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L'Homme qui rit - Les comprachicos. - Domaine Public

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Victor Hugo

II - Les comprachicos

 


I

 

  Qui connaît à cette heure le mot comprachicos ? Et qui en sait le sens ?

   Les comprachicos, ou comprapequeños, étaient une hideuse et étrange affiliation nomade, fameuse au dix-septième, oubliée au dix-huitième, ignorée aujourd'hui. Les comprachicos sont, comme "la poudre de succession", un ancien détail social caractéristique. Ils font partie de la vieille laideur humaine. Pour le grand regard de l'histoire, qui voit les ensembles, les comprachicos se rattachent à l'immense fait Esclavage. Joseph vendu par ses frères est un chapitre de leur légende. Les comprachicos ont laissé trace dans les législations d'Espagne et d'Angleterre. On trouve ça et là dans la confusion obscure des lois anglaise la pression de ce fait monstrueux, comme on trouve l'empreinte du pied d'un sauvage dans une forêt.

   Comprachicos, de même que comprapequeños, est mot espagnol composé qui signifie "les achète-petits".

   Les comprachicos faisaient le commerce des enfants.

   Ils en achetaient et ils en vendaient.

   Ils n'en dérobaient point. Le vol des enfants est une autre industrie.

   Et que faisaient-ils de ces enfants ?

   Des monstres.

   Pourquoi des monstres ?

   Pour rire. Le peuple a besoin de rire ; les rois aussi. Il faut aux carrefours le baladin ; il faut aux Louvres le bouffon. L'un s'appelle Turlupin, l'autre Triboulet.

   Les efforts de l'homme pour se procurer de la joie sont parfois dignes de l'attention du philosophe.

   Qu'ébauchons-nous dans ces quelques pages préliminaires ? Un chapitre du plus terrible des livres, qu'on pourrait intituler : l'Exploitation des malheureux pour les heureux.

II

   Un enfant destiné à être un joujou pour les hommes, cela a existé. (Cela existe encore aujourd'hui.) [...]

   

   Pour que l'homme hochet réussisse, il faut le prendre de bonne heure. Le nain doit être commencé petit. On jouait de l'enfance. Mais un enfant droit, ce n'est pas bien amusant. Un bossu, c'est plus gai.

  De là un art. Il y avait des éleveurs. On prenait un homme et l'on faisait un avorton ; on prenait un visage et l'on faisait un mufle. On tasssait la croissance ; on pétrissait la physionomie. Cette production des cas tétralogiques avait ses règles. C'était toute une science. Qu'on s'imagine une orthopédie en sens inverse. Là où Dieu a mis le regard, cet art mettait le strabisme. Là où Dieu a mis l'harmonie, on mettait la difformité. Là où Dieu a mis la perfection, on rétablissait l'ébauche. Et, aux yeux des connaisseurs, c'était l'ébauche qui était parfaite.[...]

 

   La nature est notre canevas. L'homme a toujours voulu ajouter quelque chose à Dieu.[...]

   Dégrader l'homme mène à le déformer. On complètait la suppression d'état par la défiguration. Certains vivisecteurs de ces temps-là réussissaient très bien à effacer de la face humaine l'effigie divine.[...]

   Cela faisait des êtres dont la loi d'existence était monstrueusement simple : permission de souffrir, ordre d'amuser.

III

   Cette fabrication de monstres se pratiquait sur une grande échelle et comprenait divers genres.

   Il en fallait au sultan ; il en fallait au pape. À l'un pour garder ses femmes ; à l'autre pour faire ses prières. C'était un genre à part ne pouvant se reproduire lui-même. Ces à-peu-près humains étaient utiles à la volupté et à la religion. Le sérail et la chapelle Sixtine consommaient la même espèce de monstres, ici féroces, là suaves.[...]

   Un de ces triomphes [à cette fabrication], c'était de faire un coq pour le roi d'Angleterre.

   Il était d'usage que, dans le palais du roi d'Angleterre, il y eût une sorte d'homme nocturne, chantant comme le coq. Ce veilleur, debout pendant qu'on dormait, rôdait dans le palais, et poussait d'heure en heure ce cri de basse-cour, répété autant de fois qu'il fallait pour suppléer à une cloche. Cet homme, promu coq, avait subi pour cela dans son enfance une opération dans le pharynx, laquelle faisait partie de l'art décrit par le docteur Conquest.[...]

IV

   Le commerce des enfants au dix-septième siècle se complétait, nous venons de l'expliquer, par une industrie. Les comprachicos faisaient ce commerce et exerçaient cette industrie. Ils achetaient des enfants, travaillaient un peu cette matière première, et la revendaient ensuite.[...]

   Les comprachicos travaillaient l'homme comme les Chinois travaillaient l'arbre. Ils avaient des secrets, nous l'avons dit. Ils avaient des trucs. Art perdu. Un certain rabougrissement bizarre sortait de leurs mains. C'était ridicule et profond. Ils touchaient à un petit être avec tant d'esprit que le père ne l'eût pas reconnu. Quelquefois ils laissaient la colonne dorsale droite, mais ils refaisaient la face. Ils démarquaient un enfant comme on démarque un mouchoir.

   Les produits destinés aux bateleurs avaient les articulations disloquées d'une façon savante. On les eût dits désossés. Cela faisait des gymnastes.

   Non seulement les comprachicos ôtaient à l'enfant son visage, mais ils lui ôtaient sa mémoire. Du moins ils lui en ôtaient ce qu'ils pouvaient. L'enfant n'avait point conscience de la mutilation qu'il avait subie. Cette épouvantable mutilation laissait trace sur sa face, non dans son esprit. Il pouvait se souvenir tout au plus qu'un jour il avait été saisi par des hommes, puis qu'il sétait endormi, et qu'ensuite on l'avait guéri. Guéri de quoi ? Il l'ignorait. Des brûlures par le soufre et des incisions par le fer, il ne se rappelait rien. Les comprachicos, pendant l'opération, assoupissaient le petit patient au moyen d'une poudre stupéfiante qui passait pour magique et qui supprimait la douleur. Cette poudre a été de tout temps connue en Chine, et y est encore employée à l'heure qu'il est. La Chine a eu avant nous toutes nos inventions, l'imprimerie, l'artillerie, l'aérostation, le chloroforme. Seulement, la découverte qui en Europe prend tout de suite vie et croissance, et devient prodige et merveille, reste embryon en Chine et s'y conserve morte. La Chine est un bocal de foetus.[...]

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Proposé par

Deplume

Auteur

Blog

Victor Hugo

19-12-2014

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L'Homme qui rit - Les comprachicos. n'appartient à aucun recueil

 

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