"La Trifouillade II" est une histoire détente mise en ligne par
"Guy Favregros"..
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La Trifouillade II. Mesdames et Messieurs, vous avez devant vous un rescapé. Que dis-je ? Un miraculé ! L'affaire semblait pourtant très mal engagée. Mais revenons un peu sur les événements passés. Une guerre avait éclaté. Moi, réserviste, je fus envoyé au front parce qu’un sergent m’avait pris en grippe. Suite à quelques événements, dont la disparition de ce sergent qui eût mieux fait justement d’attraper la grippe, je me retrouvais seul pour défendre l'honneur et les traditions de mon pays face à un ennemi non encore « civilisé » ne connaissant même pas la Trifouillade… c'est dire ! Mais que fis-je, figé, perdu au milieu de nulle part ? Errer ou ne pas errer… Quelle est ma position ? Je venais juste de quitter Walter, mon ami du camp opposé, censé donc être mon ennemi mais qui avait eu l’insigne honneur d’avoir goûté à la Trifouillade, donc une preuve d’attachement à mes valeurs lui conférant de facto son statut d’intouchable… même s’il avait pour le coup « dégusté ». – Bonne chance ! M’avait-il lancé alors qu'il désertait. – Eh ! Sais-tu de quel côté je dois aller ? Je ne vois aucun point de repère. C'est fou ce qu'une guerre peut anéantir en années de travail d'un paysagiste... – Exactement par-là ! M’indiqua-t-il. Es-tu gaucher ou droitier ? – Droitier ! Pourquoi ? – Dans ce cas-là, dirige-toi par-là ! Dit-il, pointant une autre direction. – T’es sûr ? – Absolument ! Personne ne marche parfaitement droit. – Merci ! À la prochaine ! Dis-je sans vouloir signifier la prochaine guerre mais la prochaine revoyure. Je pense qu’il avait bien saisi. Après quelques kilomètres je fus pris d’un doute. Je suis bien droitier niveau mains. Mais niveau jambes… ? Maintenant je dois vous parler un peu de stratégie militaire. L'état-major de mon camp, ou l'inverse, avait élaboré une stratégie innovante qu'on surnomma la guerre « fermeture éclair ». Cette métaphore pour symboliser l’action de coller au plus près l'ennemi et de ne lui laisser aucune possibilité de passage. En théorie, en serrant les rangs, nous étions quasiment à un contre un. À un détail près... l'ennemi, plus compact, était supérieur numériquement. Mais leur avantage fut de courte durée grâce à notre arme : le fusil Moulinette. Non pas celui que nous avions en notre possession, mais celui que nos usines leur avaient vendu. Eh oui, par chance l'ennemi avait été livré en fusils flambant neufs de la période de surproduction avec les défauts de fabrication que l'on sait. Les certitudes volèrent donc en éclat à la manière de certains fusils et l'issue de la guerre devenait plus qu'aléatoire puisque personne ne pouvait distinguer les tirs « amis » des tirs « ennemis ». D’où une baisse généralisée du moral dans une guerre amorale…Mais qui pour qualifier une guerre de morale ? Grosso modo la stratégie élaborée par mon état-major – ou le leur, ou les deux – n'eut pas le résultat escompté et ce fut la débandade générale. Moi, dans cette confusion, je cherchais à rejoindre les copains déserteurs, c’est-à-dire tous les autres. Mais l’impression de m’être égaré sur le champ de bataille me fut confirmée lorsque, ayant suffisamment marché pour théoriquement me tirer d’affaires, je me retrouvai nez-à-nez avec... dix mille soldats ! Et dix mille nez, croyez-moi, ça fait beaucoup d’individus qui vont avec ! Là, je me suis trouvé con. Que doit-on faire dans ce cas-là ? Demander leurs papiers ? C'est le genre de situation qu'aucune académie militaire (pardon pour l’oxymore) ne vous apprend. Personne n'envisage jamais la pire situation. Le sergent, en homme peu avisé, aurait foncé dans le tas. Moi, pas ! Ce que j'ignorais, c'est que j'avais hérité du statut de dernier combattant de mon camp encore présent sur le champ de bataille – en réalité, l'idiot de service qui n'avait pas trouvé l'issue de secours – qui me conférait une aura incroyable ; j’étais « le survivant ». Aucun soldat du camp adverse ne voulait prendre la responsabilité de rompre ma destinée quasi divine. Un grand merci à la superstition ! Les voyant immobilisés je tentais de les saluer en levant un bras. Ils eurent un geste de recul. Dans le doute, je regardai au-dessus de moi. Non ! Pas d'auréole ! Derrière... Personne ! Puis, une voix se fit entendre : – Qu'est-ce que vous attendez pour lui tirer dessus ! Bande d'abrutis ! Sorti de leurs rangs, il y avait la copie conforme du sergent. Le même, aussi teigneux... mais en face ! Il m'en voulait alors que je ne lui avais rien fait à lui personnellement. C'est le principe de la guerre me direz-vous... – Hééé ! Je ne voulais pas vous déranger... Il se trouve que vous êtes sur mon passage ! Vous pouvez vous pousser un petit peu que je puisse passer ? Dis-je, peu rassuré. – Mais il nous nargue cet avorton ! En joue...Feu ! Je me serais cru assister à ma propre exécution avec un peloton puissance mille. Moi, le condamné plombé par une quantité suffisante de balles pour me statufier sans passer par la case moulage, soit l'économie d'un artiste. Personne n'obéit à son injonction. Alors il décida de régler son problème – moi – tout seul. Il prit un fusil et se mit à tirer dans ma direction. Je reconnu aussitôt le modèle qu'il avait entre les mains. C'est celui qui ne tire pas droit. Il avait beau me viser, les balles ne m'atteignirent point. Surtout ne pas bouger ! Rester dans sa ligne de mire ! S’il est un bon tireur, tout va bien ! Sinon adieu mézigue, dézingué par un zarbi zouave zélé. Mon invincibilité augmenta mon aura mais aussi la furie du sergent. Alors ce dernier se saisit d'une arme blanche et se rua sur moi. Il est têtu, celui-là ! – Suivez-moi ! À nous la victoire ! Sus à l’ennemi ! Malgré ses appels redoublés au meurtre, personne ne suivit. Mais je n'étais pas rassuré pour autant avec mon fusil qui n'avait jamais tiré. Allai-je risquer d'étrenner cette arme qui n'avait jamais servi au combat ni ailleurs et qui ne m'inspirait aucune confiance ? Je mis en joue le sergent qui se ruait sur moi, prêt à faire feu. Sur le sol, devant le sergent, je reconnu une forme familière… Un étron. Là je dois faire une petite parenthèse. Un jour, un ingénieur italien en visite à Paris, vint à marcher sur un étron. Rien de plus banal me direz-vous. Sauf que cet ingénieur n'était pas n'importe qui ; il avait de la suite dans les idées. Avec un peu d'observation, il vit que malgré toutes les précautions qui s'imposent, invariablement, un passant se faisait piéger par le petit tas et l'écrasait vigoureusement. Ce n’est pas sans rappeler les lois de Murphy et un précepte selon lequel ce qui est évitable ne peut être évité. Cet ingénieur italien travaillait sur les mines anti personnelles. Il créa donc le modèle « Mina stronzo », familièrement appelé minestrone chez nous, avec un souci du détail tel que cette mine en forme d'étron avait aussi des fausses mouches collées dessus. Le sergent ennemi, dans sa folie meurtrière, me fixait du regard et allait goûter au charme parisien… en version brutale. – Je vais te faire ta fête, toi ! Il n'eut pas le temps d'en dire plus. Il venait d'écraser le minestrone – pied gauche, pied droit ? Aucun ne portant bonheur –. Je ne sais pas s'il avait pris le temps de numéroter ses abattis, peine inutile, car dans la déflagration il disparut complètement de mon champ de vision… les numéros avec. Je fus surpris par la réaction de mes « ennemis » qui sautèrent... de joie ! Je venais sans le savoir d'éliminer l'empêcheur de tourner en rond qui les retenait au front car ils n'attendaient que cette occasion pour se défiler, en tout bon militaire qui se respecte. Nous sympathisâmes donc et nous nous présentâmes. Dix mille noms à retenir, moins celui de sergent qui l’avait également perdu dans la bataille, ce fut un peu beaucoup pour moi. Aussi ne retenus-je que Wilbur, le nom de celui qui me faisait face. – Merci. Dit-il. Nous pourrons désormais rentrer chez nous. – Connaissez-vous la Trifouillade ? – Non ! Pourquoi cette question ? – Juste pour vérifier… et savoir si ma théorie est exacte. – C’est un mot de passe ? – Ça se pourrait… – Il reste un petit détail à régler. – Lequel ? Dis-je à Wilbur, fort intrigué. – Il faut désigner un vainqueur. – Ça me paraît pourtant évident que je ne fais pas le poids face à vous autres. – Ce n'est pas une question de nombre, c'est une question d’honneur et de logique. – Une logique qui ne serait pas mathématique ? Pourquoi pas match nul ? – S’il n’y a pas de vainqueur la guerre pourrait reprendre et si nous voulons régler l'issue de cette guerre autrement que par les armes, il faut un autre moyen pour nous départager ; il y a des batailles qui se sont terminées aux dés, par exemple. – Et à pile ou face ? C’est ainsi que je remportais la guerre « fermeture éclair » grâce à la sagesse de Wilbur et à ma pièce de monnaie dont la valeur réelle n’était plus en rapport avec la valeur faciale. Non loin de là, le quartier général de l’état-major de mon camp était réuni au grand complet dans un château réquisitionné pour l’occasion. Il était face à un problème de taille : les décorations militaires. Ayant reçu un stock impressionnant de médailles et manquant de poitrails sur lesquels les épingler – les braves soldats s’étant volatilisés –, les gradés furent pris de la fièvre de la remise des honneurs militaires. Chacun félicitant son vis-à-vis pour ses faits d’arme – purement imaginaires évidemment –, et épinglant la jolie médaille avec solennité et fanfare à en faire pâlir d’envie les anciens généraux soviétiques pourtant inimitables dans l’étalage de breloques. Seule l’alarme vint troubler ces festivités. – L’ennemi arrive ! – Combien sont-ils ? Demanda le général. – Nombreux ! Très nombreux ! – Hissez le drapeau blanc ! Nous capitulons ! Le fameux drapeau blanc ayant été égaré dans la confusion, fut hissée précipitamment une taie d’oreiller blanche avec des petits cœurs rouges. Était-ce pour attendrir l’ennemi ? Le général était en train de rédiger hâtivement l’acte de capitulation lorsque j’entrai suivi de tous mes « followers », dix mille vrais amis moins un, je vous laisse deviner qui. Il se mit à trembler de toutes ses médailles et croyez-moi, cela faisait un boucan du diable. – Pitié ! – Pourquoi ? Dis-je. Je suis de votre camp. – Mais, tous ces hommes ? Dit-il tout bas, en me faisant un petit geste discret de la tête comme si je n’avais pas remarqué la cohorte qui me suivait. – Ce sont mes prisonniers. – Quoi ? Vous vous fichez de moi ?! – Nullement. Ils sont d’accord pour se rendre. – Exact ! Dit Wilbur. Nous nous rendons. – Et… Qu’est-ce qu’on en fait ? Me demanda le polichinelle à grelots. Il n’y a pas assez de place ici… – Laissez-les rentrer chez eux. De toute façon, la guerre est finie. Lui dis-je. – Alors, nous avons gagné ? – Oui. Dit Wilbur. Désolé pour le dérangement. Pouvons-nous rentrer chez nous, maintenant ? – Ouais ! Je le savais ! Je suis un génie ! Un grand stratège militaire ! Vous entendez les autres ? Dit le général en sautant de joie et en se retournant vers son état-major. Ce fut un concert de breloques difficile à soutenir, pire que la fois où j'ai assisté à une représentation de musique contemporaine par un ensemble de percussionnistes. Puis le général se tourna vers moi, sa braguette ouverte. Tout d’un coup je compris d’où venait tout son génie militaire et je souris à l’idée qu’un jour il avait coincé popaul dans sa fermeture éclair. – Quoi, vous êtes encore là, vous ? – J’ai des projets dans le civil et je voulais savoir s’il y a une récompense ou une prime pour services rendus à la Nation. – Et pourquoi pas une médaille tant que vous y êtes ? Soldat, vous déshonorez l’armée française. Vous avez de la chance que je sois de bonne humeur sinon ce serait la cour martiale pour insolence ! … Et quel est ce projet dont vous parlez ? – Produire de la Trifouillade à grande échelle. – De la Tri… ? Bon… allez ! Retournez dans vos pénates et à vos occupations dérisoires ! Nous avons des défilés à organiser, nous ! Rompez ! J’ai rompu les rangs imaginaires sous son regard dédaigneux. Je m’en contrefichais, moi, de ses médailles ! La seule médaille qui m’importait était la médaille d’or du concours agricole de Trifouilly-les-Oies, celle que j’obtiendrai plus tard.
Et c’est ainsi, Mesdames et Messieurs, qu’après une guerre gagnée sans coup férir, je retournais dans mes foyers et à mes fourneaux. Exigez la qualité ! La véritable Trifouillade AOC, médaille d’or du concours agricole de Trifouilly-les-Oies !
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La Trifouillade II
appartient au recueil La Trifouillade
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Histoire terminée ! Merci à Guy Favregros. |
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