping-pong ! Bon, ça tombe bien, il loupe son coup lui aussi, me laissant du coup retraverser la pièce tel un rtgv (rat à très grande vitesse) pour répéter l'opération.

 

La suite de l'histoire et pour abréger mes souffrances, c'est qu'hélas pour moi le gars aspro danse pas si mal le hip-hop et qu'il a du pratiquer un tennis haut niveau quand il était cadet. Toujours est-il que je le touche pas une fois mais lui si. A ma cinquième ou sixième attaque, il porte un coup, comme disent certaines tribus Amérindiennes, pour les quelques survivants qui s'en souviennent. Oh ! pas un coup mortel, mais que je prends en pleine nuque quand même. Tel votre Roland de Roncevaux je poursuis naturellement l'implacable lutte, mais, affaibli, un peu sonné, forcément je perds en puissance et vitesse. Alors j'en prends bientôt une autre, de basket, puis une autre puis une autre etc... Bref, c'est à ma quatorzième offensive qu'il me coince dans la baignoire et m'achève à coups répétés de sa souple arme blanche. Une ultime pensée aux chéries, et Henri Lerat, roi d'égout et du noir, aigle farouche fendant les airs, Henri Lerat rend l'âme. Moche comme fin.

 

 

 

 

4 / Ancolies

 

Et putain, je fais quoi avec "ça" moi ?

 

Bon, d'abord j'ouvre doucement la porte de la salle de bain, j’entends le souffle terrifié de mon amie dans la nuit. Chut ! Tout va bien ! je lui souffle à mon tour. J'attrape une bande de pq et saisit le cadavre par la queue. Traverse la pièce le bras tendu au maximum sur le côté, des fois que l'agressive et répugnante créature serait pas tout à fait morte, faisant également en sorte de masquer de mon corps la maousse bestiole à ma petite pote afin de lui épargner tout traumatisme inutile. J'ouvre la porte-fenêtre et balance la masse noire, grise, rouge et molle loin dans le jardin. Bon dieu, j’espère qu’elle a pas profité de la balade pour dégouliner les blessures de son âme écarlate sur mon tapis crème ikéa. Puis je ferme soigneusement la porte de la salle de bain, me lave mains et bras dans la cuisine, me glisse dans le lit. C'était des cambrioleurs ? chuchote une voix amie dans la chaleur des draps. Nan, tout va bien, rendors-toi. Et surtout va pas dans la salle de bain. Elle je sais pas, mais moi, chose curieuse, je me rendors rapidement, brisant-là toute forme de réflexion ou de recherche de slogans. 

 

On se lève tôt vu que je dois voiturer la jeune dame qu'a pas mes horaires souples à son boulot. Expédiant un mauvais thé, je lui réitère l'interdiction d'accès à la salle d’eau et m'en vais trouver le sympa et serviable gardien de l'immeuble dont le studio jouxte le mien. Bien qu'il ait en sa jeunesse et pays connu les belles horreurs de la dictature, il n'en contemple pas moins pensivement le cadavre dans le jardin et annonce qu'il s'en occupe. Je le serre dans mes bras de reconnaissance et rejoins la mienne, de ratounette. Celle-ci déposée en lieu sûr, je file direct à mon propre boulot où je m'installe - café / clopes / bloc format A3 de papier blanc / pieds sur le bureau / chasse aux slogans - en cette heure inhabituellement matinale.

 

C'est là que je me mets à penser.

 

Aux slogans ? A la peine également blanche, et pleine et vive, et vaine et vide, qu’ils exigent de moi et me retournent sans cesse ? Nan, pas du tout. Je me mets à penser au rat surgi des ténèbres et des chiottes. Le Rat : le Prince du Mal. l’Etre des Antres Noirs, du Diable et des Enfers. Oui je me mets à penser à cette créature ignoble autant qu’impure dont la simple idée nous fait frissonner, dont l'image des incisives pointées en avant nous hérisse d'une terreur insondable, dont l'intelligence nous farfouille les entrailles d'une trouille bleue.

 

Et alors je pense à notre propre mystère, à la face cachée de nos cœurs, à nos âmes en lancinante souffrance, à nos dieux conceptuels et nos démons bien réels. Je pense à nos héros étranges, improbables, indéfinis. A nos légendes primitives, nos cauchemars irréductibles. Je pense à nos faïences blanches comme nos défaillances ; au tartre noir qui chaque jour nous frappe et nous dévirginise, qui chaque jour sans retour nous macule, nous fait honte, nous fait taches. Je pense à l’impuissance tribale de notre lente peuplade ; à tous nos dérisoires, notre orgueil, nos immenses éclats d'amour tellement provisoires. A nos stupéfiants rituels, nos faiblesses et nos trop longs péchés ; à nos tours érigées de prières tourmalines et de pierres de soleil ; à notre histoire ancienne et notre sourd passé.

 

Et aussi, plus prosaïquement, je pense : que se serait-il justement passé si c'était mon amie (ou moi ou vous) qui s'était assis(e) sur la lunette de la cuvette sans regarder ? Et moi, rien qu’un parmi les miens, je fais quoi avec ma baignoire ma salle de bain mes chiottes ?

 

Putain ça va bien ! Je mets un terme à ces désagréables réflexions en empoignant mon blouson. Une heure plus tard, me voici de retour dans le cosy studio, non sans m'être attardé dans une droguerie où j'ai fait main basse sur quelques achats de première nécessité : gants en caoutchouc par douzaine et produits de nettoyage industriels à la pelle.

 

Serviettes accrochées près du lavabo, tee-shirts et peignoir suspendus à la patère, brosse à dents, rasoir, linge sale jeté à terre..., tout ce qu'a pu toucher l'abominable bestiole, hop et sans état d'âme je jette.   Puis, du sol au plafond, je récure tout et tout, avec méticulosité et fermeté.

 

Puis, bien obligé, je me dépantalonne, lève le couvercle et m'assois sur la lunette de la cuvette. Un quart d'heure, je me dis. C'est ça, comme quand on a glissé de cheval et qu'il faut remonter de suite en selle faute de quoi les séquelles vont se payer chères. Ben ouais, j'ai pas envie que cette salle de bain et ces chiottes soient hantés, m'obligeant peut-être et qui sait à déménager.

 

Bon, montre en main je tiens mon quart d'heure, non sans relever plusieurs fois un coin de fesses pour surveiller ce qui se passe par là-dessous. Ça va, tout baigne, calme et tranquille. Mon épreuve exorciste exercée, mon devoir d'adulte réalisé, je rejoins mes pénates professionnelles, le slogan aux lèvres ou presque.

 

 

 

 

5 / Henri

 

Ah ces zhômmes ! Si petits et piteux ! En plus que prétentieux comme pas deux ! Incapables de régler leurs petits problèmes domestiques et s'en prenant de plus belle au système solaire, à la Lune, à Mars la belle rouge, aux doux agneaux de Saturne... Seigneur ! A hurler de rire si c'était pas si triste. Par exemple, quasi personne a voulu croire à son histoire, au gars Ancolies. Et comment je peux savoir ça, moi Henri Lerat, héroïquement tombé au combat ? Z'avez oublié ? Parce que j'ai des pouvoirs. Nan, z'avez pas oublié je sais bien.

 

Oui, quasi personne a voulu le croire. Rejet total. Refus pur et dur. Blocage à triple blindage avec alarme immédiate chez la flicaille sitôt que ça déraille. Rejet inébranlable même aux marteaux piqueurs les plus perspicaces, les plus performants, les plus tenaces. Sont comme ça les zozos sitôt que ça les arrange, ou plutôt que ça les arrange pas. Sont comme ça quand un truc bizarre leur travaille les cellules et le fion. Leurs yeux se bouchent, leurs bouches se parjurent, leurs oreilles ont des murs, dit une bonne chanson de chez nous.

 

Eh oui, complètement murs d'oreilles les pauvres bougres, à commencer par les habitants du chicos immeuble aimablement avertis par le gardien : Ça ?! Ici ?! Dans mon immeuble ?! Chez moi ?! Dans mes chiottes sous mon cul ?! Et à Neuilly sur Seine en plus ?! Et ben savez quoi ? c'est non, définitivement non. Quoi d’autre ? z'êtes viré mon vieux.

 

Et puis les autres aussi. D'ailleurs pour eux c'est facile : Allons bon ! Ancolies le barj dans une de ses nouvelles facéties. Toujours aussi impayable ce garçon !

 

Et même son psy, le si sec et si triste Doc Volvo, ainsi baptisé en raison de son immense et rutilante limousine parquée en son square privé, et dont le gars Ancolies a bien du couvrir une bonne moitié des créances. (Et une immense limousine en plein Paris, je vous le demande : pour quoi faire ?). Ouais, Doc Volvo, le mec qui t’aide vachement parce que quoiqu’il arrive, son université humaine lui a appris à jamais te dire un mot.

Hélas pour le malheureux Doc, l'est cette fois tellement choqué, heurté par l’histoire qu’il ne peut même plus appliquer les principes sacrés qui l’ont enseigné : la fermer. Non, à l’image Rat/Trou de balle, Doc étouffe et à son tour bondit révulsé de la cuvette de son large fauteuil pour accuser son analysant de pure invention ou d’hallucination. Ma parole, songe le-dit analysant, quatre ans que je vois ce gus quatre fois par semaine, et il croit que j'affabule ! C'est qui le taré ici ?

 

Heureusement pour le taré officiel, l'a montré au gardien ma fière dépouille (me suis battu comme un lion non ?!). Faute de quoi tous ces marioles auraient bien pu le faire douter, lui qu'a déjà la santé mentale inondée. A part ça, qu'on est seul, peuh ! le savait déjà.

 

N'empêche, face à tant d'incrédulité, le gars seul doit quand même se débrouiller pour trouver au moins un sens à tout ça. Bien obligé lorsqu'on est traumatisé : chercher à comprendre, trouver un sens. Les autres se démerdent, il a décrété, le rat c'était le mal et je l'ai expédié ad patres à grands coups de basket.

 

Tant mieux si ça peut le rasséréner ; tandis que ça me fait doucement rigoler. Moi, le mal ? Eh, vous les zhômmes, vous les gnhômmes, combien de temps que vous vous êtes pas regardés dans un foutu miroir ? Que je sache, c'est qui les zozos massacreurs, les gros fouteurs de guerre ? C'est qui les dangereux, les apprentis sorciers ? les fiers esclavagistes, les inventeurs de nazis, les handicapés de l'entente, les loups des steppes et de l'harmonie ? Oui, c'est qui les sourds-muets-zaveugles, qui les sales bousilleurs, les saccageurs des grandes largeurs, les foutus barbares ? Les conseils d'administration qui remontent en ce moment même à la vitesse de la technologie à l’âge du feu, de la pierre noire et du singe ? Les zingénieurs du mal ? Marre à la fin ! C'est qui qui fout le bazar sur cette planète, non mais sans blague ?!

 

C'est ça : d'un z qui veut dire zozo.

 

Allez, je vous laisse à votre merdier. Au paradis des rats, on fait fosse commune avec les chéries et c'est chouette. Et bonne chance à vos enfants. Salut.

 

 

 

 

 

 

Partager

Partager Facebook

Auteur

Blog

Ancolies

26-12-2012

Couverture

"Soyez un lecteur actif et participatif en commentant les textes que vous aimez. À chaque commentaire laissé, votre logo s’affiche et votre profil peut-être visité et lu."
Lire/Ecrire Commentaires Commentaire
Le Prince du Mal appartient au recueil Nouvelles d'une vie

 

Tranche de Vie terminée ! Merci à Ancolies.

Tous les Textes publiés sur DPP : http://www.de-plume-en-plume.fr/ sont la propriété exclusive de leurs Auteurs. Aucune copie n’est autorisée sans leur consentement écrit. Toute personne qui reconnaitrait l’un de ses écrits est priée de contacter l’administration du site. Les publications sont archivées et datées avec l’identifiant de chaque membre.