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Le retour de la Pomponnette - Domaine Public

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LA FEMME DU BOULANGER

 

(LE RETOUR DE LA POMPONNETTE)

 

-       Pardon.

 

-       Pardon de quoi ?

 

-       De ce que j’ai fait.

 

-       Ce que tu as fait, qui te le demande ?

 

-       Tu le sais ?

 

-       Forcément que je le sais.

 

-       Je t’ai fait du mal ?

 

-       J’ai été beaucoup inquiet parce que tu ne me l’avais pas dit. Tu pars, toi, comme ça, quand ça te prend. Et tu ne m’avertis pas. Tu ne me dis même pas où tu avais mis la boîte du café, ni mes mouchoirs, ni mon bouton de col. Je le cherche depuis deux jours. Tu as eu envie de voir ta mère : je le comprends, je ne te le reproche pas. Tu n’as pas voulu me le dire, parce que je suis un peu trop autoritaire… D’accord, je le comprends. Mais ta mère, est-ce qu’elle ne pouvait pas envoyer un télégramme, est-ce qu’elle ne pouvait pas me rassurer ? Enfin, tout de même, elle a été raisonnable puisqu’elle t’a renvoyée tout de suite. Tu n’as pas eu froid au moins ?

 

-       Qu’est-ce que ça peut faire ?

 

-       Beaucoup. Maintenant que je suis si content de te revoir, tu ne vas pas me faire une maladie ? Viens t’asseoir, viens, ne reste pas là.

 

Il l’emmène dans le fournil. Et dans le fournil, il y a la petite table toute prête avec un poulet rôti, une bonne bouteille, et un petit pain en forme de cœur.

 

-       Assieds-toi là, ma belle. Tu dois avoir faim ? Tiens, j’avais préparé à manger pour moi, parce que je ne savais pas si tu reviendrais ce soir. Mange, va, moi j’ai pas faim.

 

Elle a brusquement de grosses larmes.

 

-       Ne me pardonne pas comme ça. Ca me fait mal.

 

Avec douceur

 

-       Ne me parle plus de pardon, parce que tu finirais par me donner des idées !

 

Il prend le seau et commence à verser de l’eau dans le pétrin. Aurélie le regarde, immobile.

 

-       Ca t’étonne, de me voir pétrir à ces heures-ci ?

 

-       Je ne sais pas.

 

-       Ecoute, il faut que je t’avoue quelque chose. Depuis que tu es partie, je ne me suis pas bien conduit. (Elle lève les yeux vers lui, effrayée.) N’aie pas peur, ce n’est pas bien grave. Mais enfin, comme j’étais seul, j’en ai profité pour boire des apéritifs. Eh oui ! C’est une envie qui m’est venue, comme ça, bêtement. Une espèce de coup de folie… Un coup de folie, ça peut tomber sur tout le monde… D’ailleurs, ça m’a rendu malade comme un chien, et aujourd’hui, je n’ai pas fait de pain. Alors, dans le village, ça les a bien ennuyés et je leur ai promis de leur en faire pour ce soir. Voilà la vérité.

 

Il retourne à sa farine et à ses seaux. Aurélie prend sur la table le petit pain doré, en forme de cœur.

 

-       Et celui-là, qui est-ce qui l’a fait ?

 

-       C’est moi. Il a une drôle de forme, une forme comique… Je l’ai cuit dans le four du poêle de la cuisine. J’ai jeté un morceau de pâte dedans, au hasard… Et regarde un peu comme cette pâte est allée tomber ! Enfin, je n’ai fait que celui-là, pour toi. Enfin, pour moi. Je dis pour toi parce que c’est toi qui vas le manger… Mange, Aurélie. Fais-moi ce plaisir. Mange.

 

Il va au pétrin. Il commence à brasser la pâte. Aurélie, qui pleure, se met à manger. D’abord, du bout des lèvres. Puis, de bon appétit, parce qu’elle est jeune, et qu’elle a faim. Elle le regarde longuement.

 

-       Aimable, une bonté comme la tienne, c’est pire que des coups de bâton.

 

Il tire la pâte

 

-       Que veux-tu, la bonté, c’est difficile à cacher. Alors, excuse-moi. Je ne le fais pas exprès, et je te demande pardon.

 

-       Tu sais tout ?

 

-       Moi. Oui. Tout ce qui concerne le pain. Et ça me suffit. Je ne veux savoir rien d’autre. A quoi ça me servirait ?

 

-       A ne pas être ridicule.

 

Il se relève, il fait un pas vers elle. Il est tout pâle.

 

-       Tu ne veux pas que je sois ridicule ?

 

-       Non.

 

-       C’est la première et la seule parole d’amour que tu m’aies dite… Alors, je ne sais plus quoi faire.

 

Il reste là, et au bout de ses bras ballants, pendent ses grosses mains, que la pâte épaissit encore. Et tout à coup, il tourne la tête vers la petite porte qui conduit à la cave : par la chatière, la chatte noire, la Pomponnette, vient d’entrer. La boulanger la regarde un instant, et il prend un air sévère.

 

-       Ah ! Te voilà, toi ? (A sa femme.) Regarde, la voilà la Pomponnette… Garce, salope, ordure, c’est maintenant que tu reviens ? Et le pauvre Pompon, dis, qui s’est fait un mauvais sang d’encre pendant ces trois jours ! Il tournait, il virait, il cherchait dans tous les coins… Plus malheureux qu’une pierre, il était…  (A sa femme.) Et elle, pendant ce temps-là avec son chat de gouttières… Un inconnu, un bon à rien… Un passant du clair de lune… Qu’est-ce qu’il avait, dis, de plus que lui ?

 

Aurélie baisse la tête.

 

-       Rien.

 

-       Toi, tu dis : « Rien ». Mais elle, si elle savait parler, ou si elle n’avait pas honte - ou pas pitié du pauvre Pompon - elle me dirait : « Il était plus beau. » Et qu’est-ce que ça veut dire, beau ? Qu’est-ce que c’est, cette petite différence de l’un à l’autre ? Tous les Chinois sont pareils, tous les nègres se ressemblent, et parce que les lions sont plus forts que les lapins, ce n’est pas une raison pour que les lapines leur courent derrière en clignant de l’œil. (A la chatte, avec amertume.) Et la tendresse alors, qu’est-ce que tu en fais ? Dis, ton berger de gouttières, est-ce qu’il se réveillait, la nuit, pour te regarder dormir ? Est-ce que si tu étais partie, il aurait laissé refroidir son four, s’il avait été boulanger ?  (La chatte, tout à coup, s’en va tout droit vers une assiette de lait qui était sur le rebord du four, et lape tranquillement.) Voilà. Elle a vu l’assiette de lait, l’assiette du pauvre Pompon. Dis, c’est pour ça que tu reviens ? Tu as eu faim et tu as eu froid ?... Va, bois-lui son lait, ça lui fait plaisir… Dis, est-ce que tu repartiras encore ?

 

-       Elle ne repartira plus…

 

Le boulanger à la chatte, à voix basse.

 

-       Parce que si tu as envie de repartir, il vaudrait mieux repartir tout de suite : ça serait sûrement moins cruel…

 

-       Non, elle ne repartira plus… Plus jamais…

 

Elle s’est élancée vers lui, elle baise la grosse main toute gluante de pâte, puis elle se blottit contre lui.

 

-       Qu’est-ce que tu as, Aurélie ? Qu’est-ce qu’il te prend ?

 

-       Je ne sais pas. Je ne suis pas bien.

 

-       Si tu allais te coucher ?

 

-       Non, je veux rester près de toi… J’ai froid.

 

-       Ecoute, c’est le moment de rallumer le four. Viens, ça nous réchauffera tous les deux.

 

Il va vers le four, il ouvre la grosse porte de pierre. Elle l’a suivi jusque là. Il prend un morceau de fil de fer qui porte un petit chiffon, il le trempe dans un couvercle de boîte en fer-blanc, qui est plein d’alcool. Puis il allume le tampon à la lampe, et il approche des fagots de la petite flamme bleue. Timidement, Aurélie arrête son bras.

 

Le boulanger, pensif

 

-       Oh ! ça serait bien… Ca serait juste… (Il lui donne la petite flamme.)   Il s’éteint quand tu t’en vas, tu l’allumes quand tu reviens. C’est naturel.

 

Aurélie plonge la flamme dans les fagots de bois de pin, et, tout à coup, le four crépite. Le boulanger regarde l’incendie ; un peu de fumée vient dans le fournil. Le boulanger s’essuie les yeux, et en riant, il dit :

 

-       Cette fumée, j’ai beau en avoir l’habitude… Elle m’a toujours fait pleurer.

 

 

MARCEL PAGNOL


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Proposé par

Cathou inafrica

Auteur

Blog

Marcel Pagnol

05-09-2015

Couverture

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Le retour de la Pomponnette n'appartient à aucun recueil

 

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