Et si on ne se mentait plus ? - Article

Et si on ne se mentait plus ?

La Compagnie « Les Inspirés », donnait à Chantilly ce weekend un spectacle fort divertissant, véritable hommage à la grande amitié de cinq personnalités marquantes de la Belle Epoque, académicien, inventeur, chroniqueur, journaliste ou auteur : Tristan Bernard, Lucien Guitry, Alfred Capus, Jules Renard et Alphonse Allais.

En arrière- plan de la scène, l’étang du Potager des Princes avec ses rives verdoyantes, le grand cerf en bronze qui y a élu domicile, les cygnes qui y évoluent en toute majesté et les paons qui se promènent nonchalamment dans les allées mais aussi les canards cancanant parfois fort à propos à l’issue d’une réplique de l’un des acteurs, bref un décor naturel des plus divins baigné par la lumière du soleil couchant.

Sur le plateau, un décor construit et peint comme malheureusement l’on n’en voit plus guère de nos jours, agrémenté de beaux meubles de l’époque.Sobre et raffiné, il a été savamment pensé autour de quatre espaces, côté cour (à droite de la scène vu de la salle) le cabinet d’écriture de Jules Renard, l’auteur entre autre de « Poil de Carotte », surplombé de deux grandes pages de brouillons retravaillés et de citations , côté jardin (à gauche de la scène) un bistrot du nom évocateur de « L’absinthe », lieu de prédilection de l’humoriste Alphonse Allais, au centre un magnifique canapé de velours cramoisi évoquant le salon de Lucien Guitry et enfin un rideau de théâtre puisque c’est la passion du théâtre qui réunit les cinq illustres personnages.

Le brigadier frappe ces trois coups et pour notre plus grand bonheur nous voilà conviés au déjeuner hebdomadaire qui chaque Jeudi réunit dans un moment de fraternité les « Cinq Mousquetaires », chez Guitry en sa demeure du 26 Place Vendôme, un moment « sous le haut patronage du Bourgogne, du Cognac et du reste » où le palais se délecte de mets raffinés, le gosier de vins qui coulent à flots et l’esprit se nourrit de littérature, de théâtre, de bons mots dans l’humour et l’ironie, les gaffes, les querelles bon enfant et les grands éclats de rire de chacun.

Nous sommes en 1901 et la « Gentleman Team » qui se retrouve ainsi depuis 1895 fait face à un tournant. Entre renommée et amitié, pour des femmes ou de l’argent ils sont contraints de faire des choix et se posent la question de savoir s’ils doivent ou non se mentir, d’où le titre de la pièce « Et si on ne se mentait plus ? » pour finir par se dire « « Le mensonge, surtout en amitié, c’est ce qui met du poivre dans le sel de l’existence. »

Amitié et mensonge sont donc au centre de la pièce dans laquelle on retrouve les ingrédients du vaudeville : intrigues adultérines ou pécuniaires, quiproquos dans des répliques croustillantes, ainsi que de nombreuses références aux écrits de chacun.

Le prince des holorimes, Alphonse Allais, toujours en retard sauf le jour où l’on est passé à l’heure d’été et toujours entre deux absinthes ne « sait plus quoi inventer pour tuer le temps » et il invente le café lyophilisé, « un breuvage qui fait dormir quand on n'en prend pas » puis cherche à emprunter quelque argent à Tristan Bernard. « Il faut prendre l’argent là où il se trouve : chez les pauvres. D'accord, ils n'en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux. »

Jules Renard attend « pour travailler que son sujet le travaille ».

Alfred Capus envisage de donner le premier rôle de sa nouvelle pièce « La Veine » à Guitry et convoite un fauteuil à l’Académie car « Vouloir arriver, c'est avoir déjà fait la moitié du chemin. »

Guitry surnommé « Divan le Terrible », clin d’œil à son origine russe mais aussi aux moments passés sur son divan en compagnie de jolies actrices, joue les parfaits dandys dans son opulent salon devisant avec Capus sur les femmes et la fidélité : « Il y a des femmes qui n'aiment pas faire souffrir plusieurs hommes à la fois, qui préfèrent s'appliquer à un seul : ce sont les femmes fidèles. » « Je veux bien être embêté toute ma vie par les femmes, mais pas par la même. » admettant que l’on a parfaitement le droit de tromper sa femme « La nature humaine est la nature humaine... Mais on n'a pas le droit de se laisser pincer. La fidélité de l'homme, c'est la prudence. »

Tristan Bernard de retour des Etats Unis cherche de l’argent pour faire venir de New York un boxeur et organiser à Paris le « combat du siècle ».

Côté costumes, c’est un véritable défilé de mode masculine que nous présente les cinq fringants comparses moustachus ou aux barbes élégamment taillées. Guitry reçoit dans son salon en manteau d’intérieur, assortit ses gilets à ses lavallières et n’a de cesse de regarder sa montre à gousset. Allais en retard d’une saison arbore costume clair, nœud papillon et canotier. Capus, en futur académicien se doit d’être très classique en redingote et costume trois pièces, ganté et chapeauté d’un melon, jouant de son monocle et de sa canne. Tristan Bernard revêt tenue plus désinvolte : pantalon de golf et casquette. Quant au ténébreux Jules Renard la veste noire et le col empesé d’un blanc immaculé vont de pair avec le personnage.

Comme en des temps lointains, où l’émission de Pierre Sabbagh « Au Théâtre ce soir » retransmettait en direct du Théâtre Marigny, comédies classiques et vaudevilles, je dirai que

la mise en scène était de Raphaëlle Cambray, sur une libre adaptation des « Mémoires de Sacha Guitry » de Matthieu Rahou et Emmanuel Gaury,

les décors de Catherine Bluwal,

la musique de Jean Marc Istria et les lumières de Marie Hélène Pinon,

avec

Maxence Gaillard dans le rôle de Jules Renard, Emmanuel Gaury dans le rôle de Guitry, Guillaume d’Harcourt dans celui de Tristan Bernard, Nicolas Poli joue Alfred Capus et Mathieu Rannou est Alphonse Allais,

tous interprétant avec brio ce spectacle pétillant, léger, grisant comme sans doute l’était pour ce cher Alphonse, « la Fée verte ».

La troupe continue de sillonner la France, un spectacle à ne pas manquer !

4 septembre 2019,

CR/PPD