L'interphone - Tranche de Vie

L’interphone (lol ou pas lol ?)

Voilà comment ça c'est passé, Monsieur le Juge.

C'était samedi soir. J'étais invité à une soirée chez des amis. Z'habitaient une longue rue résidentielle dans un quartier excentré de Toulouse. J'ai cherché un moment un endroit adéquat pour parquer mon véhicule. En vain. Finalement, j'ai fait comme de nombreuses autres voitures, me garant mi sur la chaussée mi sur le trottoir. Et faisant naturellement très civilement en sorte de ne gêner ni la circulation – pas un chat -, ni l'entrée et la sortie de la superbe maison avec superbe jardin face à laquelle je me trouvais. Vous me suivez Monsieur le Juge ?

C’était le mariage d’Alix et Alisson. Des potes de la troupe de percussions brésiliennes où j’officie aux entrechats, aux gaffes et au tambourin. Je leur avais dessiné – à Alix et Alisson - une girafe au long cou (pléonasme), laquelle girafe les invitait à 1000 années d’amour. Je l’avais placée dans un superbe cadre orange. Je crois que ça leur a bien plu. Et puis, après les traditionnels discours et la remise des cadeaux, on a mangé et bu, on a souri, on a ri, on a chanté et dansé. C’était bien.

La conviviale soirée achevée, j'ai rejoint mon véhicule, et constaté que les essuie-glaces avaient été relevés. Une pratique citoyenne pas inhabituelle pour les mal-garés. Jusqu'ici pas de problème. Sauf qu'en y regardant de plus près, les-dits essuie-glaces n'avaient pas seulement été relevés mais également férocement tordus. Pas les balais, les supports. Je sais pas comment ça s’appelle. Tordus de façon irrécupérable.

Là j’ai vu rouge. Déjà que je me donne un mal de chien pour garder un semblant de décence à cette épave qui s'appelle ma caisse (à tort ou à raison, j'ai honte pour mon fils de le traîner lui et ses potes du foot aux matchs hebdomadaires dans ce tas de boue) ; et qu'en plus un salopard m'a explosé un rétro la semaine dernière.

Oui j’ai vu rouge. A tort ou à raison, j'ai pensé que je devais ça aux habitants de la superbe maison sise, notamment vu que j’avais pas l'impression que se baladassent des tonnes de badauds nocturnes dans cette rue isolée et excentrée, et pourquoi s'en seraient-ils pris justement à mon engin, pas le seul à être garé mi-figue mi-raisin.

Bon. D'abord j'ai empoigné les bloc-notes et bics que je conserve en permanence avec moi (histoire de coucher dans une mémoire de papier les idées fulgurantes qui souvent me traversent, et partent aux oubliettes si je les note pas immédiatement). J'ai écrit du genre : Merci pour mes essuie-glaces. Ça vous gênait tant que ça ma voiture bien garée à côté de chez vous ? Je suis pauvre, mais je crois que vous l'êtes encore plus que moi. J'ai arraché le feuillet que j'ai glissé dans leur boîte aux lettres.

Suivez toujours Monsieur le Juge ?

Bien. Mais en fait, ça me suffisait pas. Y' avait trop de haine dans ces essuie-glaces tordus. Trop de rage, de violence, d'agression. Alors j'ai sonné chez ces gens. trois heures du mat, pas de réponse. Alors j'ai sonné et re re et re sonné. Même résultat : pas un signe de vie, pas une lumière qui s'allume dans la baraque.

Alors j'ai pris ma clé de voiture, j'ai descellé leur putain d'interphone que j'ai balancé dans leur putain de jardin.

Lol ou pas lol ?

Et si c'était pas eux ?

Ouais. Mais chépas, sans doute fallait-il que quelqu'un paye ce soir.

J'attends avec orgueil, humilité, indifférence et indulgence votre verdict, Monsieur le Juge.