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Constructions naturelles - Histoire Courte

Histoire Courte "Constructions naturelles" est une histoire courte mise en ligne par "Valerie Pocard"..

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CONSTRUCTIONS NATURELLES

 

            Depuis son retour du Brésil Vanille passait une partie de son temps allongée, à moitié somnolente, à revivre ce qu’elle avait vécu dans ce pays si étrange. Elle s’installait confortablement dans son canapé, lançait un CD de Caetano Veloso et se laissait bercer.

            Et là, un sourire, un regard intense s’imposait systématiquement à son esprit. Elle revoyait les traits malicieux du petit Jorge ; elle entendait son rire, le son de sa voix…

 

            Etait-ce son prénom exotique qui avait toujours incité Vanille à vouloir voyager ? En tout cas, elle avait économisé pour enfin réaliser son rêve : découvrir le Brésil. Pourquoi ce pays ? Son métissage culturel sans doute ; la jeune femme était fascinée par l’idée de tous ces gens si différents cohabitant dans un même pays.

            Vanille avait préparé son voyage pendant plus de deux ans. Elle avait appris le portugais car même si son séjour devait être en partie organisé, elle souhaitait aussi pouvoir se débrouiller seule.

 

            Enfin le grand départ ! Elle avait prévu de se rendre dans plusieurs régions brésiliennes : en un mois, elle avait le temps de bouger ! Du moins c’est ce qu’elle s’était dit en préparant son voyage.

            Après une nuit passée à Sao Paulo, elle repartit le lendemain matin pour Salvador de Baya, première étape de son périple. Un guide l’attendait à l’aéroport pour la conduire en taxi à son hôtel. Après le clic des portières verrouillées (elle s’y ferait difficilement, mais elle n’avait pas le choix !), les voilà circulant à travers le trafic dense de la ville. Sa première vision fut une longue haie de palmiers, puis de larges voies de circulation…

            Son regard fut subitement attiré par la colline sur sa droite : des pentes abruptes étaient recouvertes d’un amoncellement de constructions qui semblaient constituées d’une multitude matériaux. Chaque habitation paraissait tenir debout grâce à celles qui l’entouraient et l’ensemble offrait une image de maisons disparates, inachevées, fragiles.  

            Vanille demanda à son guide de lui expliquer ce qu’était cet endroit. Il répondit après un instant d’hésitation :

« -Ce sont des constructions naturelles. Les gens s’installent là. Et ils construisent petit à petit leur maison.

-Mais comment font-ils ? La colline est haute et les pentes sont raides.

-Oh, ils se débrouillent. Ils font progressivement. Ils s’aident les uns les autres… »

            Sur ce, le guide changea de sujet et attira l’attention de Vanille sur la plage qui s’ouvrait devant eux. Mais le regard de la jeune fille était resté accroché à ce quartier et au contraste  qu’il marquait avec les immeubles modernes érigés au pied de cette colline.

 

            Le guide exposa à Vanille la liste des sites qu’il avait prévus de lui faire visiter pendant son séjour. Elle écouta attentivement, acquiesça puis demanda s’il lui serait possible d’aller dans le quartier des « constructions naturelles ».

« Non, Mademoiselle, ce n’est pas un lieu touristique; on ne va pas là-bas.

-Mais pourquoi ? Je souhaite juste voir comment c’est de plus près, marcher dans les rues ; je ne dérangerai personne.

-Non, Mademoiselle, c’est trop dangereux. Les gens n’aimeraient pas et c’est trop risqué. Il y  a beaucoup d’insécurité là-bas, vous savez. »

 

            Vanille comprit qu’elle n’obtiendrait rien de son guide. L’après-midi du lendemain était libre, elle décida donc de prendre un taxi pour se rendre sur place. Mais une fois de plus, elle se heurta à un refus ; elle obtint seulement du taxi qu’il la dépose à quelques centaines de mètres du quartier. Il était hors de question d’aller plus loin : « Trop dangereux ! ».

            Au pied de la colline, Vanille fut encore plus impressionnée par cette multitude de constructions ; elle se sentait écrasée par cette masse compacte et inégale qui sortait de la colline.

            Elle eut une hésitation avant de grimper à travers les ruelles étroites qui serpentaient entre les maisons. La population de Bahia était composée pour sa plus grosse majorité de descendants d’esclaves noirs arrachés à leur Afrique natale pendant la période de l’esclavage. Elle aurait du mal à passer inaperçue et elle avait bien compris le message : l’insécurité était le mot d’ordre dans ce quartier. Tant pis, les gens exagéraient bien souvent par préjugés.

            Se frayant un chemin parmi les passages étroits entre les maisons, elle découvrit des constructions faites de bric et de broc : tantôt des plaques de tôle, tantôt des briques brutes, tantôt des pans de bois. Sol en terre battue, pas d’eau, pas de tout à l’égout, pas d’électricité mais des branchements sauvages avec des fils suspendus s’étirant jusqu’aux poteaux électriques plusieurs centaines de mètres plus bas.

 

            « Constructions naturelles » avait dit le guide ; bidonville pour les plus démunis, oui ! Pour les laissés pour compte. Vanille était stupéfaite et atterrée que des gens étaient contraints de vivre dans un tel dénuement et une telle saleté.

 

            Plongée dans ses réflexions, elle leva les yeux et aperçut en haut de l’étroite ruelle dans laquelle elle venait de s’engager, deux individus, puis trois, puis cinq. Ils l’observaient et semblaient l’attendre. Que faire ? A ce moment-là, un mouvement sur sa droite attira son attention et elle vit un enfant lui faire signe de le suivre à l’intérieur d’une maison.

« Il ne faut pas venir ici, Mademoiselle. Tu es en danger. Les garçons là-haut sont très dangereux. Ils te voleront et te feront du mal.

C’était un petit bonhomme de sept ou huit ans, vêtu d’un short et d’un tee-shirt sale et déchiré.

-Merci de m’avertir. Comment t’appelles-tu ? Moi c’est Vanille.

-Jorge, mais vraiment Mademoiselle, tu dois partir.

-Oui, mais par où je passe ? Ils ne vont pas me suivre si je retourne dans cette ruelle ? Ils sont peut-être déjà là dehors, à m’attendre.

-Non, pas ici. Nous sommes pauvres mais pas malhonnêtes dans ce coin de la favela. Nos pères leur ont fait comprendre que les bandits, les gens de la mafia, on n’en veut pas ici. D’ailleurs ils ont dû disparaître depuis que tu es rentrée ici. Allez viens, je t’accompagne. »

 

            Effectivement, la ruelle était déserte. Jorge raccompagna Vanille jusqu’à la sortie de la favela. En chemin, ils discutèrent des conditions de vie des gens qui vivaient à cet endroit.

« Tu sais, disait Jorge, beaucoup de gens ici travaillent ; mon père est taxi, ma mère fait des ménages, notre voisine aussi, son fils répare des vieilles voitures,… Mais nous n’avons pas assez d’argent pour payer une maison. Alors nous récupérons des matériaux pour la construire mois après mois. Nous, les enfants, nous allons sur les décharges ; nous ramassons ce qui peut servir pour construire la maison, et aussi des choses que nous pouvons revendre. »

            Vanille quitta Jorge avec un pincement au cœur. Elle n’avait jamais imaginé un tel dénuement. Et ces pauvres enfants qui vivaient au quotidien dans le besoin et l’indigence ! Et pourtant, malgré tout ça, Jorge était si gai, si lumineux !

 

            Le lendemain, la jeune femme voulut à nouveau retourner dans la favela. A peine venait-elle de quitter le taxi qu’elle tomba sur Jorge.

« Qu’est-ce que tu fais là ? demanda brusquement le petit garçon.

-Eh, quel accueil ! J’avais envie de revenir te voir. Tu viens avec moi manger un gâteau ?  Comme ça, je ne rentre pas dans la favela, mais nous pouvons discuter un moment.

-D’accord pour discuter avec toi ; mais pas de gâteau ; j’aime pas ça !

-… »

 

            Vanille revint ainsi plusieurs fois voir Jorge. Chose surprenante, à chaque fois, elle le rencontrait avant d’arriver à la favela, comme s’il avait deviné qu’elle allait venir. Elle avait finalement modifié ses projets et était restée à Salvador. Elle aurait voulu trouver un moyen pour venir en aide à Jorge, à sa famille. Mais rien ne paraissait possible ni envisageable.

            Un jour, le petit garçon lui demanda de ne plus jamais venir le voir. Cela restait dangereux et de toute façon il n’avait plus envie de passer du temps avec elle. Vanille, surprise et mortifiée, n’eut pas d’autre choix que d’accepter et voulut le serrer dans ses bras pour lui dire au revoir, mais Jorge recula et s’enfuit.

            Puis vint le moment de rentrer en France. Vanille ne pouvait se résoudre à quitter la ville sans revoir au moins une fois Jorge. Elle retourna donc à la favela, prenant garde à ne pas dépasser le quartier où elle avait rencontré l’enfant la première fois.

            Ne le trouvant pas, elle s’adressa à une femme qui se tenait devant la maison dans laquelle Jorge l’avait attirée. Vanille avait toujours pensé qu’il s’agissait-là de sa maison à lui. Mais la brésilienne ne connaissait pas de Jorge correspondant à l’âge estimé par Vanille.

« Non, Mademoiselle, le seul Jorge que nous ayons chez nous a seulement deux ans. Ce ne peut être le même garçon.

A cet instant, une vieille femme approcha en boitant.

-Allez Amalia, tu as oublié le fils de Lucia et Roberto ?

-Mais que veux-tu dire ? répondit la dénommée Amalia.

-Oui, Jorge, il a à peu près cet âge-là. Comment était-il ce garçon ? demanda la vieille femme en se tournant vers Vanille. Vanille fit une description aussi fidèle que possible. Alors, la vieille femme reprit : c’est lui ! J’en suis sûre !

-Mais tu sais bien que c’est impossible, voyons !

-Pourquoi ? interrogea Vanille. Amalia la fixa du regard et expliqua :

-Parce qu’il est mort ! Voilà pourquoi. Tué par des membres d’un trafic de drogue qui menaçaient une jeune femme. Jorge du haut de ses dix ans, car il avait en fait dix ans, s’est interposé. La jeune femme a pu fuir mais les hommes, pour se venger, s’en sont pris à Jorge, l’ont roué de coup. Il ne s’en est pas relevé, le pauvre enfant. Et cette vieille folle est sa grand-mère ; elle raconte à qui veut l’entendre que Jorge est toujours là, parmi nous, que c’est notre ange gardien et que c’est grâce à lui que les membres du cartel ne viennent plus dans notre quartier ! »

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Auteur

Blog

Valerie Pocard

27-09-2022

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Constructions naturelles n'appartient à aucun recueil

 

Histoire Courte terminée ! Merci à Valerie Pocard.

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