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Le Pont de la Rivière Pleure - Tranche de Vie

Tranche de Vie "Le Pont de la Rivière Pleure" est une tranche de vie mise en ligne par "Ancolies"..

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 Le Pont de la Rivière Pleure live au Gibus

Le Pont de la Rivière Pleure, késako ? Bah, rien que le nom d'un groupe rock de plus, à Paris 20 ème arrondissement, fin du 20ème siècle. Une petite singularité quand même : ce groupe c'est le mien. Bizarre comme nom ? Mais qui sait si c'est le pont ou la rivière qui pleure ? Ou vous peut-être ? Et puis quoi : il est pas beau mon logo ?

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Et le Gibus, késako bis ? Une salle de concert place de la république, toujours à Paris, le temple des purs et durs du real punk et du no future. Les groupes français y avaient pas la cote, ou devaient chèrement la gagner. En plus que moi, groupe français, je chantais en pur Victor Hugo et parfois parfaits alexandrins. Stéphane le manager, qu'avait trouvé le concert, en pétochait d'avance au bar s'agrippant à une enfilade de whiskies : Ils vont se faire massacrer, c'est ma faute, je peux pas voir ça. Moi ça m'avait chauffé, ça et le reste, alors j'ai attaqué. Sans le savoir j'ai du mordre tout le monde ou à peu près.

 

L'avait fallu se pointer tôt pour apporter et installer le matos. Il pleuvait fort sur nos lentes routes. C'était la folie, un vendredi après-midi parisien typique, surchargé en embouteillages totalement désespérants pour ne pas dire parfaitement schizophréniques. Le même soir le célèbre groupe anglais Cure donnait un concert gratuit sur la même place de la république. Nous c'était sous la place qu'on devait jouer, underground. Sous-Cure en quelque sorte. Moi j'étais sous-Robert Smith. A 17 h, déjà archi exaspérés, on s'est enfin extirpés du merdier pluie/bagnoles pour rejoindre le club avec amplis et batterie. On a installé en se bagarrant pour la balance avec un groupe heavy metal qui devait jouer après nous. Puis on s'est retrouvés dehors, il pleuvait toujours, y' avait ce monde fou partout, fallait pas envisager de retourner chez nous avant de revenir pour le concert, même s'il était même pas 18 h et qu'on était supposés jouer vers 1 h du mat. Alors on a commencé par l'apéro qu'on a fait un max traîner. Après on a dîné dans un restau. A l'instant des îles flottantes/café, j'ai glissé dehors en faisant passer le message à Stéphane : A + au club.

 

Dehors c'était encore et toujours la folie, le carnaval de la folie urbaine dans l'obscurité sous la pluie, les gens qui fonçaient vers le week-end en zigzaguant comme des fourmis-fusées entre dix mille voitures arrêtées, crachant folles de rage et d'impuissance leurs poumons de carbures et d'acier, et tous les freaks de la ville qui rappliquaient pour Cure, et partout un tourbillon de mouvement et de boucan fermement arrimé sur place. Dans un éclair de lucidité, je me suis rappelé que mon pote Alain rédacteur de pub habitait pas loin. Bon j'ai donc surfé jusque chez mon pote, suis tombé en plein grand dîner publicitaire dont je connaissais intimement plusieurs convives, ai partagé boutades et civilités. Un moment j'ai jeté un œil à l'horloge murale : minuit et quart. Action. D'abord, me doucher les idées dans la salle de bain, puis saluer la compagnie et rejoindre le Gibus. Sur la place, Cure en finissait, laissant les cœurs et les cieux à la fois sombres et bigarrés. A l'entrée du club j'ai bousculé les deux cerbères qui avaient, le croyez-vous, l'outrecuidance de s'interposer : C'est moi le chanteur, place marauds ! Me suis rué sur la scène, ai craché, hurlé mon morceau Dolores. Elle dit pourquouaaa c'est triste la tierraaaaa ! Ça, pour pogotter ça a pogotté, tandis que Stéphane s'écroulait et se détendait. A la fin de la prestation, on s'est faits à nouveau bien bousculer par l'effrayant groupe gothique jouant après nous, et qu'avait manifestement à cœur de prouver qu'il pouvait beugler encore plus punk, plus fort et plus faux que nous.   

 

Finalement sains et saufs, on dégage le matos. Des potes venus au concert nous aident, puis on décide d'aller tous dîner. Z'avez pas déjà mangé ? remarquez-vous. Si mais c'était avant. On s'offre donc des côtes de bœuf saignées de beaujolais à 4 h du mat. Quand je décide en ma ford intérieure de mettre les bouts, la chérie du bassiste décrète unilatéralement que je vais la reconduire chez elle, à l'autre bout de la plus belle capitale du monde. Au troisième feu rouge, elle saute de la caisse et s'envole en riant comme une âme décapitée, tordant sans y prêter attention ses longues chevilles graciles sur le macadam.

 

A 8 h pile je me réveille dans mon lit. Quel fleuve est-il, quelle vallée est-elle ? m'interroge-je illico. Waoh surtout pense à rien ! m'enjoins-je tout aussi illico. Piscine, tout de suite piscine ! Après quarante-cinq minutes enfoui rigoureusement immobile sous l'eau, je me décide à rejoindre la surface, un hypothétique rayon de soleil, les grands territoires de la peur et de l'espoir, ainsi qu'une bonne dose de café. Et bien entendu mes océans de silence stupéfié et de mâchoires butées.

 

Le soir le groupe a rendez-vous pour écouter l'enregistrement du concert. Quoique chacun affiche un air bonhomme et dégagé, un léger embarras règne. A l'exception peut-être de Paul le guitariste martien qu'a jamais besoin de rien, aucun de nous n'a un souvenir bien clair des événements de la veille et appréhende en son intimité ce qu'on va entendre.

 

Bah, en fait c'est pas si mal, et même, malgré le son pourri, peut-être le meilleur concert de notre carrière grandiose, brève et magnifique. Ça prouve au moins qu'on possède notre sujet et qu'on a la pêche.

 

La réconfortante audition achevée, personne n'est cependant très chaud  pour remettre le rock'n'roll sur la table et dîner (encore !) ensemble. Ouf ! Même si c'est tout le temps pareil, des fois la vie c'est pas supportable tellement c'est riquiqui. 

 

 

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Ancolies

24-02-2018

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Le Pont de la Rivière Pleure appartient au recueil Nouvelles d'une vie

 

Tranche de Vie terminée ! Merci à Ancolies.

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