C’est bien ma veine - Tranche de Vie

C’est bien ma veine

L’expérimentée infirmière la sent. Elle roule sous ma peau. Ma veine. Mais c’est bien ma veine, l’infirmière ne parvient pas à l’isoler pour y planter l’aiguille. Chaque fois c’est pareil et une simple prise de sang devient bataille de Wagram. Ô j’en ai eu et j’en ai eu et à chaque fois c’est la même histoire. Mais l'infirmière a la patience d'une pro et il y a finalement toujours un vainqueur et elle s’en va triomphante munie de ses flacons remplis de sang rouge et noir. Ah elle était dure celle-là ! plaisante-t'elle soulagée. Je ne suis pas suffisamment ouvert comme garçon, je ne laisse pas voir mes veines à tout le monde. Qui sait, cela pourrait faire des jaloux. Ma veine est plus bleue que la tienne. Il y a pire : lorsqu’il faut trouver l’artère, dans le cas d’une gazométrie par exemple ; là c’est encore plus compliqué et ça peut prendre  - ça prend - un bon moment. Mais je me fiche des aiguilles et des bottes de foin, j’ai connu les drains. Un drain enfoncé dans un poumon pour comme son nom l’indique drainer le mauvais sang noir, ça c’est quelque chose. Tu bouges ton buste d’un millimètre et une douleur de cheval fou te transperce. Le mieux c’est lorsque que l’on t’en débarrasse. C’est une jolie infirmière qui se pointe pour faire diversion flanqués de 2 aides-soignants mastars qui se placent derrière la tête de lit, pour vérifier les perfusions t’imagines. Naïf va ! Tandis que la mimi babille en te faisant de mimis sourires, scratcht ! les 2 mastars en profitent pour t’arracher le drain d’un coup plus que sec. Si tu ne tombes pas dans les pommes, c’est que tes parents ont un jour donné naissance à un petit bien costaud. Heureusement la résilience veille, notre amie la résilience qui te permet d’avaler des couleuvres vertes et pas mûres des années durant. Jusqu’à ce que, si ça t’arrive un jour, tu ne frappes du poing sur la table déclamant telle une tirade de Cyrano C’est bon les gars, vous m’avez eu assez longtemps, ça ira comme ça, maintenant c’est moi qui prend les commandes. Pas les commandes des sandwichs, les commandes de ta propre vie. Et naturellement de ta propre résilience. « Je n’accorde plus ma patience qu’à ceux qui la méritent » dit Meryl Streep. Elle a bien raison la grande dame, y’a trop de beignets qui se perdent, trop de gus qui te prennent pour une poire. Et tu te laisses faire, et mieux, tu tends l’autre joue. Mais moi, grand seigneur, je ne me vengerai même pas. Cela serait une défaite pour moi et une victoire pour les connards qui m’auraient rabaissé à leur niveau. De là à leur pardonner, je ne suis pas un saint quoique pour un bon paquet d’entre eux je m’en fous et devrais plutôt m’en prendre à moi qui me suis laissé gruger. Et puis, autre chose, quand tu as officiellement la santé mentale détraquée, les autres mettent sur tes épaules leurs erreurs puisque tu es le taré officiel. C’est ainsi. De cette façon j’ai beaucoup, beaucoup trop, donné. De toute façon j’ai beaucoup beaucoup trop joué Docteur Jekkil et Mister Hyde dans ma chienne d’existence, laquelle n’aura pas puisque j’ai fait mille enfants été intégralement vaine. C'est ça, vaine, comme dans écrivaine. Comme quoi comme je vous le disais, je finis toujours par la trouver mon introuvable veine.