L'Inconnue - Histoire Très Courte

L’Inconnue

Bien installée au coin du feu, je laisse venir à moi la chaleur bienfaisante des braises. Le crépitement des flammes me berce dans la maison silencieuse. La valse des ombres vacillantes réjouit ma vue. Et cette douce odeur du bois qui se consume me ravit.

            Mes pensées divaguent, vagabondent sans limite. L’ensemble de mes sensations en éveil me procure un sentiment de bien-être, de plénitude,…

            Et alors, une voix, une toute petite voix, se fait entendre. Très faiblement d’abord, puis mon ouïe s’extirpant de la torpeur du crépitement des braises, la perçoit de plus en plus nettement, plus fermement. Musicale, rythmée, assurée, elle prononce mon prénom :

« Virginie, Virginie,… »

            Par réflexe, je me redresse, je regarde autour de moi. Pourtant je sais que je suis seule chez moi. Alors, cette voix ?

            Face à moi, la bibliothèque massive, lourde de livres, de volumes en tout genre, de toutes tailles. Un ruban rouge dépasse et attire mon attention. Je me lève pour découvrir le livre rattaché à ce bout de tissu. Un album photo ancien, très ancien,…

            Je m’installe à nouveau auprès de la douce tiédeur du feu et je commence à feuilleter l’album. Beaucoup de photos et surtout beaucoup de visages inconnus. Il s’agit de vieilles photos de famille qui datent d’avant ma naissance.  Normal que je ne reconnaisse personne ! Je suis arrivée plusieurs décennie après.

            Je repose le volume sur la table et me laisse de nouveau envahir par le moment présent. Je m’assoupis…

            Mais voilà qu’un bruit sourd me sort de ma torpeur. Après quelques secondes, je réalise que quelqu’un frappe à ma porte. Encore étourdie, je me lève, je me dirige vers l’entrée. Lorsque j’ouvre, une jeune femme inconnue se tient devant moi. Pas très grande, joli sourire, yeux noisette irradiant une belle lueur, nez mutin. En s’excusant de me déranger, elle se présente : « Annie, votre nouvelle voisine. »

            Je lui propose d’entrer. Elle passe devant moi et un nuage de parfum de rose me chatouille le nez. Je lui désigne le fauteuil qui me fait face tout en reprenant ma place auprès du feu.

« Je viens d’arriver dans le quartier, et je me présente à tous mes voisins, commence-t-elle.

-          Je ne vois pas bien la maison où vous avez emménagé. Je ne savais pas qu’une maison changeait de propriétaire.

-          Je ne suis pas une voisine immédiate, je suis dans la rue au-dessus.

-          Ah !... »

J’avoue ne pas bien cerner ce qu’elle me dit. Je ne vois vraiment pas d’où elle vient,… Un silence s’installe, teinté de gêne.

            Subitement, Annie se lève, empoigne l’album photo et commence à le feuilleter, tranquillement, page après page. Quelle personne étrange et surtout sans retenue. Elle s’arrête un peu plus sur certaines pages et sourit, comme si ces images avaient du sens pour elle, comme si elles lui parlaient. Une sourde angoisse m’envahit, me poussant à me lever et à lui demander de partir. Sa réponse, calme, posée, me laissa sans voix :

« Oui, mais avant de m’en aller, je dois te mettre en garde.

-          …

-          Accorde-moi juste un instant, insiste-t-elle.

-          Comment ?!

-          Une rencontre va s’imposer à toi très prochainement. Méfie-toi, la personne en question n’est pas celle qu’elle prétend être. Ne la laisse pas entrer dans ta vie. »

Là-dessus, elle me tourne le dos, se dirige vers la sortie en  déposant au passage l’album sur un guéridon. Je la suis pour la raccompagner, mais elle a déjà disparu ; la porte est refermée.

            Je reste abasourdie par cette rencontre hors du commun. Je verrouille ma porte et retourne au coin du feu, chaud et rassurant. Et là mes yeux remarquent l’album grand ouvert. Je me relève pour regarder la page qui s’offre à moi… Stupeur ! Sur la page jaunie, recouverte de vieilles photos, un portrait. Une jeune femme, avec un joli sourire, des yeux noisette éclairés par une lueur profonde, un nez mutin,… ?! Sous la photo, une indication : « Annie, 1935-1976 ».

            Plusieurs coups secs, insistants, me ramènent à moi. On frappe à ma porte. Hésitante, je me décide quand même à gagner l’entrée ; j’ouvre.

« Désolé de vous déranger, Virginie, c’est ça ? Je vous appelle depuis quelques minutes, comme vous ne répondiez pas,… Je suis Nicolas, votre nouveau voisin,… »