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Belle table et bonne chère - Texte

Texte "Belle table et bonne chère" est un texte détente mis en ligne par "Paulette Pairoy-Dupré"..

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Belle table et bonne chère

Petit divertissement sur l’art de recevoir

Il y aura réception ce soir au château. Une trentaine de convives sont attendus et Madame va mettre les petits plats dans les grands, enfin façon de parler. Certes il y aura une sous - assiette plus grande que les autres qui en recevra de plus petites au cours du repas, mais n’allez surtout pas croire que Madame et Monsieur le Comte ont connu un revers de fortune les contraignant à offrir des mets peu chers dans la grande vaisselle restée d’un passé disparu. Car c‘est bien là l’origine de l’expression.

Si les grandes ripailles ne sont guère du goût de Monsieur le Comte, on va régaler du beau monde et bien sûr argenterie et verres en cristal de Baccarat se pavaneront sur un nappage des plus sophistiqués.

Louise, la vieille gouvernante qui fit sauter sur ses genoux Monsieur le Comte aidera la cuisinière et Monsieur Parsons, un vieil ami venu d’Outre -Manche pour parfaire sa connaissance sur les grands crûs mettra la main à la pâte en aidant au service. Il est d’ailleurs fort inquiet et souhaite savoir comment se fera celui-ci.

  • A la russe bien entendu, répond Louise avec un large sourire

  • I beg your pardon !!!

  • Monsieur Parsons ! Le service à la russe a remplacé au XIXème siècle le service à la française où l’on apportait tous les plats en même temps sur la table. L’ambassadeur du tsar Alexandre Ier, un certain Alexandre Kourakine se faisait servir les plats les uns après les autres. A l’époque, la nouvelle élite bonapartiste trouva l’idée astucieuse et la propagea. Je n’ai pas dit pour autant qu’il y aurait des blinis, du veau Orloff et des pirojkis, non ! Ni même qu’on lancerait les verres !

Voilà qui rassura Monsieur Parsons. Il n’aurait pas à ramasser les débris des verres de vodka sur le sol.

  • Cette nouvelle mode eut d’ailleurs quelque influence sur la manière de dresser la table et mettre le couvert, poursuivit la gouvernante.

  • Dresser la table ???

  • Monsieur Parsons, sachez qu’au Moyen Age, les seigneurs prenaient les repas en différents endroits du château selon le nombre d’invités ou l’évènement ou encore la saison. On dressait donc des planches sur des tréteaux dans le lieu choisi au dernier moment.

  • Ensuite, on mettait le couvert, n’est -ce pas ? Là, je connais l’origine de l’expression, ajouta Monsieur Parsons. Les cuisines étaient loin des pièces nobles. On transportait les plats couverts d’un autre plat pour éviter qu’ils ne refroidissent et je crois aussi qu’ils avaient peur que l’on mette du poison dedans.

  • Rien à voir avec la déclinaison de fourchettes et de couteaux que chaque invité aura ce soir autour de son assiette, ajouta Louise.

Si du côté des cuisines on commençait à s’agiter, on se jalousait dans l’armoire à linge et l’on se taquinait dans le vaisselier.

Aux côtés de leurs mères les belles nappes, impeccablement alignées sur les étagères, les serviettes bien pliées se trémoussaient de plaisir au risque de se froisser. Elles se demandaient quelle pièce serait la reine du soir et surtout comment on allait les travestir : bonnet de cardinal, fleur de lotus, éventail ?

  • Il y aura du beau linge ce soir, lança un torchon qui aimait mettre les pieds dans le plat. Je me laisserais bien brûler à parier que ce sera la nappe en coton damassé qui sera à l’honneur.

  • De quoi vous mêlez-vous ? s’écria la nappe en dentelle

  • - Les broderies et la dentelle sont passées de mode, ma Chère, le vichy est bien trop rustique quant à la nappe en lin, son monogramme fait quelque peu pédant.
  • Votre place est à l’office, ne vous a -t-on pas dit que l’on ne se mélangeait jamais, répondit une serviette fort vexée à qui la moutarde montait au nez.

  • Vous ne ferez pas tant la fière quand vous serez toute tachée, lui répondit-il.

Puis s’adressant à toutes les nappes :

  • Et n’oubliez pas qu’autrefois les convives essuyaient leurs mains souillées sur vos pans. Vous serviez même de mouchoirs ! Moi au moins, j’essuie le derrière de casseroles propres !

L’on s’inquiétait aussi de savoir si le splendide surtout en bronze doré et ciselé, vous savez cette pièce d’orfèvrerie destinée à recevoir la salière, le poivrier, le moutardier, l’huilier et le vinaigrier, très en vogue du temps des arrière grands parents, trônerait au milieu de la table ou s’il serait relégué sur la desserte, méritant son sobriquet de dormant, une jolie composition florale le remplaçant fort élégamment au centre de la table.

Le grincement d’un tiroir laissant supposer que l’on allait sortir les couverts fit cesser les bavardages.

L’argenterie s’impatientait dans ses écrins. Il est vrai qu’elle ne voyait que rarement le jour. Tous ces couverts qui avaient mené grand train au temps jadis étouffaient maintenant au fond des tiroirs, s’encrassaient, se noircissaient. L’argenterie c’est fait pour briller. Avec ses gants blancs, Monsieur Parsons et son respect tout british pour les objets qui relient les familles à une vie passée, saurait leur redonner leurs lettres de noblesse en deux coups de cuillère à pot. Un petit coup de chiffon de laine, douce caresse dont ils raffolaient et ils retrouveraient leur jeunesse.

Tirés de leur sommeil, certains étaient cependant grincheux. Comme nous étions au printemps, les cuillères espéraient poursuivre leur séjour au frais et ne point aller se brûler dans un potage Crécy, un velouté d’Argenteuil ou une crème Du Barry. La louche qui prenait ses aises, occupant les deux tiers de la ménagère, entendait bien flemmarder dans son étui douillet jusqu’à la fin de l’été. Il en était de même des fourchettes à escargots qu’un vulgaire couteau à fromage mal rincé venait de traiter d’édentées car elles n’avaient que deux dents. Quant aux couverts à homard, ils en étaient restés à Thermidor ! Mais c’est surtout du côté des petites cuillères que l’humeur était maussade. On se rappelait des familles entières endeuillées. Dans les rangs du service à moka, on comptait de grandes pertes, des portés disparus, engloutis par des poubelles voraces à cause d’une domesticité peu scrupuleuse.

Un couteau à viande à la lame luisante mais qui n’avait pas inventé le fil à couper le beurre, bouscula une fourchette à dessert ne semblant pas dans son assiette et lui chuchota d’un ton goguenard :

- Vous brillez comme un miroir, vous êtes étincelante !

Voyant qu’elle l’ignorait :

- Vous avez une dent contre moi ?

Et dans une tentative de briser la glace,

- Certes j’ai pris de la bouteille mais j’ai toujours la banane. Je vous laisse, on ne manquera pas de se retrouver dans le tiroir un jour où vous ne serez pas à cran !

On a beau être d’argent, on en est pas moins mufle, pensa la petite qui attendait d’être rangée sur la desserte, car dans un dîner chic couverts à fromage et à dessert entrent en scène en même temps que le plat.

Les couverts à poisson sortirent en couple mais se séparèrent bientôt, chacun allant son chemin, l’un à droite, l’autre à gauche.

De retour à la salle à manger, Monsieur Parsons trouva la nappe mise et non pas comme le signifiait l’expression au XVIIIème siècle, à savoir aller dîner chez les autres. Il trouva la table habillée de sa nappe en lin, une étoffe fluide, au toucher doux et sans aucune ride, encore tiède du fer de Louise. Il s’appliqua alors à installer les pièces d’argenterie à la française, ce qui revient à dire pour les fourchettes, les dents posées sur la nappe pour que les armoiries gravées sur le dos du manche soient visibles de tous. Eût-il été en Angleterre qu’il eût bien entendu tourné les pointes de fourchettes vers le haut !

Ainsi à gauche de l’assiette, dans l’ordre des plats servis, la fourchette à hors d’œuvre côtoyait la fourchette à poisson et toute proche, la plus agressive, la plus costaude, celle qui pique dans les rôts, la fourchette à viande. De l’autre côté, l’armée de couteaux, tranchants contre l’assiette, le couteau à hors d’œuvre puis la fine lame allongée de celui à poisson prêt à effeuiller avec délicatesse le filet de saumon, et enfin le grand couteau pointu à petites dents acérées pour entrer comme dans du beurre dans la viande juteuse.

Après une conversion des plus délicates de pouces en centimètres, Mr Parsons mit un point d’honneur à positionner les assiettes à deux centimètres et cinq millimètres du rebord de la table. La porcelaine de Chantilly au décor japonisant dit Kakiémon avait été choisie après bien des hésitations. La porcelaine bleue de Tournai faisait la grimace. Quant à la nappe en dentelle, une fois de plus elle faisait chou blanc et cela ne fit pas un pli, elle se mit en boule. L’argenterie brillait de mille feux et les cristaux étincelaient. En toute simplicité les serviettes avaient été roulées comme des parchemins faisant ressortir le monogramme de la famille, le «C» de Charles brodé au point de tige accueillant dans ses bras le «H» d’Hermione, trisaïeux de Monsieur le Comte, lesquelles initiales restaient d’actualité puisqu’aujourd’hui c’était Carole et Henri qui recevaient.

Enfin Mr Parsons vérifia que le dernier verre de droite était bien aligné avec le dernier couvert de droite à chacune des places.

Sur le plateau en argent, les flûtes à la jambe fine, haut perchées sur leurs talons, encore sous le choc de la perte de deux de leurs sœurs tombées du plateau, toisaient les verres à Porto qui risquaient de faire tapisserie ainsi que les verres à Whisky à l’allure de gobelets, car quand on mène une vie de château, rien n’est plus noble que le Champagne, symbole du plaisir de vivre !

Des effluves gourmandes commençaient à embaumer la maison. Il est vrai que le menu décliné par la cuisinière à quelques heureux dans le secret, alléchait les papilles. Les festivités débuteraient par une Panna Cotta d’asperges vertes aux tomates confites. Suivrait une paupiette de saumon au sirop d’érable, puis un Waterzoï de pintade aux légumes de saison et l’on terminerait par un caprice exotique aux agrumes et à l’ananas.

Il ne restait plus à Mr Parsons qu’à se retirer dans le cellier pour y décanter quelques divines bouteilles.

CR/PPD février 2021

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Paulette Pairoy-Dupré

02-02-2021

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Belle table et bonne chère n'appartient à aucun recueil

 

Texte terminé ! Merci à Paulette Pairoy-Dupré.

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