Les impeccables - Texte court

Les impeccables

"Ces gens dont l’âme et la chair sont blessées ont une grandeur

que n’auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe".

(Christian Bobin)

Les impeccables se tiennent droit. Ils savent s’habiller, connaissent tout de la mode. Veste bien taillée, couleur raccord, style choisi. Ils parlent bien. Des mots ciselés. Le regard hautain, ils font la leçon dès que la conversation s’approfondit. Ils savent tout. Ou presque.

Les impeccables se font entendre. Ils connaissent leurs droits. Ils revendiquent fort ce qui les tourmente. Vous ne faites pas le poids à côté. Parfois, ils croient en Dieu. Ils font même la lecture à la messe du dimanche. Bien en vue.

Les impeccables se maquillent. Tout y passe, les couleurs, les tubes, les crèmes, les pots. Bien se pomponner c’est important. Il faut faire bonne impression. Ce sont les 30 premières secondes qui comptent. Ils sont très soucieux de leur image. Pas une tache. Pas un pli. Pas une faille.

Les impeccables aiment la célébrité. Ils se "selfisent", ils se mirent, ils se contemplent. Ils étalent leur savoir et leurs diplômes. C’est eux l’avenir. C’est eux qui savent. C’est eux qui gouvernent. Autour d’eux, faites la place. Il leur faut une estrade, un micro, un short, une caméra, un logiciel de retouche. Ils sont dans le coup. A l’aise avec tout. Ils aiment le progrès, ils le promulguent.

Les impeccables chantent bien. Ils n’ont jamais fait de faux pas. Jamais ils n’oseraient, ils le font bien savoir. Ils sont dans la norme. Ils savent comment bien se tenir. Ils sont bien éduqués. Ils connaissent bien les rouages, les coulisses. Ils ont les relations qu’il faut. Avec le piston, ils ont ce pouvoir de faire ou défaire, de décider ce qui est bien ou non. Qui en vaut la peine ou pas. Ils ont le savoir, la force et la vie linéaire qu’il convient. Les codes, ils les maitrisent, ils les vantent, ils les affichent surtout.

Les impeccables ont la morgue facile, leurs cris font écho, on les écoute, on leur répond. Ils aiment les places d’honneur dans les yeux de qui les regardent. Leurs outrances ne choquent personne, ils sont dans l’air du temps. Ils sont capables d’entrainer derrière eux tout un tas de bonnes personnes qui les croient sincères. Les impeccables défendent la cause des pauvres gens. Ils le disent, ils le clament. Ils sont les meilleurs, ils en sont persuadés. Ils font de la pédagogie. Il faut faire changer les mentalités.

Les impeccables sont des meneurs ou des suiveurs. De toute façon, ils n’ont rien à se reprocher. Ils font tout au mieux. Ils connaissent leurs manques et leurs richesses. Comme tout le monde. Ils suivent leur chemin, sans pierres sous leurs pas, sans ombre au tableau, sans virgule. Ils connaissent la vie, eux. Ils ont des valeurs. On ne transige pas avec elles. Ils font la morale à tout va. « Enfin voyons ! ça n’se fait pas ! Ah oui, vous ne le saviez pas ? Comment dont ! Allez, vous êtes mon ami ! Soyez beau joueur ! Jamais je n'aurai cru cela de vous ! Mon Dieu, mais c'est terrible ! Ce n'est pas bien ce que vous faites ! Comment avez-vous pu ? Jamais oh  grand jamais je ne pourrai agir ainsi !...  »

Oui, mais…..

Je les vois à l’envers. Ils ne m'impressionnent plus : Ces petits enfants qui pleurent dans le noir, qui appellent leur maman, la morve au nez, les sanglots sur l’oreiller du soir.

Je les entends tout bas. Ils jettent leurs diplômes. Tout s’effondre. Le secret bien gardé, bien caché, le voilà qui surgit. La honte dévoreuse à l’intérieur sort de son terrier.

Les cheveux défaits, le cœur en vrac, la comédie s’arrête. Le cancre enfin renait. Le petit dernier pleurniche sans mouchoir, il est là. Enfin. Sans public. Sans bruit. Sans personne.

Il peut ranger ses addictions, ses honneurs, ses médailles et ses titres.

C’est alors que dans un sourire, enfin, je le prends dans mes bras cet impeccable en manque de vérité. Assoiffé comme il est, comme un gosse attend sa mère, à l’heure du goûter.

Il rejoint alors tous les cabossés de l’existence. Ceux qu’ont fauté. Ceux qui ratent. Ceux qui ne savent pas. Ceux qui avouent : "Je ne suis que moi ".

Je peux enfin lui dire : 

« Bienvenu !

Que Dieu nous préserve  des impeccables....

...Si contraire à l’Amour ».