Lili la chatte - Tranche de Vie

Lili la chatte

De plus en plus cinglée celle-là. Déjà elle a jamais pu me sacquer et ça va pas s'arrangeant. Manifestement elle est pas du tout disposée à me laisser accéder à la table de la cuisine où j'ai pour projet de m'installer et travailler. Mais c'est pas Lili la Chatte qui va faire la loi même à 4 h du mat. Alors c'est la confrontation brutale - mais néanmoins silencieuse les deux adversaires ayant à cœur de ne pas réveiller les deux âmes féminines qui roupillent à deux pas, soit ma compagne et sa fille. Armé et protégé d'une chaise, je parviens à faire dégager la chatte brûlante par la fenêtre où elle détale sur les toits. Bon débarras. N'empêche la supériorité naturelle a eu chaud.

œuvre du pinceau de ma compagne, la table de bois présente un beau bleu lazuré. J'y cherche l'image et la phrase qui viendront conclure magnifiquement un texte de chanson. Je cherche un truc qui claque, qu'emporte, un truc puissant. L'important c'est le soleil s'appelle la chanson. Là je bosse sur le couplet final, déroulé sur des roulements de batterie tandis que les chœurs scandent Déclipse, clipse, clipse ! Déclipse, clipse, clipse !… (l'inverse d'éclipse voyez). Et voici les paroles à achever :

vivant mon père, vivant ma mère

vivant un frère quelque part en moi-même,

vivant l'égalité dans tous les cimetières

et vivante mon envie d'aspirer encore un peu d'air,

clarté d'été, lumière d'hiver…

Bon, il en manque une, de phrase, une dernière, avec éventuellement une rime en r (mais seulement si elle est bonne, la rime ennemie de l'idée, comme chacun sait). Il en manque une, z'auriez pas une idée ? Ah attendez, voilà, je crois que je l'ai.

Et vivante la liberté que je laisserai sur la terre

Et vivante la liberté que je laisserai sur la terre ?

Nan, je peux pas faire ça, je me dis me grattant l'avant-bras en caleçon tee-shirt dans la cuisine boréale, tandis que d'imperceptibles grattements me suggèrent que l'imprévisible Lili mijote peut-être bien une chiée revanche. Gonflées toutes les deux. Normal pour la chatte cinglée, mais ta phrase-là, faut quand même pas exagérer ! Pas charrier, dirait ma mère.

Et vivante la liberté que je laisserai sur la terre ?

Et pis quoi encore ? Tu pousserais pas le tire-bouchon un peu loin des fois mec ! Cependant, même tapissés de batteries de casseroles et d'ustensiles de cuisine, les murs muets autour de moi n'offrent aucune indication, et force m'est de prendre une décision seul face à mon dilemme. Et merde ! je finis par me répondre, l'art c'est l'art pas vrai ?! alors fais ton boulot ! Ok ok, je mets les pouces et je m'admets. Alors alors je laisse ma phrase s'assumer toute seule et retourne me pieuter, d'autant que de féroces et sourds miaulements rapprochés semblent indiquer qu'un vilain matou est pas loin de me sauter au cou toutes griffes dehors.

L'art c'est l'art. L'art sert à deviner, à exprimer et alors à comprendre et accepter. Je regrette pas ma phrase gonflée. Même, l'avoir produite me permet de l'éprouver et c'est tant mieux pour moi et nous. Même si je l'avoue je suis depuis quelque temps la proie des épouvantables tourments du découragement, de la vacuité et du doute.

Quant à Lili la Chatte, ben il a fallu peu de temps après la faire piquer. J'ai eu l'impression que c'était un peu ma faute. Que mon intrusion récente dans la vie de ma compagne, sa maîtresse, et la sienne avait comme qui dirait boosté sa peine et sa fièvre. Après, je lui ai offerte, à ma compagne, pas à Lili, une petite figurine de chatte en cuir, même si forcément ça pouvait pas être pareil.