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Jouets en folie, conte de Noël - Conte

Conte "Jouets en folie, conte de Noël" est un conte mis en ligne par "Paulette Pairoy-Dupré"..

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Jouets en folie

Aux côtés d’un cheval à bascule à la crinière ébouriffée et d’un xylophone qui de temps à autre laissait échapper quelques arpèges plaintives, Paddy dans son débardeur rayé et sa culotte de velours côtelé grenat paressait dans une chaise longue aux couleurs passées.

Abandonnés là sur des étagères ou à même le sol depuis plusieurs saisons, nombreux étaient les jouets de ce grand magasin qui partageaient cet entrepôt mal éclairé avec du matériel pour décorations de Noël.

Depuis quelques jours on sentait approcher le temps des fêtes et de l’Avent. Des hommes en blouses bleues s’affairaient sur les étagères en quête de guirlandes électriques, de boules gonflables géantes, de rideaux lumineux, de moquette pailletée, de rouleaux de neige ou d’énormes stalactites.

Bientôt les vitrines offriraient un spectacle féerique dans une jungle de guirlandes multicolores. Nul doute qu’ un sapin gigantesque s’animerait sous la majestueuse coupole du magasin. Des boules scintilleraient dans une lumière magique et les yeux des petits comme des grands pétilleraient de plaisir. De rondouillards bonshommes rouges et barbus circuleraient parmi les devantures où des poupées, des oursons, des automates, des lutins espiègles s’activeraient qui dans un décor de cirque, qui parmi les rennes du Père Noël en plein pôle Nord ou encore sur un manège enchanté. Et des hauts parleurs diffuseraient la musique de tradition où Papa Noël promet d’apporter des joujoux par milliers.

Oui … C’était comme cela autrefois. Mais aujourd’hui …

L’on venait d’apprendre que le plus mythique des magasins parisiens venait de rouvrir ses portes en grandes pompes, après des années de travaux et un coûteux lifting. Sous la verrière emblématique et autour de l’escalier colossal rénovés dans la plus pure tradition Art Nouveau, le temple de la mode accueillait les grands noms du luxe  disait-on. Parfums, bijoux, articles de maroquinerie, prêt à porter de grandes marques, ainsi que des restaurants, attendaient des visiteurs aux portefeuilles bien remplis. Il était question en cette fin d’année d’inviter un Père Noël très branché dans un décor de jardins et une forêt de sapins où évolueraient de bien belles dames richement vêtues. Et les jouets dans tout cela ? Le magasin n’en vendait plus !!! Incroyable ! Qu’en auraient pensé les époux Cognacq-Jay  ? Bientôt on ne vendrait plus rien dans ce magasin  où jadis l’on trouvait tout !

Quant aux autres enseignes, les rayons dédiés aux jouets avaient énormément réduit ces dernières années.

Alors y en aurait -il encore dans les vitrines ?

Le virtuel avait pris de l’ampleur dans la vie de tous. L’écran était devenu le terrain de jeux favori des enfants. La plupart étaient désormais connectés et vibraient sur Internet. Les commandes de tablettes avaient triplé dans les demandes au Père Noël. D’ailleurs celui-ci ne recevait plus que des SMS. De petite taille les tablettes s’emportaient partout. Même si les parents ne les encourageaient pas car l’addiction venait vite, ils ne décourageaient pas pour autant leurs enfants. Point d’encombrement ni de désordre  à la maison! Finies les scènes pour ranger sa chambre envahie de jouets. Avec les écouteurs, plus de bruit. Lors des soirées, les enfants assis dans un coin se faisaient oublier. Quelle tranquillité pour les adultes ! Par mauvais temps, c’était l’idéal pour les occuper et pour les vacances cela ne prenait pas de place dans les valises.

C’est sans doute pourquoi au fil des années autant de jouets s’étaient entassés dans cet entrepôt . On y trouvait aussi des éclopés, des mal finis, des invendables parfois salis par des mains collantes de goûters. Paddy était un de ceux là. Un gamin mal élevé avait laissé couler son chocolat chaud sur sa culotte de velours ne le rendant plus digne d’accompagner un enfant au coucher. Une auto à pédales avait perdu une roue, un lapin, un œil. Il manquait une baguette à un tambour, une touche à un piano. Mais il y avait aussi ceux que le Père Noël se voyait refuser ou renvoyer parce que trop encombrants, trop bruyants, trop chers ou pas assez, ou passés de mode. Les voitures de pompiers ou de police téléguidées avec leurs sirènes assourdissantes venaient en tête des invendus, les crécelles, les chiens en bois à traîner et susceptibles d’abîmer les parquets, les boites à musique et bien d’autres. Qui de nos jours jouait à la postière, à la toupie, au bilboquet, au cerceau, qui faisait naviguer un voilier sur le bassin du Luxembourg ? Billes et osselets ne valaient pas assez chers pour être offerts. Quant aux trains électriques et aux circuits automobiles il y avait bien longtemps que ce n’était plus là des jouets pour enfants mais des objets pour quinquagénaires collectionneurs. D’ailleurs toutes les boites qui demeuraient sur les étagères se vendraient sans doute un jour et à prix d’or à la salle Drouot ou chez Christie’s. Une belle revanche pour tous ces bolides et ces wagons que la jeunesse snobait.

Chaque fois qu’un technicien entrait dans l’entrepôt c’était les mêmes constatations, les mêmes lamentations. Tous ces jouets occupaient une place folle, prenaient la poussière. Il fallait trouver une solution. Ils étaient bien sûr propriété du magasin. Sans doute avaient ils été soldés en leur temps mais faute d’acquéreurs même à prix réduits, ils encombraient les lieux. Ils étaient encore trop récents pour être accueillis au musée du jouet. Il devenait urgent de vider le local.

En même temps, partout sur la planète on s’offusquait du gâchis, on parlait reconditionnement, recyclage. Le marché de l’occasion faisait de plus en plus d’émules. On constatait que l’écart entre les plus démunis et les nantis s’accentuait chaque jour. Le nombre de familles dans la précarité, de sans abris ne cessait d’augmenter. On savait qu’en cette période des milliers de personnes auraient du mal à offrir quelque chose à leurs enfants ou petits-enfants.

Paddy était pensif et fort chagrin.Il envisageait d’un mauvais œil un nouveau confinement, aux oubliettes dans ce local poussiéreux où l’on ne voyait pas le jour. Il réfléchit longuement, très longuement, et eut une idée, une idée de génie. Il alla s’en ouvrir au cheval à bascule qui fut enchanté, lequel en informa quelques marionnettes, elles aussi prêtes à participer au projet. Bientôt sur toutes les étagères, on ne parlait que de cela, on se réjouissait, on imaginait des plans. C’était l’effervescence. Il y avait tout le week-end pour s’y préparer, fouiller les réserves des électriciens pour remettre en route certains véhicules et surtout s’organiser.Tous les jouets s’étaient réveillés, l’aventure allait commencer.Tous avaient déjà repris goût à la vie.

Le lundi matin quand l’équipe technique poussa la porte de l’entrepôt, elle fut accueillie par un tintamarre intempestif et tous eurent peine à se frayer un chemin dans le désordre qui régnait à terre.

Alors que le xylophone produisait un son inquiétant et sinistre, une guitare à qui il manquait une corde émit une plainte disgracieuse. Une voiture de police s’élança en déclenchant sa sirène à deux tons tout en actionnant son feu clignotant. A ce  la-ré , un camion de pompiers répondit par son  la-si  et une ambulance par son  la-fa . Des hochets s’agitaient en tous sens. Un marteau de clown jubilait à faire  pouet-pouet . Aux côtés de bébés en caoutchouc aux vagissements brailleurs, des pin ups aux cheveux d’or revêtues de leurs tenues de sport sorties d’un magasin de mode scandaient « Ils veulent des mamans !» On ne s’entendait plus ! Une voiture téléguidée par un pantin désarticulé fonçait à une vitesse ahurissante. Une toupie ronronnait entre des quilles de bois vernis, entravant le passage rendu un peu plus périlleux par des billes et des osselets en balade. Un patin à roulettes qui avait perdu sa moitié zigzaguait entre des petites voitures sorties d’un garage. Une poupée postière et une autre maîtresse d’école avaient accepté de donner du papier à lettres, et un cahier pour rédiger des affichettes qu’un Babar, un Mickey, un Pinocchio et un Polichinelle brandissaient et sur lesquelles on pouvait lire : « Libérez nous ! On veut et on peut toujours servir ! » ou encore « Halte au gaspillage, reconditionnez nous ! »  En un mot, c’était la révolution dans l’entrepôt.

Un des techniciens trébucha sur le cheval à bascule, dérapa sur une patinette à la roue flageolante et se luxa le poignet. C’en était trop ! On alla chercher du renfort pour mettre fin à ce vacarme et rétablir l’ordre. C’était bien la première fois que des jouets se rebellaient. On en informa la direction, le comité d’entreprise et le syndicat et même les services sociaux. L’affaire fit grand bruit, tant de bruit que même le Père Noël en entendit parler du haut du ciel. Il s’en amusa.Ses rennes trouvèrent cela fort malin et ses lutins se tordirent de rire.

Une étalagiste trouva une solution qui contenta tout le monde.

En quelques jours grâce à ses jeunes stagiaires les éclopés furent réparés. La guitare retrouva une corde, le piano une touche, le patin à roulettes sa moitié, le tambour sa baguette. Paddy reçut un nouvel habit et Babar un très beau nœud papillon qui séduirait les vieilles dames. On rechargea également les batteries de tous les véhicules.

Au coin de la rue, une vitrine pour l’Exposition du Blanc était en cours d’installation. On la débarrassa de ses draps et peignoirs qui pouvaient bien attendre Janvier. On y déposa un petit sapin décoré avec élégance et originalité de pommes de pin, de bouchons, d’ ampoules usagées, de petites bouteilles de plastique, tous peints aux couleurs étincelantes de Noël et couverts de paillettes.La vitrine titrait « Les Jouets d’Antan ».

Au pied de l’arbre, un gigantesque circuit de train électrique menait à un petit chalet en forme de tirelire du joli nom de « Risettes d’enfants ». Au plafond se croisaient des guirlandes de papier crépon et des banderoles. L’une d’elle annonçait : « Retrouvez -nous ! Adoptez -nous !  », l’autre « Vos dons seront reversés à l’association  » Et tout autour, les jouets du temps jadis, un temps abandonnés, oubliés, mais tous l’espéraient, plus pour longtemps.

Alors, les marionnettes se donnaient en spectacle. Les pin ups défilaient dans leurs robes du soir. Un voilier naviguait sur une mer imaginaire. Pégase attendait un cavalier. Les patinettes et les patins à roulettes étaient sagement garés près des voitures de police. Babar jouait de la trompette, Arlequin de la clarinette, le lapin du tambour. Quant à Paddy, il dirigeait l’orchestre, un orchestre qui jouait la symphonie du bonheur. Ô combien il était fier ! Ils avaient gagné. Une nouvelle vie pleine de surprises et à faire des surprises les attendait tous et qui sait de beaux moments loin des manettes des jeux à la mode.

Il est toujours possible de rallumer la lumière et d’agir pour apporter à autrui un peu de chaleur.

CR/PPD Décembre 2021

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Auteur

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Paulette Pairoy-Dupré

17-12-2021

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Jouets en folie, conte de Noël n'appartient à aucun recueil

 

Conte terminé ! Merci à Paulette Pairoy-Dupré.

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