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Mauvaise humeur toi-même - Texte

Texte "Mauvaise humeur toi-même" est un texte mis en ligne par "Ancolies"..

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Mauvaise humeur toi-même

 

 

Ce gars-là vient de me foutre de mauvais poil. Ce gars-là est un vieillard mais c'est pas ça qui va m'empêcher de lui rentrer dans le lard. D'ailleurs c'est pas un vieillard, c'est un médecin retraité, également propriétaire de la mini chambrette toulousaine où j'aurai vécu deux années 2003 / 2004 d’émouvantes et splendides aventures. Splendides grâce à moi, pas grâce à cet abruti. Splendides grâce à ma grâce de vivre dont je suis le seul et unique dictateur. Et ce gars-là, imbécile, petit et malhonnête, ce docteur malade voudrait me donner l'heure ?! Ce gars-là rêve et va s'en prendre une bonne. Fallait pas commencer abruti.

 

Tant qu'on y est, laissez-moi vous présenter cet endroit, cette chambrette. Un palace pour étudiant, 9 m2 à tout casser que j'ai récupérés par pot quand j'étais à 3 jours près à la rue. Au bon téléphone au bon moment, je fais main basse sur la place. Z'avez compris que c'est pas Buckingham. Peu spacieux, carrément dégueu, et bourré à craquer de mobilier et d'objets puants et inanimés que l'ex locataire a tout bonnement plantés là. Certes je pourrais tout fourrer dans l'escalier mais vu qu'il m'arrive d'être stupidement scrupuleux, je rapporte tout à vingt bornes en banlieue, dans le garage des parents du disparu. C'est pas de la tarte à partir de cette petite rue étroite et sans trottoirs du centre ville, où il est impossible de laisser sa voiture en veilleuse même trois petites minutes. Pour cette raison je fais tous les déménagements de nuit, échelonnés sur deux bonnes semaines. Dans le même temps j'entreprends de donner un coup de blanc à l'endroit, ce qui me permet de réaliser la prodigieuse découverte suivante : plus c'est petit, moins c'est commode. Ben ouais, quand tu repeins une pièce sans aire de dégagement pour les saloperies qui l'encombrent, c'est plutôt laborieux. Mais bon, une chose après l'autre, patience, humour et limonade comme dit notre devise, et peu à peu ça se repeint et se vide. De temps à autre je reprends mon souffle me penchant à l'unique fenêtre, humant l'urine des chats maîtres de la minuscule courette et faisant gaffe de ne pas heurter mon crâne et mon enthousiasme au mur d'en face sis à environ soixante-quinze centimètres.

 

Question déménagement, j'ai gardé le meilleur pour la fin, un gigantesque aquarium que je vais pas pouvoir manipuler seul. C'est que le locataire précédent nourrit c'est clair une passion sincère pour l'espèce animale aquatique : les chiottes sur le palier sont tapissés de posters éducatifs relatifs, et j'ai déjà viré dans la semaine un autre énorme aquarium. Cette première bestiole présentait au moins deux avantages : ne mesurer que quatre-vingt malheureux centimètres et être vide. Le second, le mastard - au moins un mètre vingt - est certes vide de poiscaille mais pas d'une flotte verte et grise grimpant jusqu'au quasi ras-bord, ainsi que d'un cauchemar d'algues et goémons discutant le bout de gras huileux. Et ça pue sérieux, ainsi que je m'en suis aperçu dès la première seconde où j'ai pénétré en le lieu. Bon, comme j'ai dit, une chose à la fois et les meilleures pour la fin. La fin on y est. J'ai tout repeint et tout débarrassé le palace, sauf cet infâme machin. Bon ! aux grands maux les grands remèdes : je recrute un jeune étudiant qui, moyennant quelques euros, passera m’aider tout à l’heure à porter et dégager le mastodonte de verre. Là tout de suite, c'est l'instant fétide de le vider. Puiser l'eau d'une casserole tenue en main droite, verser dans un seau porté en main gauche, et quand le seau est plein, l’aller vider aux chiottes en évitant d'en foutre partout durant le transport. Facile. Las ! Ce que Frère Ingénieur a pas prévu, c'est qu'aussitôt qu'il remue les sombres eaux, l'odeur déjà pas ragoûtante explose littéralement et monte aux cieux illico. Et comme Frère Artisan toujours finaud a cru bon de repeindre directement sur le papier peint afin de s'épargner peine et lumbagos, et que le dit papier peint repeint en est encore tout frais et humide, eh bien l'épouvantable odeur va directement se profondément plaquer dessus. Gros Jean comme devant, Frère Pas Faraud a plus qu'à tout arracher et recommencer. Bon, maintenant que la pièce est vide, ça va quand même nettement plus vite, tandis que Frère Jouisseur s'émerveille une nouvelle fois de tout ce folklore de vivre. Après je suspends aux murs tout neufs mes petits cadres intimes, accueille Fiston en un lieu maintenant chaleureusement sympathique, dors sur le même matelas déplié que lui, juge enfin qu'il est temps de chanter et aimer à nouveau et m'y solitairement emploie.

 

Bien. Deux années viennent de passer en un clin d'œil et maintenant je quitte les lieux, mon congé donné en bonne et due forme au sale proprio présenté en début de chapitre. C’est ça, lui, le gars qui vient de me foutre de mauvais poil. Oui, voici que je suis brutalement saisi de cette étrange affliction - propre aux humains ? - qu'ils appellent mauvaise humeur. C'est que je viens juste de comprendre que le vieux doc, cette damnée face de rat, jouait au chat et à la souris avec moi, la jouant un peu distrait, un peu Alzheimer, tout ça pour retarder au maximum la restitution de ma caution. J'ai que ça à faire, pensez ! Pourtant j'aurais du le savoir, de la part de ce gros pas malin-là, ce vil rapiat.

 

Rapiat, tu parles ! Quand l'eau dégouline des plafonds, glisse à 2 millimètres des couloirs électriques et fait gonfler au passage la porte d'entrée qu'on peut donc plus ouvrir ni fermer, ce gars-là envoie son homme de peine et au noir pour raboter la-dite porte. Et voilà ! Et euh, docteur, pour les infiltrations d'eau, les courts-circuits, les incendies ? Quoi les incendies ? ahèmhèm    mon dieu j'ai une faiblesse ! Et tout ça pour quoi ? L'est propriétaire de tout l'immeuble, d'autres peut-être, ainsi que de sa grosse baraque résidentielle, d'une poignée de résidences secondaires qui sait. Et vient faire chier pour une poignée d'euros. Y' a pas de petits profits je sais mais je m'y ferai jamais. N'empêche, c'est pas dans mon programme de me laisser polluer par les pauvres sottises d'un riche propriétaire, et surtout de traîner des heures dans les affres de la mauvaise humeur. Niet, pas de ça Lisette ! J'attrape mon téléphone.

 

Allô Docteur ? Remis de votre attaque de l'après-midi qui vous vîtes me poser un nouveau lapin ?... Nan ?! Toujours souffrant ! Navrant, vraiment navrant, n’empêche que je veux ma caution immédiatement… Nan vous pouvez pas en placer une, vous êtes de mauvaise foi. Ce que vous pouvez : sortir votre chéquier et une enveloppe, noter ma nouvelle adresse et poster fissa... Nan ! je crois que vous n’entendez pas ce qu'on vous dit : que je sais comme je vous l’ai déjà dit que vous avez indûment touché dix mois d'aide au logement du négligent locataire précédent et que ceci n'est pas mon affaire, tant que vous faîtes pas chier. Et tant que j’y suis vous mourrez d’envie j’en suis sûr qu’outre la CAF, j’informe les services d’hygiène et sécurité de la mairie que vous louez des studettes pas aux normes électriques et dangereuses ?…! Ouais, c'est ça, prenez un crayon, notez et postez ! code postal 31500. Salut.

 

Même les petits hommes jaunes y mettent du leur, j'ai l'impressionnant chèque le lendemain. Pas mal pour un looser d’origine. A part ça, si vous vous le demandez, j'aurais certes pas appelé les services précités mais bien entendu rendu une visite détendue mais déterminée chez le dur d'oreille à l'heure du souper. Je l'ai bien fait chez des tarés et des dangereux de la pub aux époques où j'avais encore peur, alors maintenant et chez un simple schnock retraité, pensez !

 

Savez quoi ? tricard j'ai déjà donné et m'en suis pas particulièrement plus mal porté. Sans blague, un de mes derniers et puissants patrons de pub me l'a dit dans son bureau : Voilà, à dater d'aujourd'hui t'es tricard ! A ses yeux ça semblait devoir déchiqueter mon cœur, mon univers et mon avenir, aussi grave que s'il m'annonçait que ma compagne était morte d’un coup de soleil en plein tournage de stupides spots Contrex à Miami. Et toi t'es complaisant ! j'ai sobrement répondu avant de claquer sa porte. Après, d'un jet d'un seul j'ai écrit mon grand tube philosophique Royal Air Foutre. Tricard à leurs conneries, elle est où la mauvaise nouvelle ?

 

Et elle est où la mauvaise humeur ? justement elle est pas là, elle est sortie on sait pas quand elle va rentrer, et ni même si elle va plus rentrer, elle est pffttt... dégagée ! Bien sûr dégagée, le bref coup de fil à Vieux Schnock a suffi, mais l'intéressant c'est avant.

 

Avant. A l'instant où je comprends subitement son petit jeu au rapiat, et qu’alors une étonnante moutarde doublée d'un surprenant énervement me gagnent. Etonnant, surprenant ? Eh ouais car c'est comme respirer subitement une bouffée d'un parfum du passé, comme éprouver soudainement sous sa peau le picotement d'un vieux sentiment familier qu'on aurait depuis longtemps oublié. En l'occurrence cette fameuse mauvaise humeur. Ça, pour une surprise ! Tiens c'est toi ?! ça alors ! où t'étais passée toutes ces années ?

 

Car du coup je m'aperçois que ça fait plusieurs années que je l'ai pas été, de mauvaise humeur. Je m'aperçois que la mauvaise humeur j'ai arrêté. Sevré, désintoxiqué. Heureuse découverte, s'aviser qu'on a dépassé un bon vieux truc bien merdique, s'aviser qu'on en est plus là et qu'on en est plus fort et plus riche. Franchement, vous vous doutiez de rien et vous découvrez soudain que vous avez le pouvoir de ne plus faire la tronche, ne plus vous faire bouillir le sang noir, ne plus vous ronger et vous étouffer tout seul, ne plus prendre les déficiences diverses et variées du pauvre monde pour et contre vous. Cool ! forcément vous vous dîtes. Et maintenant que vous êtes au courant, croyez-moi que vous êtes pas prêt de laisser filer le filon, et même bien décidé nom d'un chien à exploiter le dernier sillon jusque sa dernière veine.

 

C'est la raison pour laquelle mes routes sont argentées et marbrées de galène, sont jetées d'éclats bleus entre les rangées de pylônes d'oubli et d'électricité, entre les réverbères de peine et de sincérité. 

 

Ps : Retrouver un sentiment familier un peu négligé, un peu oublié. Me fait penser à l’une de mes premières chansons. Tiens voilà du chagrin, tiens tiens tiens, c'est du chagrin, salut, comment ça va, c'est drôle de se revoir, chagrin. C'était pour la chanteuse du réel et de l'impossible (20 pts). La dame a jugé ça faiblard. La dame avait sans doute raison. Une chose est sûre, c'était frais.

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Ancolies

27-11-2017

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Mauvaise humeur toi-même appartient au recueil Nouvelles d'une vie

 

Texte terminé ! Merci à Ancolies.

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