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Vous avez dit enseignant ? - Coup de gueule

Coup de gueule "Vous avez dit enseignant ?" est un coup de gueule mis en ligne par "Carmine Nicotera"..

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Vous avez dit enseignant ?

Le métier d’enseignant est devenu, bien difficile, il absorbe comme un marécage les manques d’éducation, des maux de notre société. Tout cela se fait de manière ingrate, a-t-on parlé du dévouement qu’ils font preuve lors de cette pandémie ? La reconnaissance sociale est dérisoire, pour prime, on leur accorde des images alors que les revalorisations sont quasiment gelées depuis des décennies. Les parents ont des difficultés à occuper, à éduquer leurs deux ou trois enfants, mais comment des enseignants peuvent s’occuper de trente à quarante jeunes sans craquer ?

On s’est posé cette question lors du dernier confinement. Ah non, pas encore de confinement s’exclame -t-on ? Comment voulez vous qu’on télé-travaille avec les enfants dans nos jambes ?

Ah oui, j’oubliais les enseignants, comment font-ils pour corriger, préparer et organiser des séances de cours avec leurs enfants ?

C’est vrai, qu’on entre dans l’Éducation Nationale comme si on prononçait des vœux entrant dans les ordres. Cette vocation est en plein déclin, la foi a disparu chez nos jeunes. Être malmené, non estimé, critiqué par des parents qui parfois ne savent pas s’occuper de leur enfant unique ont fait fuir les candidats aux concours de professeurs.

Je ne suis qu’un insignifiant professeur de mathématiques et pourtant, j’ai pu apprécier ce métier qui pourrait semblait ingrat, mais j’ai ignoré les sarcasmes des vrais travailleurs : « vous, vous avez tant de vacances et vous ne faites que quinze ou dix-huit heures ! ».

On oublie, les préparations, les corrections, en fait du télé travail.

 

Voici des instants de vie d’un enseignant fier de l’autre :

 

Mes débuts d’enseignants : maitre auxiliaire II

En attendant mon départ en coopération pour l’Inde, j’ai commencé mon travail à Pont-à-Marcq. Mon poste était un « fourretout ». Je devais enseigner musique, dessin, mathématiques et sciences physiques. J’avais des cinquièmes, des CPPN et des CPA. Les CPA étaient en apprentissage régulièrement. Les CPPN étaient une voie de garage, en attendant la vie professionnelle, sans objectif de diplôme à la clé. Il y avait donc dans ces classes des élèves âgés, en grandes difficultés, en révolte avec le système éducatif. Ce premier poste était censé me montrer un système éducatif performant, en tous cas, c’est ce qu’ils pensaient.

Il n’y avait pas d’équipe pédagogique qui aurait pu m’aider à m’occuper de tous ces élèves. J’ai dû me débrouiller. Je suis allé voir la Principale pour lui dire que je n’étais pas capable d’enseigner la musique et le dessin. Elle répondit : « faites des maths, cela ne leur fera pas de mal ! ».

En Sciences Physiques, pas de problème puisque j’avais des cinquièmes avec un programme précis. Il est vrai que je faisais plus de maths que de sciences physiques avec des calculs de masses volumiques par exemple, mais de toutes façons, cela ne leur faisait pas de mal !

Pour les autres classes, j’ai créé des fiches adaptées à chaque type de stage (ou aux centres d’intérêts des CPPN). J’étais fier de mes fiches, les unes calculant les cylindrées, d’autres des surfaces ou encore des calculs de TVA ou des factures à compléter. Personne n’avait vu et jugé de la pertinence de mon travail. Les réactions des élèves furent diverses, mais cela le démoralisa. Seul, sans aucun réconfort de « collègues », j’ai dû me remotiver moi-même.  On ne me jugeait pas digne d’enseigner les mathématiques en quatrième ou en troisième. Il fallait que je fasse mes preuves en obtenant un concours.

 

 

Des élèves en difficultés

Après avoir obtenu mon concours et après quelques années d’enseignement dans le Nord de la France, j’ai demandé ma mutation pour la Polynésie et l’ai obtenue.

On avait accepté de partir de l’autre côté de la Terre. On savait qu’on laisserait une partie de nous-même ici en Métropole. Mais l’attrait de contrées lointaines, d’une vie idéalisée par tant de livres et films l’emportait.

Nous avions franchi le pas, on partait pour six ans en Polynésie. Et toute une organisation se mit en place. Il fallait envoyer par bateau nos effets personnels et donc se débarrasser de meubles trop encombrants.

Nous avons tous les cinq pris l’avion pour la première fois pour plus de vingt et une heure de vol.  Nous avons été accueillis avec chants, danses et fleurs dans ce pays de cocagne. Nous avons trouvé un logement et nous nous sommes installés sur Tahiti.

Il m’a fallu quelques mois pour comprendre mes élèves de Collège, bien sûr on avait fait des classes de niveaux. Dans les bonnes classes, on avait mis les élèves, qui pour la plupart étaient « Popaa » (peaux blanches) et enfants de milieux favorisés. Dans les classes d’élèves en difficultés, il fallait faire des projets, sinon, on ne pouvait pas forcer les élèves à s’investir, à participer. J’ai donc mis en place des projets, partant de jeux, de thèmes qu’ils aimaient et j’y ai intégré les mathématiques. Elles devaient servir à aller plus loin dans le projet.

La Chasse au trésor :

Dans une cinquième, on avait placé les élèves qui avaient de grandes difficultés et qui commençaient à vouloir sortir du système. On n’avait mis que 18 élèves.

Les élèves furent vite pris dans le jeu, ils s’investissaient cherchant à déchiffrer des énigmes où un résultat permettait de trouver une construction pour trouver le trésor. Calculs de volumes et de la valeur du coffre fabriqué en maquette dans du carton firent accrocher les derniers récalcitrants. Et pour mettre en pratique, on se déplaça au jardin botanique pour relever des mesures, puis pour trouver un coffre rempli de jeux offerts par les sponsors sollicités par mes différents courriers. Les élèves commencèrent à parler, eux qui, auparavant  par les yeux communiquaient.

J’ai appris les détresses de tous ces jeunes, qui m’ont réconforté dans le métier que je faisais.

-          M’sieur, j’ai pas pu dormir, ma sœur vomissait du sang…

-          M’sieur, mon père m’a rouspété car je ne l’ai pas réveillé à 4h pour qu’aille travaillait, c’est parce que j’étais fatigué après notre chasse au trésor.

Sur les dossiers, on pouvait lire qu’une élève a été claquée sur un mur quand elle était bébé par ses parents.

Et puis à une élève énervée, je lui ai demandé son carnet, pour convoquer son père, elle me répondit : « il est en prison », sans me décontenancer je lui ai dit, je vais prévenir tan mère et là je reçus le coup de massue : « ben, elle morte, c’est mon père qui l’a tué ».

Voici des exemples des vies traumatisées, des blessés de la vie où l’école est une échappatoire où on s’occupait d’eux, les valorisant le plus possible.

 

Des très bons élèves

Durant mes séjours à Tahiti, j’ai pu apprécier des élèves gentils, essayant de faire de leur mieux. Des élèves de terminale S ont intégré les meilleures écoles de Métropoles. Beaucoup ont voulu à ma grande satisfaction devenir professeur de mathématiques, même s’ils devaient au départ s’expatrier. J’ai mis en place là aussi le projet du « Nombre d’Or », se terminant par des voyages inoubliables pour découvrir les chefs d’œuvre de la Renaissance en Métropole et en Italie. Certains n’avaient jamais pris l’avion et n’avaient jamais vu des fresques, tableaux aussi réalistes.

Conclusion

Tout ce travail, mis en place, m’a demandé tant de temps, la satisfaction c’est d’avoir vu dans les yeux des jeunes de tels émerveillements et le fait qu’ils existent et qu’ils peuvent prendre part dans notre société.

Malheureusement, les moyens horaires, ont fait en sorte que de tels projets sont difficiles à remettre sur pied. Les élèves, enfermés dans des classes et des programmes serrés ne nous laissent presque plus de latitude pour concevoir et organiser des moyens d’enseigner par détours. Tous ces projets, dont j’ai été l’organisateur, n’ont pu se réaliser qu’en y associant, professeur de littérature, travaillant sur des textes sur le thème de la piraterie où les voyages en Toscane d’écrivains, des professeurs d’histoire, où ils ont pu parler du froissement de créativités lors de la Renaissance.

Diminuer les horaires de l’enseignement des mathématiques est devenu un désastre, raisonnements sans aucun sens, manque d’organisation et résultats aux concours internationaux en chute libre (alors que les reçus au bacs sont plus de 90% !).

Ne faudrait-il pas réagir ?

 

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Auteur

Blog

Carmine Nicotera

13-02-2021

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Vous avez dit enseignant ? appartient au recueil Prof

 

Coup de gueule terminé ! Merci à Carmine Nicotera.

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