On est tous pas normal - Texte court

On est tous pas normal.

Tu dis que tu t’inquiètes pas. Mais je vois bien à tes rides sur le front, que peut-être, c’est pas toujours le cas.

J’entends chanter tes certitudes avec la voix d’un ténor, prêt à le démontrer bien haut. Mais je vois le rictus sur tes lèvres et tes ongles rongés, t’es pas si fort mon gars. T’es pas si sûr non plus.

Tu élèves la voix pour clamer combien la société est naze, combien faut la changer, combien « Messieurs, Mesdames, plus rien ne va ». Mais j’observe ton pas pressé de rentrer vite chez toi, d’enfoncer tes yeux dans un thriller violent. T’es pas si convaincu. Tu fais rien pour autant.

Tu vas le matin la tête penchée, tu dis qu’t’as pas le trop l’choix. Mais je vois ton sourire et ton croissant en main, tout content de sortir même à 4 heures du mat. T’es pas si triste non, t’es même plutôt content.

Tu dis que tu l’aimes ah oui, que tu l’aimes cette vie, que t’as d’la chance dès le lever du jour. Que t’es que gratitudes aussi. Mais je t’ai surpris à pleurer dans un coin sur un trottoir. T’es pas si heureux qu’ça, n’est-ce pas. Non, pas tant qu’ça.

Tu dis que tout se vaut, qui y’a plus rien à faire. De toute façon, que tout part à vau l’eau...N’empêche j’t’ai vu donner un carton de fringues à ton voisin. T’es pas si pessimiste que c’que tu dis. Non, t’as même donné ce mois-ci comme ça, à la volée, un peu d’argent caché.

Tu dis que les enfants, ben c’est plus vraiment c’que c’était, qu’à ton époque, et ben, c’était bien mieux. Mais dans le square, t’as parlé à toute une équipe de bras cassés d’à peine dix ans que t’as fait rire, et même que toi aussi. T’es pas si déçu qu’tu l’dis. Non, pas autant qu’tu l’dis.

On n’est pas bien normal tu vois. On dit et on fait pas. On fait et on dit pas. On pense rouge et on fait noir. On s’mord les lèvres en cachette, on tient son doudou chaque soir. On s’cache la vérité qu’on n’ose pas voir.

On a des idées noires et on dit le contraire. On se sent seul mais on fera croire que non bien sûr. On a des maux de tête, les jambes un peu fragiles, des insomnies la nuit. Pourtant on jouera au bras de fer avec la vie, on doit pas voire que t’es quand même un peu lassé.

On n’est pas bien normal tu vois. On fait tout de travers mais on veut croire l’contraire. Surtout on veut pas l’montrer. Moi tu sais j’suis pas normale non plus. Je cache pas grand-chose enfin presque pas trop non plus.

Une chose est sûre, quand j’écris comme ce matin, je sais pas trop c’que j’vais raconter mais je sens en moi les frissons de l’Aurore. J’sais bien que moi aussi je serai pleine de mes contraires tout le temps. Mais j’suis plus forte qu’il y parait tu sais.

Tu dis qu’t’as pas besoin d’amour dans ta vie, que t’y crois plus, que tout ça c’est des foutaises. Que tous les mecs, c’est des salops. Mais j’ai vu sur tes étagères deux ou trois livres Colombine dire tout l’inverse.

Tu dis que les films à l’eau d’rose, c’est plus pour toi. Que l’amour est un rêve et qu’on est tous trahis. Mais je t’ai vu pleurer au cinéma plus d’une fois au moment du baiser. T’es pas si dur tu vois. Non, t’es pas si dur.

Pourquoi qu’on est comme ça ? Dit, pourquoi ? On est pas bien normal je crois. D’abord, y’a rien de normal. Voilà. C’est ça. Y’a pas de normal.

J’suis pas normal c’est ça. Pas normal du tout. C’est pas normal d’aimer comme j’aime et puis d’le dire. Ça s’fait pas, voilà. Non, ça s’fait pas.

Ben tu vois, j’suis pas d’accord. Comme tout le monde qu’est pas normal. J’suis plus forte, oui, bien plus forte que c’que tu crois. Bien plus forte. Tu sais pourquoi ?

Parce que j’crois à l’Amour. Même perdu, même sans retour. Et que j’y crois et que j’en crève.

J’fais pas semblant. Ça, tu vois, j’sais pas bien faire. Jamais. C’est ma différence.

J’suis pas normal du tout. Mais je suis fière comme ça. Oui. M’en voulez pas.

Je crois à l’Amour.