Rick Bass
Né le 7 mars 1958 à Fort Worth dans l'État du Texas
écrivain et écologiste américain
Rick Bass a grandi à Houston, avant de faire des études de biologie et de géologie à l'Université d'Etat de l'Utah. Il travaille ensuite pendant plusieurs années dans le Mississippi comme géologue spécialisé dans les gisements de pétrole et de gaz, ainsi qu'en témoigne son livre Oil Notes (1989). Il est l'auteur d'une dizaine de livres de fiction, dont les recueils de nouvelles intitulés The Watch et In the Loyal Mountains. Le Sud profond et le Montana constituent les décors privilégiés de ses fictions. Rick Bass vit aujourd'hui avec sa famille dans une vallée sauvage du Montana.
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Parmi tous ces oiseaux de passage, l'espèce qui m'importe le plus, encore plus que les oies et les grues, c'est le pluvier des hautes-terres, cet oiseau dodu et laid, cet habitant des prairies qui rappelait à mon aimable oncle chasseur le monde tel qu'il était jadis, tout comme il me le rappelle à moi aujourd'hui. Le pluvier quitte les prairies situées loin au nord pour voler jusqu'aux pampas d'Argentine, puis repart en sens inverse au printemps, un miracle de navigation et un voyage incroyable pour 6 ou 8 onces de chair, de plumes, d'entrailles et d'os creux, nourries de viande d'insecte. Je les aperçois parfois dans nos pâtures, immobiles ou fondant sur leur proie dans l'herbe, mais surtout je repère leur présence grâce aux sifflements vibrants, mornes mais énergiques qu'ils poussent en traversant le ciel nocturne, et à chaque fois je me demande à quoi pouvait bien ressembler ce sifflement lorsque les grandes plaines américaines étaient vierges et que les pluviers y arrivaient par millions.
Quand on grandit parmi des gens à l'esprit traditionnel, on a souvent tendance à nourrir regrets et nostalgie du passé, sentiments peu profitables dont j'ai eu ma part dans ma jeunesse. Mais le seul regret de cet ordre qui a vaillamment résisté au temps, c'est de ne pas avoir connu cette terre quand elle était intacte, luxuriante, riche et neuve, ainsi que le pluvier qui change d'horizon à chaque printemps et chaque automne. Depuis quelques décennies, il est devenu de bon ton - et justifié j'imagine, et assez facile rétrospectivement - de maudire le mode de pensée ancestral qui a très efficacement et précocement ravagé le monde. Mais pour ma part, ce que je crois maudire surtout, c'est tout simplement de ne pas l'avoir vu. Sans la moindre arrière-pensée vertueuse, j'aurais sans doute moi-aussi contribué à sa destruction, tout comme la plupart de ceux qui l'aimaient le plus. Mais, Seigneur, l'avoir vu intact, l'âme et les tripes de ce que nous avions et qui a aujourd'hui disparu à jamais, sauf dans les livres et quelques détails aussi poignants que ces petits oiseaux rapides qui font l'aller et retour jusqu'en Argentine et appellent, la nuit, dans le ciel.