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Jardin secret - Texte

Texte "Jardin secret" est un texte mis en ligne par "Aubussinne"..

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Jardin secret

Mon jardin secret est le jardin libre et sauvage des plantes, des herbes et des fleurs. Loin du béton et de l’asphalte, sans bourse ni denier, mon jardin s’étire le long des chemins, des sentiers, des fourrés ombragés. Il me mène dans les bois, vers les abords des eaux, des ruisseaux et de la douce rivière. Il me surprend le long des talus, des fossés, des sorties de bosquets. Il me hisse sur les rocs, les abrupts ruisselants, les voutes sombres, les anfractuosités. Ses fleurs s’y livrent à mes yeux triomphantes, discrètes ou cachées.

Les fleurs et les plantes m’ont appris la couleur de la terre, sa noirceur nourricière, son ocre dureté, sa souplesse, sa pauvreté, ses nourritures, ses humus et ses odeurs. Elles m’ont livré lentement de tous les janviers aux fins de chaque année, leurs besoins, leur espace, leur eau, leur soleil, leur nuit, leur jour, leur ombre ou leur lumière. Elles m’ont ouvert leurs livres, confié leurs noms, les pays où elles sont nées, découvert leurs lieux de vie des monts ou des plaines. Elles m’ont ouvert les yeux au cours de ballades botaniques. Elles m’ont livré à des savants modestes habités de passion d’herbes vertes, de leurs noms en latin et de leurs plus beaux lieux. Elles m’ont fait bannir à jamais le nom « mauvaises herbes » car il n’y a de mauvais que les mots écrits ou prononcés,  jamais dans le regard que l’on porte sur elles. Elles m’ont surprise et comblée de leur sauvage et discrète beauté. Elles m’ont appris la course après le rare, l’inconnu, le nouveau, le vol voluptueux sans juge ni prison du trésor que j’emportai fière en toute discrétion.  

Elles m’ont suivie dans mon jardin. Elles m’ont appris l’enlèvement, l’arrachement, la transplantation sanctionnée par la mort dont j’étais la seule coupable, qu’il ne sert à rien de brusquer sinon de tout rater, échouer. Elles m’ont appris leurs poisons, la chimie leur transmettant la peste, les parasites qui épuisent, le déni de la vie, la misère puis la mort. Elles m’ont fait vivre la douce découverte de l’hyménée avec le temps, dit perdu, la lenteur, la patience. Elles m’ont aussi appris la renaissance avec beaucoup de soins, de savoirs et de reconnaissance. Elles m’ont offert ravies leur éclosion à la saison suivante. Elles m’ont montré leurs boutons qui craignent la gelée, leur floraison fulgurante. Elles m’ont fait suivre les rayons du soleil et leurs inclinaisons. Elles ont compté pour moi chacune des saisons, leur naissance puis leur disparition, le printemps turgescent, l’été et ses ardeurs, l’automne et ses couleurs et l’hiver somnolent, le tour complet d’un cycle allant de haut en bas. Elles ont ému ma peau de la caresse du matin frais, de la brume légère, de la brûlure au zénith, de la douceur du zéphyr au coucher rougeoyant, envouté mon regard planté vers l’horizon. Elles m’ont appris le froid, le chaud, le sec, l’humide, le trop peu et le trop, la pourriture. Elles m’ont fait observer leurs hôtes les insectes, ceux qui sont d’ici, ceux qui sont d’ailleurs, ceux qui papillonnent, butinent, embellissent, fécondent, nourrissent, ceux qui parasitent, dévorent, anéantissent. Elles m’ont décrit l’évolution vers la faiblesse, la prédation, les invasions. Elles m’ont fait attendre la pluie qui plaît à leurs racines, la fine bruine qui perle cristalline au fond de leur corolle, les gouttes d’eau  transformées en diamants qui roulent sur leurs feuilles.  Elles m’ont fait regarder l’abeille qui s’ébroue dans le pollen, détester le vent qui les couche sans égard, la grêle qui les blesse et brutalement les déchire, le soleil brûlant qui de leur eau les prive en atteignant leur chair, éteigne leur éclat. Elles m’ont gardé leurs graines qui s’écoulaient fines entre mes doigts pour repartir en terre là où il fallait, celles que j’ai protégées comme une vraie fortune et dispersées en cadeaux à différents confins. Elles m’ont appris leur place dans le paysage, sans un hasard, sans abandon, après un long parcours jusqu’à l’harmonie. Elles m’ont appris la beauté lente et le temps qu’il lui faut.

Elles m’ont appris mon corps, son confort, ses douleurs, ses cassures, ses fatigues, les gouttes sur le front, la main calleuse, la soif, la faim, l’énergie et l’équilibre. Elles ont éduqué ma vue, fixé mon regard devant leurs traits, la dentelle des feuilles, la grâce des calices, leurs couleurs et la palette de leurs rares nuances et m’ont donné quelques indices de la perfection. Elles m’ont séduite de leurs senteurs délicates, subtiles, légères ou envoutantes. Elles m’ont fait goûter aux parfums de leur vie que j’ai préférés dans leur rareté à ceux des nez qui plagient leurs essences en un tour de chimie pour le plus grand nombre et le plus grand profit. Elles ont piqué, râpé, griffé, taché, rougi ma peau lorsque je tentai d’ignorer ce qu’elles étaient, je forçai leur nature dans ma rapidité, l’agitation du faire. Elles m’ont découvert leur seule défense, obligé à bien les reconnaître pour éviter leur poison et tous leurs désagréments jusqu’à la fin toxique qui tue sans ménagement. Elles ont rompu mon ignorance des secrets et bienfaits de leurs sèves et leurs chairs et confirmé que leur connaissance nécessite d’emprunter un chemin infini.

Elles ont cueilli, apaisé tous mes chagrins. Elles m’ont fait accepter que leur vie comme la nôtre n’est que risque, dureté, jouissance enroulés dans le temps. Elles m’ont donné l’attente de leur beauté, le réconfort, rien ne s’arrête, tout recommence,  réappris la patience et encore et toujours, le temps et ses instants. Elles m’ont fait happer le temps bref de leur splendeur pour ne pas le laisser fuir sans l’avoir bien goûté. Elles m’ont donné chaque printemps une nouvelle naissance, l’attente du nouveau, du vert, du frais, du vif, du ciel d’azur et des yeux et des sourires réjouis qui les regardent. Elles ont toujours embelli l’amour de tous les miens, émerveillé les yeux des chers enfants et ceux de tous les âges. Elles ont toujours trouvé le doux regard curieux des passants, des voisins. Elles m’ont fait apprécier le beau regard d’envie que celui d’un ailleurs très lointain portaient sur elles dans leur découverte, le désir d’emporter, de braver l’interdit. Elles m’ont appris la différence, à distancer les conventions, les apparences et leurs parades d’orgueil et de fragilité. Elles m’ont offert la réalité de la modestie et d’une immense et douce vie et de toujours résister et lutter contre l’agitation, l’imposture et la médiocrité.

Elles m’ont appris enfin leur liberté de naître, vivre, éclore, resplendir, pas à la moins bonne mais à la meilleure place et de mourir au moment qui leur convient. Elles m’ont livré leur vie sans mot, sans parole et sans cri. Elles m’ont donné le calme, mon silence et ma paix.

 

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MM/ Lundi 27 mars 2017

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Aubussinne

08-06-2018

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Jardin secret appartient au recueil Feuilles de pierre

 

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