Gratuité : attention danger ! - Texte court

Gratuité : Attention danger !

J’ai commencé très tôt, dès 5 ans l’absurdité de ce monde me pesait trop :
- Granny, comment ce sera quand tout sera gratuit ?
- Cela ne sera jamais mon enfant.
- Oui mais Granny, comment ce sera quand tout sera gratuit ?

Dans mes 20 ans j’avais un dupliqueur de k7. Et une foule de 33 tours puisque j’étais fan de musique et collectionneur. Alors je me régalais à créer sur k7 des best of d’artistes, de Clapton à Cabrel, des Stones à Nino Ferrer etc…, et je dupliquais à tour de bras. Je dessinais des pochettes et les photocopiais. J’assemblais le tout que j’envoyais par la poste à des amis. Pourquoi ? Juste comme ça, pour leur faire découvrir quelque chose qu’ils aimeraient, juste pour partager. Je précise que je n’étais pas débile, je n’envoyais pas une k7 à quelqu’un qui n’aimait pas la musique. Donc j’envoyais pour faire découvrir, c’était un plaisir. Discuter ensuite de l’émotion suscitée par tel morceau, de l’univers ouvert et découvert par tel artiste. Retours ? Aucun, absolument rien qui m’en souvienne.

Je dessinais aussi, pour des enfants. A l’origine pour des naissances ou des anniversaires, puis juste comme ça, pour la poésie. Un dessin avec un titre pour illustrer l’événement ou le non-événement. Je photocopiais mon dessin pour en garder un exemplaire, j’encadrais l’œuvrette et l’envoyais aux parents. Retours ? Aucun ou quasi. 

Aujourd’hui j’ai une discothèque bien remplie sur mon ordi, près de 10.000 titres soigneusement choisis, évidemment classés dans des dossiers d’artistes. Et j’utilise une plate-forme comme We Transfer ou Google Drive pour envoyer de temps à autre par la toile un morceau en particulier ou un de ces dossiers à un ami ou à un autre. Le meilleur (selon moi) de Christophe, de Gainsbourg, de Boris Vian, de Murat, d’Higelin, de groupes anglais ou américains. Retours ? Dans mon esprit un, un membre de ce site qui se reconnaîtra. Et même souvent ces envois ne sont même pas téléchargés.

Bref, il semble que le concept de gratuité ait du mal à passer ici-bas. Je ne sais pas, comme si les personnes de ce fait se sentaient redevables - ce qu’elles ne souhaitent évidemment pas -. Comme si recevoir un cadeau alors qu’on n’a rien demandé signifiait forcément devoir quelque chose en retour. Ou réclamer alors un impudique :

Non je n’achète ni ne réclame l’amour. Je donne parce que mon cœur m’y convie. J'en suis resté au "Plaisir d'offrir, joie de recevoir" écrits sur ces distributeurs automatiques à tirette de mon enfance, où l'on mettait 5 ou 10 francs pour recevoir un petit paquet aléatoire à offrir à la personne de son choix.  Oui, il semble qu’il y ait dans ces actes gratuits une notion que les gens ne comprennent pas. Intoxiqués peut-être à tout se monnaie ici-bas. Ou ici-bas la gratuité n’existe pas. Un moins 15%, moins 30%, voici du commun et familier, du consumérisme routinier, on comprend bien. Un moins 100% mon Dieu mais késaco ? Comme si donner d’une main signifiait forcément réclamer de l’autre, prétendre à quelque chose. Pauvreté des âmes, pauvreté du monde. Si étroit, si méfiant, si frileux, chiche en lumière et si sombre. Ah la la la la Seigneur, faîtes que ma joie demeure !