"La Trifouillade III" est une histoire détente mise en ligne par
"Guy Favregros"..
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La Trifouillade III. Mesdames et Messieurs, la paix revenue, chacun reprit une activité « normale ». Une vie normale étant une vie non ponctuée de guerres inutiles et destructrices. Pour célébrer la victoire, toutes les communes érigèrent leur monument au vivant. Le vivant, c’était moi ! En effet, pourquoi faire des monuments aux morts quand on ne sait pas qui est « réellement » mort et qui a déserté. Pas la peine de graver des noms si c’est pour les retirer ensuite. Gloire au vivant ! Gloire au vainqueur ! Gloire à moi ! Auréolé de gloire et de mon statut de vétéran, je construisis des usines avec un seul mot d’ordre : démocratiser la Trifouillade. Le monde entier doit baigner dans l’euphorie de la paix retrouvée avec faste et ripailles. Ma petite entreprise fit florès. Je m’adjoignis les services de plusieurs personnes. Chacun avait son attribution : Honoré, les commandes, Marie au NET, Bienvenu à l’accueil, Mélusine, aux normes de sécurité, Emy, la compta à jour, Gaston au téléphone et juste pour rire, Sacha aux achats. À chacun sa route, chacun son chemin… Tiens ? Je suis de bonne humeur. Après ces petites présentations laissez-moi maintenant parler de la ville qui m’a vu naître. Trifouilly-les-Oies : Charmante petite bourgade fondée par les romains sous le nom de Trifolium – pour trèfle – car abondant en ces lieux. Les oies ont été importées du Capitole par la suite. Le blason représente logiquement un trèfle avec des oies en surimpression. La paix romaine fut rompue par l'invasion d'une tribu germanique, non pas les Wisigoths, ni les Ostrogoths, qui sont allés voir ailleurs si je n’y suis pas, mais des Goths originaires de la péninsule danoise, les Légoths. Ceux-ci ayant eux-mêmes été chassés par les Vikings lors d'une période historique où tout le monde envahissait et chassait tout le monde. À croire que l’herbe n’était pas assez verte sous leurs pieds – peut-être un coup d’Attila nous voilà. C’est une période mouvementée que les historiens nomment les invasions Cascade et Ricochet, des noms de deux chercheurs qui n’avaient rien trouver de mieux que de laisser leur nom à la postérité. Ça sert aussi à ça d’être chercheur. Seuls les habitants de Trifouilly-les-Oies n'eurent nulle part où aller car, contrairement aux autres, ils étaient bien chez eux, bien mieux qu’à Perpète-les-Oies où beaucoup échouèrent, faute de mieux. Après les hostilités vint une période de reconstruction massive adoptant la technique des Légoths consistant en l’utilisation de briques de couleur pour la construction des huttes. Cette spécificité architecturale de la bourgade est encore visible de nos jours. Comme le mont Saint-Michel, dont l'appartenance est toujours disputée entre la Normandie et la Bretagne, Trifouilly-les-Oies est quant à elle revendiquée par toutes les régions de France. S’ajoute donc conséquemment la difficulté à la situer sur une carte de France. Et si vous ne me croyez pas, interrogez votre GPS ! Les chrétiens construisirent au moyen âge l’abbaye Le-miel, du nom du saint martyr supplicié à Rome par piqûres de guêpes après avoir été enduit de miel. On ne le répétera jamais assez : ils sont fous ces romains ! Les moines de cette abbaye confectionnent la fameuse liqueur de trèfle des prés. La spécialité culinaire est la célèbre Trifouillade, met concocté à base d’oie et de liqueur de trèfle et dont la recette complète n’a jamais été dévoilée bien qu’on peut estimer que ça ressemble à un confit. Cela n’a pas fait obstacle à son entrée au patrimoine mondial de l’Unesco. La devise de Trifouilly-les-Oies est : « On est bien chez nous ! ». À ne pas confondre avec celle de Perpète-les-Oies : « C’est encore loin chez nous ! ». N’oubliez pas le guide, SVP ! Tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où je surpris un visiteur bien trop curieux dans l’usine principale. – Puis-je vous aider monsieur… ? – Gaspard Furet. Contrôle de l’hygiène. – Que faites-vous ? Que voulez-vous ? – Puis-je voir votre chaîne de production ? dit-il en me brandissant une pièce d’identité avec une bande tricolore. Nous avons eu des plaintes. – Quoi ? – Vous me ferez aussi la liste complète de vos fournisseurs. Nous devons vérifier et tracer toute votre chaîne de production. – Bigre ! Dis-je, estomaqué. – Ah, et puis provisoirement, je vous demande de stopper votre production. Je vais procéder à la mise sous scellés. – Hein ? Vous voulez notre mort ? – C’est mieux que la mort des consommateurs ! – Vous plaisantez ? Personne ne s’est jamais plaint de la Trifouillade, à part Walter qui a connu la Trifouillade avant la conserverie, donc avant les contrôles sanitaires auxquels nous procédons régulièrement. – Pas de discussion ! Il faut fermer l’usine ! Ce Gaspard Furet fit donc fermer nos usines. Plusieurs jours passèrent sans plus de nouvelles des autorités. Jours que nous passâmes à vérifier nos installations Mélusine et moi en prenant soin de ne pas toucher aux scellés. Puis un jour, Bienvenu arriva avec une boîte de Trifouillade dans la main. – Regardez ce que j’ai trouvé au supermarché ! – Ça ressemble à notre Trifouillade, non ? Demanda Marie. – Exactement ! À un gros détail près. Regardez bien ! Elle a été fabriquée à Trifouilly-les-Canards ! – Une Trifouillade au canard ! M’exclamai-je. Mais c’est de la mauvaise copie industrielle ! – Oui ! Comment ont-ils eu l’autorisation ? – Je suis pris d’un doute… Et s’ils avaient profité de la fermeture de nos usines pour inonder le marché ? Gaston ! Appelle vite le service d’inspection de l’hygiène ! Nous devons absolument savoir s’il n’y a pas quelque coïncidence plus que fortuite… – C’est chaud ! Dit Sacha, échaudé. C’est chaud ! – Nous avons été déshonorés ! Dit Honoré. – J’en suis fort marrie ! Dit Marie. Après un court instant, Gaston revint. – Nous avons bien été eu ! Il n’existe aucun Gaspard Furet à l’inspection ! – C’est chaud ! Dit Sacha. – Déshonorés ! Dit Honoré. – J’en suis fort marrie ! Dit Marie. – Mélusine, mets l’usine en marche ! Dis-je. Arrache les scellés ! Nous n’avons plus de temps à perdre ! Médusés, abusés, trompés, ridiculisés, nous entamâmes un nouveau chapitre de notre aventure industrielle : la guerre de la Trifouillade... ou le conflit de canard si vous préférez. Nous décidâmes d’en découdre avec Gaspard Furet de Trifouilly-les-Canards et d’organiser une riposte sous forme de représailles ! Nous partîmes donc dans notre expédition punitive sans trop savoir ce qu’on pouvait faire sur place à Trifouilly-les-Canards. Nous roulions tous phares éteints pour ne pas éveiller la curiosité. Arrivés non loin des usines nous nous parquâmes à l’abri. À peine nous nous approchâmes de notre cible que le premier problème surgit devant nous : deux gros molosses. – Une suggestion ? Demandai-je. – On pourrait leur lancer des canards, non ? Lança Marie. – Des canards ? – Oui, des canards ! Insista-t-elle. – Y'a une fête foraine dans le coin ? On va à une pêche miraculeuse ? Parce que la chasse au canard n’est pas encore ouverte que je sache… Et je n'ai jamais chassé de nuit en plus ! – Mais non. Des canards en sucre. – Et qui est ton petit canard en sucre ? – C’est pourtant simple. On prend des morceaux de sucre. On ajoute un peu d’eau de vie et on les balance aux chiens. – On leur envoie du café avec ? – T’es bête. Le but est de saouler les chiens pour qu’ils nous laissent tranquilles. – Et… ils sont où tes canards ? – Dans la voiture. J’ai une boîte de sucres en réserve à cause de mon hypoglycémie et de l’eau de vie de trèfle des prés. – C’est bon ! On envoie ! Ce n’est pas trahir le secret de la Trifouillade de dire que la liqueur de trèfle entre dans la composition de la recette. Il n’était donc pas exceptionnel de se balader avec un flacon de liqueur. J’envoyai Bienvenu chercher nos munitions. Lorsqu’il revint nous commençâmes avec un sucre. Un peu d’alcool fut versé dessus suffisamment pour ne pas déstructurer le précieux cube. Nous le lançâmes par-dessus la clôture. Les chiens l’évitèrent puis le reniflèrent pour finalement le lécher. Bon début. Nous nous mîmes à lancer d’autres morceaux et cette fois les chiens les attrapèrent au vol. Ce manège dura un bon quart d’heure. – Hé ? La boîte va y passer ! Ils n’ont pas l’air ivres tes molosses. – Il sont peut-être entraînés pour ça… À peine dit cela, un des molosses ne réussit pas à attraper un canard au vol. – C’est bon signe ! Ça prouve que ça commence à faire effet ! Au bout d’un autre quart d’heure il nous semblait que les molosses étaient finalement cuits. Nous nous aventurâmes dans les locaux. – Haut les mains ! Surgit d’un recoin, Gaspard Furet, armé d’un fusil, nous mettait en joue. – Traître ! Dis-je, dans l’impossibilité de trouver le terme adéquat. – Alors comme ça, on fait du tourisme nocturne ? Dit Gaspard. – Salaud ! Dis-je, ayant trouvé le terme adéquat. – Ta gueule ! Dit Gaspard pensant avoir trouvé la parade. La curiosité est un vilain défaut… Je vais vous faire visiter l’usine en commençant par la chambre froide ! Là-bas, vous aurez tout loisir pour trifouiller. Je remarquai que Gaspard avait un fusil Moulinette. – Ce fusil, a-t-il déjà servi ? M’enquis-je. – Je peux l’étrenner sur toi si ça te fait plaisir ! Allez ! C'est par là ! Il nous conduisit à la chambre froide. – Il y fait un froid de canard ! C'est normal ! Ironisa-t-il. Puis il nous y enferma. Nous nous étions fait avoir comme des bleus. Adieu monde cruel ! Nous grelottions de froid lorsque nous entendîmes une détonation. – Flûte ! Si Gaspard a testé son fusil et qu'il lui a sauté dans la gueule, nous sommes cuits ! Dis-je en pensant « refroidis ». – C'est chaud ! Dit Sacha en claquant des dents. Nous étions on ne peut plus inquiets quand la porte s'ouvrit. Emy apparut. Je ne lui avais pas demandé de venir avec nous car elle était enceinte. En sage femme, elle nous délivra de l'enceinte. – Dépêchez-vous ! Il y a le feu ! – C’est sûr qu’il y a le feu ! Sortons vite ! Effectivement il y avait bien le feu et on aurait pu mourir de froid dans un incendie ! Quelle ironie ! Que s'est-il donc passé ? – Je me suis introduite ici et le type a voulu me tirer dessus. Dit Emy. Je lui ai lancé une boîte de conserve sur la tête. Le coup est parti en direction de l’armoire électrique. Après j'ai vu des étincelles de tous les côtés et je vous ai cherché. – Gaspard a dû voir des étincelles aussi ! Il faut le sortir de là ! – C'est chaud ! Dit Sacha. Nous sortîmes de l'usine en portant Gaspard. Il se réveilla constatant les dégâts comme nous. – Mon usine ! Mon usine est foutue ! – Fallait pas nous chercher ! Dit Bienvenu, peu amène. – Vous nous avez déshonorés ! Dit Honoré. – Nous la reconstruirons votre usine ! Dis-je. Tout le monde me regarda avec de grands yeux étonnés, écarquillés. – Non seulement nous reconstruirons votre usine mais nous serons partenaires. S'il y a bien une chose que j'ai apprise à la guerre, c'est qu'il y a toujours moyen de dialoguer avant d'en arriver à une telle extrémité. Il y a de la place pour tout le monde sur Terre. Il y aura de la Trifouillade à l'oie comme de la Trifouillade au canard. Une guerre démontre l'incapacité qu'ont les hommes à s'entendre alors qu'il suffit de peu de choses pour y réussir : dialogue et conciliation. Et cela y compris dans la vie de tous les instants. – Comme c'est beau ! Me dit Marie. Voudras-tu être mon petit canard en sucre ? – À la seule condition... que tu ne me jettes pas aux chiens ! – J'en serais fort marrie ! Et c'est ainsi, Mesdames et Messieurs, que se termine cette histoire. À votre place, je vérifierai quand même, si par hasard, dans votre supermarché favori ne se trouve pas une boîte de Trifouillade. Ça ne mange pas de pain.
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La Trifouillade III
appartient au recueil La Trifouillade
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Histoire terminée ! Merci à Guy Favregros. |
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