"Février 1916" est un texte du domaine public mis en ligne par
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Lettre de Henri Aimé Gauthé, fils d'un limonadier de Château-Chinon. Agent de liaison en août 1914, puis téléphoniste, il tint régulièrement un journal de guerre, admirablement écrit. Février 1916, La traversée de Commercy se fit au pas cadencé, arme sur l’épaule. Il importait de ne pas offrir le spectacle d’un troupeau incohérent et flasque. Montrer à la population, les signes extérieurs d’une troupe organisée et disciplinée. Dieu, que c’est long ce bourg ! Si je traînais au pas un sabre à gland de crin, comme je penserais différemment sans doute, mais ma baïonnette s’empêtre dans mes cuisses, mon col tiré en arrière m’étrangle, une, deux, vas-y, c’est beau ! Par hasard, en levant les yeux, j’aperçus une fillette jolie, et mièvre un peu. A voir ses yeux émus et admiratifs j’ai compris que sans doute nous étions beaux, et grands. Nous allions par là-bas, où l’on meurt, où l’on est défiguré, haché, déchiré, et nous y allions, au pas, au son des cuivres aigus. Nous portons dans nos cartouchières la mort, nos fusils tuent. Nous sommes forts et doux peut-être, nous sommes une bête formidable qui pourrait broyer cette enfant, sans la voir, sans entendre son cri et sa plainte. Son admiration est une vague d’effroi et de piété. Nous sommes un énorme troupeau de formidables douleurs, nous sommes un rempart des joies, de l’amour, du bonheur. Sans accepter cette tâche, nous mourrons pour elle. Sans doute cette enfant innocente, naïve, coquette, ne l’a-t-elle pas compris, mais elle l’a senti. Son regard me réchauffe, son admiration m’a fait tendre le jarret. Son sourire m’a donné du cœur. Elle était peut-être tout simplement jolie. A mes côtés sous son regard, mes camarades eux aussi se sont redressés, un charme sensible paraît les avoir touchés, mille rêves ont peut-être caressé leur pensée,et, parce qu’une fillette les voyait, ils eurent un regard plus serein et plus calme, une démarche plus ferme, un front plus guerrier. La foi me manque. J’ai une foi stérile et creuse. Elle ne sert pas de moule à ma vie, elle n’entretient pas une mystique à mes actions, elle n’éveille qu’occasionnellement ma soumission. Mes nerfs crient et se froissent à certaines imaginations et, dans mon chaos, je ne trouve de causes et de raisons à mes souffrances que le besoin de jouir et de paraître chez mille qui ne sont point à la peine. Et je refuse de souffrir pour leur donner des honneurs, des richesses et des maîtresses jeunes, jolies et parfumées. Je ne suis pas assez austère pour agréer l’attente de ces maîtres, et j’ai l’estomac trop vide. Je suis trop sale et j’ai trop depoux. Je ne peux croire que c’est le fumier qui fait la rose, et que notre pourriture empuantie par le camp et la tranchée, que notre révolte, que notre douleur feront de la justice ou du bonheur. Et quel égoïsme de dire à son frère “Tu mourras pour que je sois heureux !”. Mais n’est-ce pas là toute la guerre ? Et ce calcul n’est-il pas le squelette effarant que l’on cache sous les oripeaux d’honneur, de devoir militaire, de sacrifice ? Chaque putain de guerre représente les mille douleurs de celui qui la porte, mille morts de ceux qu’elle à fauchés, et les mille jouissances des ventres et des bas-ventres de l’arrière. Voilà ce qu’elle crie cette putain de guerre : “Celui qui me porte est un naïf qui croit que les mots cachent les idées, que les idées feront du bonheur, et qui n’a pas compris quelles bachanales son dévouement permettait, derrière le mur formidable des discours, des proclamations, des compliments et de la censure.”. La marque extérieure de la distinction du militaire est la blancheur des mains. Je m’efforce de soigner les miennes, c’est un besoin, surtout quand j’ai le cerveau clair. Si bien qu’en regardant mes mains, je vois la netteté de mon esprit. Et des jours, j’ai les mains bougrement sales. D’autres jours je les admire et les contemple. Elles semblent vivantes, d’une autre vie que la matérielle. La main ne montre pas que des déformations professionnelles, elle est la preuve d’une mentalité. Henri Aimé Gauthé |
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Février 1916
n'appartient à aucun recueil
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