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Les ombres - Histoire Courte

Histoire Courte "Les ombres" est une histoire courte mise en ligne par "FuturTibetain"..

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Les ombres

        Aujourd’hui j’ai vu des ombres partout. Non, pas celles auxquelles vous pensez, mais les vraies ombres. Cela avait commencé quand j’observais du coin de l’oeil ce couple de passage assis dans le café où j’avais l’habitude de venir. Pendant qu’elle lui déversait un flot de paroles discontinue, lui semblait ne pas vraiment écouter et regarder dans le vide. Plus exactement il regardait comme à travers elle, à vrai dire il semblait moins absent qu’absorbé par quelque chose qu’on ne voyait pas, un peu derrière elle, un peu au-dessus. Et quand à la fin de sa tirade interminable dont le contenu m’avait totalement échappé, elle se leva exaspérée et commença à lui tourner le dos, il un sursaut très bizarre, comme s’il essayait de retenir l’ombre de sa compagne plus qu’elle-même, puis se rassit sur son siège comme un ballon de baudruche retombe au sol, et sembla ensuite regarder au loin de manière apathique sa propre ombre qui l’abandonnait à son tour dans une autre direction. Cette scène, bien qu’étant d’une banalité à pleurer, m’avait laissé songeur par la densité de son atmosphère mystérieuse et ramifiée, comme si de multiples acteurs y avait participé sans que je ne puisse jamais les apercevoir.


        Marchant ensuite dans les ruelles en bas des remparts, je passais devant un groupe d’enfants qui jouaient ensemble, enfin si on peut appeler ça jouer tellement ils étaient agités. Je suis sans cesse étonné de voir à quel point les forces de la cruauté et de la méchanceté peuvent dans ce cas-là s’exprimer en eux sans filtre et sans vergogne. « Si tu refais ça, je te fais bouffer du sable jusqu’à t’étouffer ! ». « Alors ça, ça m’étonnerait ! De toute façon, moi je vais te balancer du haut des remparts, tu vas voir ! ». Bien qu‘étant guère convaincu par ce que j’avais entendu et par la sincérité de leurs menaces mutuelles, je leur jetai au passage un regard appuyé et sévère, histoire de leur rappeler que leur univers n’étais pas en vase clos à l’écart de toute loi, et que le monde des adultes les surveillait. Mais ils n’ont pas eu l’air s’en soucier, ou plutôt ils ont eu l’air à ce moment d’être interpelé par quelque chose d’autre, quelque chose que je ne vis pas tout de suite. Pendant un instant, je cru voir leur ombres respectives, non pas descendre plus ou moins vers le bas à côté d ’eux, comme tout bonne loi de la physique qui se respecte pourrait le suggérer, mais monter au dessus d’eux comme un immense parasol de noirceur couvrant chacun d’eux, et restant de plus étonnement statique alors qu’en même temps les enfants se contorsionnaient dans tous les sens. Mais j’ai probablement du rêver, car après m’être frotté les yeux, tout me semblait être redevenu normal dans cette scène quotidienne, et je remarquais alors de multiples jeux de poteaux, créneaux et meurtrières enchevêtrés les uns avec les autres, qui avaient sans doute créé une illusion d’optique, et un jeu d’ombres et de lumières que je venais d’interpréter un peu trop à la hâte. Du moins pour le moment je n’avais pas d’autres explications à me fournir...


        Mais la dernière ombre fut la plus saisissante. Au détour de ce grand recoin des remparts, celui qui donne sur une tour et cette grande terrasse dominant l’océan, j’entend cette ombre d’enfant qui s’échappe. Je ne vois plus que le bruit de son rire qui se confond avec le fracas des vagues en contrebas. L’ombre se faufile et disparait derrière un escalier, tandis que son rire lumineux résonne entre les pierres : « Ah, ah, ah ! Attrapes-moi si tu peux ». Cela m’intrigue et m’amuse, je m’avance, j’accélère le pas. Je n’avais pas remarqué qu’il était déjà si tard. Le soleil plonge vers l’horizon dans un grand silence, coloré uniquement par quelques aspirations d’ailes de goélands en déroute. L’ombre de l’enfant continue à zigzaguer et son rire s’évanouie en échos multiples s’amplifiant de toutes parts. Je n’avais pas vu que la nuit tombait aussi vite. L’obscurité devient assourdissante. Je cours maintenant et tente de rattraper le petit farceur. Je ne vois que les ombres fuyantes de ses pieds ou ses mains, impossible d’en savoir plus. Son ombre grave poursuit sans cesse sa silhouette aigüe et filante. Je dévale un dernier escalier aux marches d’un gris multicolore, et soudain je rattrape le souffle de l’ombre que je poursuis. Et là, stupéfaction...


        L’ombre de l’enfant que je poursuivais n’étais qu’une ombre seule. Il n’y avait pas d’enfant. Il n’y avait jamais eu d’enfant. Seule cette ombre qui l’imitait parfaitement, mais n’en étais pas un. A présent je recollais toutes les pièces du puzzle, toutes les autres ombres que j’avais vu dans la journée étaient elles aussi comme des choses vivantes et indépendantes des êtres auxquels on suppose qu’elles sont rattachées, mais ce que j’avais vu aujourd’hui prouvait le contraire. « Qui es tu ? » bafouillai-je ? « Qui êtes-vous ? ». Le rire irréel qui suivit me glaça le sang, car il semblait provenir de tous les recoins de la terre en même temps, sauf de l’enfant-ombre que j’observais, et qui pour une fois, semblait sérieux. « Peut-être devrais-tu demander qui vous êtes vous-même. Car si nous sommes le prolongement et la mémoire de certains d’entres vous, sachez qu’en général vous n’êtes vous-même que des ombres de vos ombres. Les marionnettes de vos ombres. Les serviteurs de vos ombres. Vous croyez choisir votre vie, décider de votre destin, avancer avec votre propre force ou votre propre volonté. Mais seules vos ombres décident de tout cela et dirigent vos pas. Vous n’êtes que des reflets colorés dans un miroir que vous croyez inerte, mais le miroir vous souffle votre histoire, votre commencement et votre fin. Vous êtes la partie théâtrale et cinématographique de notre vie profonde. Vous êtes le récit et la mise en scène d’une histoire qui est déjà écrite par nous. Vous êtes un résumé, rapide et brouillon, de nos vies intemporelles. »


        « Mais toi finalement qui es-tu ? ». « Et bien, pour commencer, sache simplement qu’autrefois je fus si coloré que j’étais l’ami de tous les oiseaux, le fils du soleil et confident de la lune et de ses peines. A présent je ne suis plus qu’une ombre perdue, et aujourd’hui est mon dernier jour, je ris et je pleure, et je m’en vais me diluer au fond des océans, car l’enfant auquel j’étais lié est mort depuis longtemps. Adieu mon ami ». Et le voyant s’enfoncer pour toujours dans le flots rugissants, je lui criais : « Tu ne m’as pas dit qui tu étais vraiment ! ». Il se retourna le temps d’une courte éternité, et me dis sans bruit : « Tu le sais depuis le début. Je suis ton ombre, et je m’en vais car cela fais longtemps que tu n’existe plus ».

        Dans la cité des corsaires, une légende raconte qu’on aurait vu un homme courir après une ombre, après un rire, après un enfant. L’instant d’après plus rien. Seules d’immenses vagues s’écrasaient en silence sur les rochers.

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FuturTibetain

03-06-2021

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Les ombres n'appartient à aucun recueil

 

Histoire Courte terminée ! Merci à FuturTibetain.

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