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Z'étaient chouettes les boums de... - Tranche de Vie

Tranche de Vie "Z'étaient chouettes les boums de bord de mer" est une tranche de vie mise en ligne par "Ancolies"..

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Z'étaient chouettes les boums de bord de mer

 

Z'étaient chouettes les boums du bord de mer. Bon, là tout de suite, la mer on la voit pas mais on perçoit nettement son puissant murmure à quelques encablures. C'est d'ailleurs étrange qu'on l'entende, normalement la sono de la surprise-party à laquelle je vous convie devrait largement couvrir la lointaine symphonie des vagues sur les récifs ainsi que le concerto des crabes dansant la gigue au sable mourant du ressac. Alors, quel est ce curieux silence en cette nuit supposément dédiée aux rythmes ados ? Ou alors on s'est gourés d’endroit et de jour ? C’est pas ici et aujourd’hui la boum ?  

Bien qu'aiguillonnés autant par une légitime anxiété que l'ardente curiosité d'en savoir plus, prenons le temps d'opérer avec circonspection. Commençons par cadrer les lieux : des bois, des bois noirs et inquiétants, bruissant de menaces et d'ombres. Et là, seule dans le monde des grands arbres, une vaste maison muette d'où s'échappent des éclats colorés stroboscopiques. Approchons-nous à la fois sans crainte ni témérité, et tendons le cou par cette baie vitrée grande ouverte : la pièce est déserte et n'offre pour seuls signes de vie que le lustre disco suspendu au plafond tournoyant sur lui-même  ainsi qu'un vinyle en fin de course ronronnant sans fin sur une platine d'argent. Mais mais ? des pas furtifs dans la nuit ! rejetons-nous vivement dans l'ombre pour prendre la mesure de la suite des événements. Une forme sombre surgit peu à peu de l'obscurité des taillis. Ah ! ouf ! c'est ce bon vieux Renaud ! 

Ce bon vieux Renaud semble lui-aussi faire preuve de prudence, s'avise à droite, s'avise à gauche, avant de s'engager de par la baie vitrée. Et que fait-il maintenant, je vous le donne en mille : il passe la serpillière ! A cette heure-ci, c'est très curieux en effet. Nan c'est pas ça. En fait, à y regarder de plus près, il semble plutôt ramasser une serpillière. Une serpillière nommée moi. Ouais. En fait vous m'avez pas vu dans la pièce déserte cependant les spots de lumière dansant seuls, vous m'avez pas vu, tâche sombre et forme inerte jetée sur le parquet. Et qu'est-ce que j'y fais, par terre ? ben euh je viens de me faire casser la gueule. Je le sais pas encore mais l'addition va être lourde. Croyez pas que je pleurniche, on est au moins deux à savoir que j'y suis pas pour rien. Les deux, c'est le chef des loulous et moi. 

Les loulous c'est les gars qui se sont invités à dix ou douze en cette soirée bourgeoise privée, affichant d'emblée leur intention d'en découdre. Quoique nous, les bons, soyons sans doute trois fois plus nombreux qu'eux, personne n'a organisé de bouter hors des bois les menaçants intrus ; et chacun se tient à carreau ; et jusqu'à présent les provocations restent sans réponse.

Bah, ces gars-là peuvent toujours me compter dessus pour leur faciliter la tâche. Comme le disco se traîne et qu'ils s'impatientent, ils font mine de s'en prendre à un plus petit que moi. Plus petit ou plus grand, faut croire que ça me démangeait, que j'attendais que ça, et hop ! Et hop je bondis au milieu. Un entrechat dont j'eus pu avantagement me passer. Si j'aurais su mec, j'eus réfréné mon enthousiame.

Amateur ! Moi qui me suis jamais cogné autrement que gentiment avec Frérot, bien inspiré de sauter pieds joints dans la fosse aux lions. Certes dans mon élan je bloque le direct que le méchant en chef m'adresse en pleine face, et immédiatement après c'est fini ! Bloquer un poing c'est bien beau mais en bon novice j'ai pas trop songé au coup de boule souplement enchaîné.

Après, toute la bande peut bien se casser les croquenots sur mes côtes roulées sur le sol, je sens plus rien. Et puis, faute d'opposition sans doute ils abrègent, d'autant qu'hormis moi à terre y' a plus grand monde dans le coin. Par les fenêtres, les baies vitrées, les issues secrètes dérobées, les bons se sont éparpillés comme un vol de moineaux désunis aux premiers cris. Je sais qu'avant de m'écrouler j'ai crié Hélène ! Hélène ! pour qu'elle revienne. Hélène, mon flirt du moment. Je crois qu'elle m'a pas entendu. Maintenant y' a plus qu'une serpillière et un disque qui tourne à vide. Tout petit tout petit la planète. Dégoûtés, démotivés, les loulous se replient en conseil de bière dans les bois. 

Est-ce lié à son prénom chevaleresque ? Voici ce bon vieux Renaud courageusement de retour sur les lieux désertés du drame, et il me redresse et m'embarque dans sa caisse cap hôpital. Traversée des bois. Les phares de la R5 taillent laborieusement entre les balèzes mélèzes et découvrent soudain la bande de méchants regroupée quinze mètres devant sur le sentier. Plutôt que perdre les pédales et foncer droit dans le tas, Renaud descend et tente de parlementer. Moi aussi je descends. Renaud me désigne : Vous voyez dans quel état il est ?! ça va pour ce soir non ? Les gars hésitent mais pas moi. A vrai dire j'ai pas de mal à y voir rouge. D'une part ma tête irradie et pas de douceur. D'une autre j'ai du sang plein le visage. J'ai aussi une bouteille en verre de coca à la main, tessons potentiels dressés en avant vers les méchants. Et quoi ? z'en voulez ?! au goulot les mecs ! C'est vrai c'est pas très réaliste comme position mais j'ai un peu dépassé ce genre de considérations, et d'ailleurs les loulous le comprennent parfaitement puisqu'ils décident de s'écarter. 

Palpitante aventure pas vrai ?! Bon, tout le monde a bien fait son boulot là-dedans, les méchants, les fuyards et leurs avisés conseils postérieurs Faut porter plainte ! Et moi bien sûr dans le rôle du gros malin qu'a très probablement trouvé ce qu'il cherchait. Bravo tout le monde. Et alors quoi ? 

Alors l'addition. Lèvres éclatées, côtes même pas fêlées : passent encore. Plus difficile à encaisser : nez cassé, incisives supérieures pétées. Dégâts durables pouvez m'en croire, toujours en plein dedans 40 ans plus tard, soins dentaires incessants et cloison nasale déviée, super commode pour respirer tout court et chanter entre autres. Ben merde, si c'est pas injuste, si on peut pas se castagner tranquilles, pour un simple œuf au beurre noir et quelques sarcasmes. Là ça fait cher la bagarre sans autre banal motif qu'enfin un peu d'amour..

Et puis : Une sensation de virginité perdue, d'intégrité brisée. Qu'on soit signes  perdus et lignes brisées, on le savait mais ça fait drôle quand ça arrive. Et aussi une grande stupéfaction de l'irrémédiable : la perte. la rivière sans retour. On ne va pas en arrière, et ça alors, la vie n'est pas un grand jeu illimité et gratuit. Maintenant j’avais le plus grand mal à respirer et j'avais un corps étranger pour toujours dans la bouche, maintenant c'était plus pareil.

Maintenant rien n'était dans rien mais, plus réjouissant, je commençais à soupçonner que tout était dans tout.  

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Ancolies

25-12-2017

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Z'étaient chouettes les boums de bord de mer appartient au recueil La petite souris

 

Tranche de Vie terminée ! Merci à Ancolies.

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