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Le Bar des Frères - Tranche de Vie

Tranche de Vie "Le Bar des Frères" est une tranche de vie mise en ligne par "Ancolies"..

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Le Bar des Frères


Malgré sa moustache fournie et les cigarettes qu’il grillait à la chaîne, il ressemblait à un jeune garçon parmi ce groupe d’hommes. Tous, lui compris, avaient une tasse de café et une petite bouteille d’eau minérale posés sur la table autour de laquelle ils étaient assis. L’observateur se disait alors qu’il s’agissait de musulmans pratiquants. L’homme à la moustache riait aux plaisanteries régulièrement lancées par l’un ou l’autre et l’on se demandait si c’était parce qu’il trouvait cela effectivement drôle ou s’il tentait plutôt de se faire admettre dans ce cercle. Le groupe comptait 7 ou 8 hommes. Ils jouaient aux cartes en bavardant fort. Comme 2 ou 3 autres, lui ne jouait pas, installé sur sa chaise un peu en retrait de ceux qui entouraient la table. C’était peut-être la frange de ses cheveux d’un noir d’ébène lui tombant sur le front qui lui donnait cet air juvénile. Installé seul devant sa pression à une table isolée, l’observateur tentait de comprendre de quel jeu de cartes il s’agissait. Ni bridge, ni bataille, ni crapette, ni tarot, quoi alors, gin rummy ? Non plus, l’observateur ne faisait que perdre son temps à tenter de répondre à cette question. Sagement aguerri par la vie, il laissa alors au vestiaire ses improbables devinettes. La scène se déroulait dans la vaste cour intérieure d’un café PMU. A l’intérieur du café, il y avait 4 téléviseurs placés en hauteur diffusant les courses de chevaux. Le sol était jonché de tickets de jeu perdants, rageusement froissés en boule puis jetés à terre par ces parieurs malchanceux. Entre les 4  téléviseurs et les cris et encouragements des parieurs lorsque la course sur laquelle ils avaient misée se déroulait, il y avait un sacré brouhaha dans ce café. Brouhaha que l’on n’entendait pas de la terrasse intérieure. Egalement installés devant le café dont la devanture était totalement ouverte, quelques autres hommes fumaient et 2 jeunes assis sur leurs scooters baillaient aux corbeilles. L’observateur qui ne faisait que les croiser lorsqu’il entrait dans le bar n’avait pas tardé cependant à repérer que les jeunes aux scooters exerçaient l’honorable profession de dealers, attendant leurs clients réguliers. Un top dans la main et les billets et les barrettes de chichon changeaient en un clin d’œil de propriétaires. Le café ne comptait que des clients arabes, seul l’observateur était une autochtone pure souche. Il ne parlait à personne sinon pour saluer le patron qui lui servait d’emblée sa consommation et personne ne lui parlait. Personne ne lui adressait des regards hostiles destinés à lui faire comprendre qu’il n’était pas sur son territoire. Personne non plus ne lui adressait un regard aimable. Ils l’ignoraient tout simplement. Dans la cour, de sa table isolée habituelle, il avait remarqué une chose : lorsqu’un nouvel arrivant débarquait et rejoignait un groupe à une table, il serrait de sa main droite celles des personnes présentes puis la posait sur son cœur. L’observateur trouvait cette attitude plutôt sympathique. Sociable et civilisée.    

Civilisé ? Il va de soi qu’il n’y avait pas la moindre présence féminine en ce lieu. L’observateur se posait d’ailleurs une question à ce propos : quelques jours plus tôt, se rendant à ce café et presqu’arrivé, il avait croisé sur le trottoir une jeune et jolie femme blonde qui lui avait semblait-il adressé un sourire. Dans son élan il l’avait dépassée mais, 5 pas plus loin, il avait fait marche arrière pour retourner vers elle et l’accoster : « J’ai rêvé ou vous m’avez souri ? ». « En effet. ». « Mais c’est sympa ça ! ». « Oui. ». « Je vais prendre un verre, vous m’accompagnez ? ». « Non. ». « Bon. Moi j’y vais. Au revoir ! ». Que ce serait-il passé s’il avait ramené cette fille dans ce bar ? Il avait du mal à l’imaginer. Le patron lui aurait-il dit que ce n’était pas possible ? La clientèle 100% masculine se serait-elle cachée sous les tables en criant au sacrilège, chiens d’infidèles ! Ou auraient-ils lapidé la belle ? Ces questions amenèrent l’observateur à se demander si les musulmans mâles n’auraient pas, à leur façon de les cacher, plus peur des femmes que leurs homologues occidentaux.

Pas une présence féminine ? Ce n’était pas exactement exact. Dans l’immense cour intérieure, il y avait une grande, genre 2 mètres 50, réplique de la statue de la liberté, trônant sur ce beau monde ruisselant de tout son bronze noir. Une fois il en avait parlé au patron qui lui avait expliqué qu’elle appartenait au précédent propriétaire du bar, qui avait cédé son établissement et laissé la statue à sa place mais avait obstinément refusé de la vendre bien que le patron lui en ai offert 10.000 euros. C’est d’ailleurs elle qui donnait son nom à ce café, Le Liberty Bar. Un nom tout-à-fait inapproprié en regard de ses habitués et de l’ambiance générale se dégageant de ce lieu qui aurait mieux porté le nom de Bar des Frères par exemple. Et puis, il faut être très précis, il y avait d’autres présences féminines en ce lieu : les pigeonnes. Ils étaient une dizaine de pigeons/pigeonnes ayant élu domicile en cette terrasse, voletant d’un colombage de poutres de bois et de chaume percé à un autre colombage de poutres de bois et de chaume percé. Certain(e)s, pas effarouché(e)s pour 2 sous, allaient roucoulants et se dandinant sur le sol jusque sous les tables des joueurs. Personne ne songeait à leur donner des coups de pied, histoire qu’ils aillent voir si le béton était plus vert ailleurs. Hommes, volatiles, statue, tout ce petit monde cohabitait dans la plus grande harmonie. La présence de ces oiseaux n’étonnait pas l’observateur qui avait pu se rendre compte lors de voyages antérieurs qu’il y avait des pigeons à Istanbul, tout comme à Paris ou Venise.

Foin de réflexions féminines ou animales : le consommateur face à son verre maintenant presque vide se remit à observer l’homme à la moustache. Cet homme abandonnerait-il un jour son visage juvénile ? Serait-il enfin accepté par ses pairs ? Pourrait-il rejoindre enfin la table de jeu ? Avait-il une femme, des enfants ? Un métier ? Non, apparemment aucun de ces hommes n’avait un métier. Ils passaient leur journée entière à jouer aux cartes dans ce bar. Vivants des allocations familiales ? Possible, se dit l’observateur, constatant en même temps qu’il avait fait un sort à sa pression. Il laissa alors en suspens ses questions relatives à l’homme à la moustache, à son statut et celui de ses confrères, se leva en attrapant son verre vide et alla régler sa consommation au bar, laissant les joueurs à leurs occupations tandis qu’il allait poursuivre ailleurs les siennes. Un jour c’est certain, on lui ferait comprendre qu’il n’était plus le bienvenu ici. En attendant ce probablement inéluctable moment fatidique, il continuait de venir y passer quelques demi-heures tous les 3 ou 4 jours et se livrer à ses passionnantes autant que palpitantes réflexions et observations.

 

 

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Ancolies

02-09-2024

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Le Bar des Frères appartient au recueil Nouvelles d'une vie

 

Tranche de Vie terminée ! Merci à Ancolies.

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