Le beau vélo de Ravel - Tranche de Vie

Le beau vélo de ravel

( images d'enfance )

Avenue des Ternes, Paris, 17^ème arrondissement et seconde partie du 20^ème siècle : Raoul et André, (chausseurs), Prisunic et ses marques Kilt et Forza, d'autres chausseurs, un ciné et Jacques Tati, l'église St Ferdinand, la librairie Aux 4 vents, des restos et des brasseries. Sur le large trottoir en face, la Librairie 36, des banques, des boutiques de lampadaires et d'optique, les Magasins Réunis. Pas loin, Saveco, supérette pour savoir économiser, rue Rennequin. A 2 pas, le marché Lebon et la poste Bayen, et à 4 pas, avenue de Wagram, une salle de billard français avec en mezzanine un espace dédié aux joueurs d’échecs. Aussi, un peu plus haut sur l’avenue de Wagram, la Fnac 1^ère génération et différentes boutiques de cadeaux.

Jamais seul dans la ville.

Et des affiches, des spots télé, des arrière-courts de tennis, des choix culturels : Spring-Court, Donnay et Wilson, Pathé Marconi et La voix de son maître, Wonder Woman quand on s'en sert, Me regarde pas comme ça j'ai avalé de travers. Rosemary's baby et Love story. Tom Sawyer et Huckelberry Finn. Mon amie Flicka et L'étalon noir. L'instant sans réponse, le boulevard des ennuis, la boutique des c'est pas fini, le 105 de la rue st-glinglin. Des œufs cocottes dans des ramequins. 813 d'Arsène Lupin. Le locataire du 21 de la rue Backer (9 pts). Le bracelet de vermeil (11 pts), la mer cruelle (13 pts), Les faux-monnayeurs (6 pts), Le retour de l'étalon noir (9 pts), La famille Boussardel (14, pts).

Côté lessive, le baril Dash, le déjà vieux cadeau Bonux.

Les matins de week-end, les croissants au beurre d'une boulangerie géniale, les Armes de Niel, et le soir, plus haut sur l'avenue, les menus provinciaux d'un resto anachronique, le Maréchal Niel. Un poteau à Napo on suppose. Puis, en retournant sur vos pas et empruntant la 1^ère à droite, le définitif manque de gaieté, de lumière et d'humour de la rue Pierre Demours, son cinéma inachevé, son ours et sa poupée, son samouraï tristement brisé. Côté bordel, dans le même arrondissement mais 2 bons kms plus loin, les sens interdits de la rue de Chazelles. Retour frustré avenue des Ternes, et là, toujours antivolé aux grilles vertes d'un arbre urbain, le beau vélo de Ravel.

Quoi d'autre ? La symphonie du nouveau monstre, les maraîchers de l'empereur, l'épineux cas du capitaine Tracasse, les honoraires de Balzac, Eugénie qui grandit. Tout ça. La belle chérie de nos nymphes : la fontaine Bellerie. Le gars Marot incontinent bien étonné. Le gars Roland qui dit et déracine (un chêne, carrément). Les embarras de Boileau, Venise la rouge, Comment être un chat persan ?

Paul Féval, Le petit parisien. Si tu ne vas pas à Arnaud Lagardère.
Louis le Onzième et Charles le Téméraire. Jean Marais et le miracle des loups.

Les prisons douces. Sa majesté des mouches qui cogne à la vitre. La lampe-torche aux piles usées sous les piles de draps sages et rayés et même pas tachés. Bibliothèque rose : Oui-Oui, Le club des 5, Enid Blyton. Bibliothèque verte : Le clan des 7 (toujours Enid Blyton), Paul-Louis Bonzon. Autres collections : Le mouron rouge, Le chevalier de maison-rouge, Les couteaux super pratiques du pauvre robinson suisse. Bibliothèque personnelle : Le clan tout seul, Les scouts toujours tu m'intéresses, Les crampes à l'ennui et à la messe. Pas trop Michel Vaillant, pas trop Ric Hochet, à peine Les cigales du pharaon. Par contre, Chevalier Ardent, vachement !

A la télé Sheila & Sacha. A l'heure de la sortie, toute la pluie tombe sur moi. Flipper, dauphin de Floride. Skippy, kangourou australien (regardez tous avec nous). Rintintin et Rustine. Saturnin, canard satirique un peu vantard. Thierry la Fronde et de Janville, qui en a une en matière plastique, qu'il a achetée avenue des Ternes au Prisunic, pour 100 balles, c'est pas mal, pour 100 francs, c'est charmant.

Génériques suite : Les chevaliers du ciel, on dit que les corsaires, dans un bruit de tonnerre, seront pendus bien haut, à 2 pas du soleil, mais moi qui suis corsaire, vont chercher la lumière, je sais bien que c'est faux.

Notez que je nous épargne Zorro.

Les osselets, les collecs d'auto-collants. Les garçons de l'île aux renards, les silences de l'oncle Gérard, la chambre fermée de cousine Dorothée, les étoiles filantes de l'été.

Toujours sous l'hiver des draps La revanche de l'étalon noir, Le ranch des 3 fanions, Mick et Moune chez son altesse, Sissi gauchiste, Signé Alouette. A l'école, Fort Bayard et Du Guesclin, du chinois et du latin. Ici ou là, Davy Crockett et les indiens, Franck Alamo et les mexicains, Claude François et les fléchettes. Wanda et ses sirènes, Diana Ross le love suprême (18 pts).

Et quoi encore ? le loup, la biche et toujours notre brave chevalier. Les courses dans la forêt cœur emballé, genoux coupés. Les montgolfières honteuses restées à terre. La déesse grise métallisée de mon père, la 4 sans 4 de son frère, et laquelle arrivera la 1^ère aux vacances de Bretagne ? La mercedes coupé de l'oncle Robert, soixantenaire toujours sportif, séducteur et célibataire. Le miroir à 3 farces. Tous mes ongles rongés et toc ! privé de ciné. Une coccinelle qui se prend un frelon dans l'aile en se jetant en travers. Une sortie de route avec la fiat 128 rouge. Le tête à queue avec la fiat 128 bleue. Quelques chansons de Polnareff - Tous les bateaux, Dans la maison vide, La michetonneuse, Toutou pour ma chérie ma chérie.

Des tapisseries lugubres et magnifiques, des amourettes de papier tragiques, l'indifférence des jardins publics. Sur les bleus mélancoliques, chaque matin une bonne couche d'encaustique. Heureusement, des quéquettes d'acier au tennis.

20.000 lieues sous les mers. A l'époque je calculais pas en distance parcourue, mais en profondeur de l'âme. Voyons voir, me disais-je, 1 lieue 4 kms, soit 20.000 lieues 80.000 kms ! Quoique jeune et inexpérimenté, ça me paraissait quand même un poil exagéré. Franchement, 80.000 kms en dessous du niveau de l'amer, qui peut désirer un score pareil ?

Que reste-t-il de nos amours, des magasins de notre enfance ? Raoul et André, chausseurs, où donc êtes-vous passés ? Empeignes et embauchoirs désembauchés, avalés au grand portefeuille Rachetés. Eh, dîtes un peu, Raoul et André, oui dîtes un peu Marcel et Roger (11 pts), z'avez pas l'air d'avoir trouvé un monde à votre pied. A l'occase, si des fois je le croise, j'en cause au grand cordonnier.